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Taim parut se matérialiser près de Rand. Des Dragons bleu et or enroulés autour des manches de sa veste noire, mais son col vierge d’insigne, il baissa les yeux sur l’homme à terre.

— Gedwyn, tu ne frapperais pas le Dragon Réincarné, pas vrai ?

Une seule phrase, dite sur un ton calme et ferme, et le type se releva péniblement, puis salua en se tapant du poing sur le cœur.

Rand voulut voir ce qu’il était advenu de Gawyn, mais ses yeux tombèrent sur un grand groupe d’hommes, un étendard au Sanglier Blanc battant au vent, qui se frayait un chemin sanglant parmi les Aiels, d’autres soldats en veste verte luttant pour les rejoindre.

Son étrange sourire-rictus sur les lèvres, Taim se tourna vers Rand :

— Considérant les circonstances, je suppose que tu ne m’en voudras pas d’avoir affronté des Aes Sedai malgré tes ordres. J’avais de bonnes raisons de venir te voir à Cairhien, et… (Taim haussa les épaules.) Tu es dans un piteux état… Me permettras-tu de… ?

Le sourire (ou rictus) disparut quand Rand recula pour échapper aux mains tendues du faux Dragon repenti, entraînant Min avec lui. Si c’était possible, elle s’accrochait encore plus à lui, désormais.

Comme toujours quand Taim était là, Lews Therin délirait au sujet de le tuer, d’en finir avec les Rejetés et de massacrer tout le monde. Rand cessa vite de l’écouter, sa voix devenant comme le bourdonnement d’une mouche. Un petit truc qu’il avait découvert dans le coffre, alors qu’il n’avait rien d’autre à faire que d’explorer le bouclier et écouter dans sa tête la voix d’un homme qui, la plupart du temps, n’avait pas toute la sienne.

Lews Therin ou non, Rand n’avait aucune envie d’être guéri par Taim. Si cet homme le touchait avec le Pouvoir, même sans mauvaises intentions, il risquait de ne pas pouvoir s’empêcher de le tuer.

— Comme tu voudras, marmonna Taim. Je crois avoir assuré la sécurité du campement…

Ça ne semblait pas être de la vantardise. Si le sol était couvert de cadavres, il restait très peu de combattants encore actifs à l’intérieur du cercle de chariots. Soudain, un dôme d’Air couvrit tout le périmètre, un trou ménagé au sommet permettant à la fumée de s’échapper. Ce n’était pas un unique tissage de saidin, remarqua Rand, car on voyait les « joints » de tous les flux individuels qui le composaient. À première vue, il devait y avoir dans les deux cents hommes en veste noire sous ce dôme. Quoi qu’il en soit, les éclairs et les boules de feu qui le percutaient explosaient sans faire de dégâts. Partout ailleurs, le ciel lui-même semblait en feu et le vacarme perçait les tympans.

Des Promises au brassard rouge et des siswai’aman se tenaient sur le périmètre intérieur de l’invisible barrière en compagnie de Cairhieniens et d’hommes de Mayene, beaucoup ayant perdu leur monture dans la bataille. De l’autre côté, une masse grouillante de Shaido se pressait contre l’obstacle sans substance qui les séparait de leurs ennemis. Certains le frappaient avec leurs lances ou se jetaient contre. Mais les armes s’arrêtaient dans le vide et les corps rebondissaient en arrière.

Sous le dôme, les derniers combats moururent sous le regard de Rand. Surveillés par des guerriers et des Promises à bandeau ou brassard rouge, des Shaido désarmés, le visage de marbre, retiraient leurs vêtements. Capturés sur le champ de bataille, ils allaient porter pendant un an et un jour la robe blanche des gai’shain, et ce même si leurs camarades finissaient par s’emparer du camp.

Des Gardes Ailés et des Cairhieniens en grand nombre tenaient à l’œil un groupe assez important de Champions, de membres de la Jeune Garde – tous aussi mécontents les uns que les autres – et de domestiques terrorisés.

Une bonne dizaine d’Aes Sedai avaient été coupées de la Source par autant d’Asha’man arborant fièrement l’épée et le Dragon. Rand reconnut trois de ces femmes, Nesune étant la seule dont le nom ne lui était pas étranger. En revanche, il n’avait jamais vu les Asha’man.

Plusieurs femmes qu’il avait coupées de la Source et assommées gisaient parmi ces prisonniers. Certaines commençaient à reprendre conscience pendant que des Dévoués, reconnaissables à l’épée d’argent, sur leur col, utilisaient le saidin pour traîner d’autres sœurs sur le sol et les ajouter à ce groupe. Les deux femmes assommées par l’explosion du coffre et leur compagne, qui hurlait toujours, furent elles aussi conduites près des autres. Quand elles les virent, plusieurs sœurs, parmi celles qui étaient conscientes, se détournèrent et vomirent tripes et boyaux.

D’autres Aes Sedai encore étaient présentes sous le dôme. Entourées par des Champions et surveillées par des hommes en veste noire – mais pas coupées de la Source –, elles regardaient les Asha’man avec autant de méfiance que leurs collègues prisonnières. Jetant de fréquents coups d’œil à Rand, elles se seraient approchées de lui, sans la vigilance des hommes en noir.

Rand constata qu’Alanna était là. Donc, il n’avait pas eu d’hallucinations. S’il ne reconnut pas toutes ses compagnes, il en identifia assez à son goût. Neuf sœurs en tout. Neuf ! Autour du cocon de Vide, une colère noire se déchaîna et le bourdonnement de Lews Therin monta de plusieurs tons.

Au point où il en était, Rand ne fut pas surpris de voir apparaître Perrin, le visage et la barbe couverts de sang, suivi par Loial, armé d’une hache et boitillant, et par un type aux yeux brillants qui aurait pu passer pour un Zingaro – la tenue correspondait – s’il n’avait pas brandi une épée à la lame rouge de sang.

Rand faillit jeter un coup d’œil alentour pour voir si Mat n’était pas de la fête. Du coup, il vit Dobraine, à pied, une épée dans une main et la hampe de l’étendard écarlate dans l’autre.

Nandera rejoignit Perrin et abaissa son voile. Une autre Promise approcha, sans que Rand la reconnaisse d’emblée. Puis il sourit, ravi de revoir Sulin en cadin’sor.

— Rand, s’écria Perrin, tu es vivant, que la Lumière en soit louée ! Notre plan prévoyait que tu ouvres un portail pour que nous filions tous, mais c’est raté ! Rhuarc et beaucoup de ses guerriers sont encore de l’autre côté, au milieu des Shaido. Idem pour les Cairhieniens et les Gardes Ailés. Et je ne sais pas ce qui est arrivé aux hommes de Deux-Rivières et aux Matriarches. Les Aes Sedai étaient censées rester avec elles, mais…

Perrin posa sur le sol la tête de sa hache, et il s’appuya au manche. Sans ça, rien ne garantissait qu’il aurait tenu debout.

Des cavaliers, des guerriers au bandeau et des Promises au brassard se pressaient aussi à l’extérieur du dôme, qui ne les laissait pas plus passer que les Shaido. Très vite, ces malheureux furent submergés par les Aiels ennemis.

— Dissipez le dôme ! ordonna Rand.

Perrin soupira de soulagement. Avait-il cru que son ami laisserait ses alliés se faire tailler en pièces ?

Loial soupira aussi. Par la Lumière ! quelle opinion avaient-ils de lui ?

Min se mit à masser le dos du jeune homme en lui murmurant à l’oreille des propos apaisants. Bizarrement, Perrin la regarda comme s’il n’en croyait pas ses yeux.

Surpris par l’ordre de Rand, Taim n’en était pas le moins du monde soulagé.

— Seigneur Dragon, dit-il, glacial, j’estime qu’il y a encore plusieurs centaines d’Aielles – des Shaido – là-dehors, certaines très puissantes. Sans parler de milliers de guerriers armés de lances. À moins que tu tiennes à découvrir si tu es immortel, je suggère que nous attendions quelques heures, le temps de connaître assez bien cet endroit pour ouvrir des portails en sachant où ils nous conduiront, puis que nous fichions le camp. Dans une bataille, les pertes sont inévitables. Aujourd’hui, j’ai perdu neuf hommes qui seront bien plus difficiles à remplacer que n’importe quel nombre d’Aiels renégats. Dans nos rangs, tous ceux qui mourront seront tombés pour le Dragon Réincarné.