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Nous arrivons !

Là encore, rien de plus.

Perrin se tourna sur le côté, s’endormit comme une masse et rêva qu’il était un loup traversant des collines sans fin…

Le lendemain matin, aucun signe des loups – même les Aiels ne signalèrent pas leur présence – mais Perrin les sentit. Des centaines d’entre eux étaient en chemin.

Les quatre jours suivants, les collines cédèrent le pas à une plaine dont les rares élévations méritaient à peine le nom de « buttes », comparées à celles que la colonne avait dû négocier au début. La forêt s’éclaircit, devenant une prairie semée çà et là d’arbres ou de buissons desséchés. Tous les cours d’eau que traversèrent les voyageurs réussirent à peine à mouiller les sabots des chevaux – quand ils ne se réduisaient pas à des lits où la boue durcie se le disputait aux cailloux.

Chaque nuit, les loups donnaient à Perrin toutes les informations dont ils disposaient sur les Aes Sedai. Hélas, ce n’était pas grand-chose. La meute de Flamme-Sauvage les pistait, mais de trop loin pour en savoir très long. Un point devint clair, cependant. Chaque jour, Perrin et sa colonne parcouraient la même distance que lors de la première journée. Donc, ils gagnaient quotidiennement quatre lieues sur leurs proies. Mais quand ils les auraient rattrapées, que faudrait-il faire ?

Chaque soir, avant de communiquer avec les loups, Perrin fumait la pipe avec Loial. Une agréable occasion pour discuter de ce « que faudrait-il faire ? ». Dobraine militait pour une charge, quitte à ce qu’ils meurent tous en accomplissant leur devoir. Rhuarc conseillait de voir sur quoi brillerait le soleil le lendemain, et ajoutait que tout homme devait un jour s’éveiller du rêve qu’était la vie. En somme, ce n’était guère différent des propos du seigneur.

Jeune pour un Ogier, Loial avait quelque chose comme quatre-vingt-dix ans, et Perrin le soupçonnait d’avoir lu plus de livres qu’il en verrait lui-même dans sa vie. Souvent, le géant faisait montre de connaissances surprenantes au sujet des Aes Sedai.

— Plusieurs ouvrages abordent la façon dont les sœurs traitent les hommes capables de canaliser, dit un soir Loial tout en tirant sur sa pipe au fourneau sculpté de feuilles deux bonnes fois plus grand que celui de la bouffarde de Perrin. Tout au début du règne d’Artur Aile-de-Faucon, Elora, fille d’Amar fille de Coura, a écrit un livre intitulé Hommes de Feu et Femmes d’Air. Il y a seulement trois cents ans, Ledar, fils de Shandin fils de Koimal, a signé un Essai sur les Hommes, les Femmes et le Pouvoir de l’Unique parmi les humains. Ce sont à ma connaissance les meilleurs textes de référence. Celui d’Elora, surtout. Elle écrit dans le style de… Non. Bref ! Il faut que je sois bref !

Bref ? Perrin douta que ce soit possible. Déjà volubile en temps normal, Loial devenait intarissable quand il s’agissait de livres.

— Selon les lois en vigueur, un homme doit être conduit à la tour et jugé avant qu’il soit possible de l’apaiser.

Les oreilles de l’Ogier frémirent, ses longs sourcils se mirent en berne, puis il se ressaisit et tapota l’épaule de Perrin.

— Je ne crois pas que ce soit dans leurs intentions, mon ami. J’ai entendu dire que les sœurs parlaient de lui rendre honneur. De plus, elles savent qu’il est le Dragon Réincarné.

— Lui rendre honneur ? Elles le feront peut-être dormir dans des draps de soie, mais un prisonnier reste un prisonnier.

— Je suis sûr qu’elles le traient bien, Perrin !

Sûr de rien en réalité, l’Ogier exhala un soupir qui n’aurait pas dépareillé dans une tempête.

— De toute façon, il ne risque rien jusqu’à ce qu’il arrive à Tar Valon. Mais je ne comprends pas comment ces sœurs ont pu le capturer… (Loial secoua pensivement son énorme tête.) Elora et Ledar le disent tous les deux : quand les Aes Sedai découvrent un homme très puissant, elles font toujours en sorte d’être treize pour s’assurer de lui. Nos deux auteurs mentionnent bien quelques cas où quatre ou cinq suffirent, et ils parlent de Caraighan, une sœur qui conduisit un homme à Tar Valon – seule et sur près de huit cents lieues – après qu’il eut tué ses deux Champions. Mais…

 » Perrin, Elora et Ledar ont écrit sur Yurian Arc-de-Pierre et Guaire Amalasan. Sur Raolin Noir-Fléau et Davian aussi, mais ce sont les deux premiers qui m’inquiètent…

Ces quatre hommes comptaient parmi les plus puissants qui s’étaient jadis proclamés Dragons Réincarnés, bien avant le règne d’Artur.

— Six Aes Sedai ont tenté de capturer Arc-de-Pierre. Il en a tué trois, faisant les autres prisonnières. Six sœurs, de nouveau, s’en sont prises à Amalasan. Résultat : une morte et deux sœurs calmées. Sans aucun doute possible, Rand est aussi puissant qu’Arc-de-Pierre ou Amalasan. Y a-t-il seulement six sœurs devant nous ? Dans le cas contraire, ça expliquerait beaucoup de choses…

Peut-être, mais ça n’avait rien de réconfortant. Même sans l’aide de leurs Champions et des soldats, treize Aes Sedai étaient en mesure de repousser toute attaque lancée par Perrin. Et elles pouvaient aussi l’empêcher d’agir en menaçant d’apaiser Rand, s’il bougeait une oreille. Une menace en l’air ? Probablement, puisqu’elles savaient que le Dragon Réincarné devait participer à l’Ultime Bataille. Mais était-ce un risque à prendre, quoi qu’en disent les lois de la tour ? Qui pouvait prévoir ce qui poussait les sœurs à prendre telle ou telle décision ?

Perrin n’avait jamais réussi à se fier à une sœur, même quand certaines avaient tenté de se montrer amicales avec lui. Elles gardaient bien trop de secrets, et il était impossible de savoir ce qu’elles mijotaient dans le dos d’un homme, même et surtout quand elles lui faisaient des grâces en face. Oui, qui pouvait prédire le comportement de ces femmes ?

Il s’avéra que Loial ne savait pas grand-chose qui soit susceptible d’aider quand viendrait le moment décisif. De toute façon, il avait surtout envie de parler d’Erith. Comme Perrin le savait, il avait confié deux lettres à Faile, une adressée à sa mère et l’autre à Erith, qu’elle avait mission de remettre à leurs destinataires quand elle le pourrait, s’il arrivait quelque chose de… malheureux. Bien entendu, l’Ogier avait tenu un long discours à Faile pour lui assurer que rien de fâcheux ne se produirait. Inquiéter les autres le rendait malade, sans doute à cause de son bon cœur.

Perrin avait naturellement écrit une lettre pour sa femme. Amys s’était chargée de la transmettre aux Matriarches, dans le camp aiel.

— Elle est si belle…, murmura Loial, admirant la nuit comme s’il avait contemplé le visage de sa bien-aimée. Ses traits sont si délicats, même s’ils ne manquent pas de puissance. Et quand je croise son regard, il me semble que mes yeux ne peuvent rien voir d’autre. Et ses oreilles !

Les propres oreilles de l’Ogier tremblèrent frénétiquement et il faillit s’étrangler avec sa pipe.

— Perrin, pardonne-moi, je t’en prie ! Oublie que j’ai parlé de… Je n’aurais même pas dû y faire allusion ! Tu sais que je ne suis pas grossier, n’est-ce pas ?

— J’ai déjà oublié, lâcha Perrin, médusé.

Les oreilles d’Erith ?

Loial voulut savoir ce que ça faisait d’être marié. Non qu’il eût l’intention de prendre femme, se hâta-t-il d’ajouter. Encore trop jeune, avec un livre à finir, il ne se sentait pas prêt à mener une petite existence casanière – sans jamais sortir du Sanctuaire, sauf pour aller en visiter un autre, ce que toute épouse digne de ce nom insisterait pour faire de temps en temps. Bref, il était curieux, et rien de plus.

Perrin parla de sa vie avec Faile et de la manière dont elle l’avait déraciné sans qu’il s’en rende compte. Avant, Deux-Rivières était son foyer. Aujourd’hui, c’était là où se trouvait Faile. Songer qu’elle l’attendait l’incitait à accélérer le pas. Sa présence suffisait à illuminer une pièce, et son sourire dissipait tous les problèmes. Bien entendu, le jeune homme ne parla pas de la façon dont bouillait son sang quand il pensait à elle, ni des battements de son cœur qui s’accéléraient lorsqu’il la regardait. Ces choses-là devaient rester intimes, tout comme le trouble que Faile avait instillé jusque dans la moelle de ses os. Que devait-il faire pour arranger les choses ? Se jeter à genoux devant elle ? Il y était prêt, mais quelque chose, en lui, exigeait quand même qu’elle dise le premier mot. Ou simplement, qu’elle lui fasse comprendre son désir de voir les choses redevenir comme avant.