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Il y aurait aussi les Seigneurs de la Terreur, et la Lumière seule savait qui d’autre encore. Assez d’ennemis pour ruiner ses plans et tout dévaster.

Rand serra plus fort le manche sculpté du Sceptre du Dragon. Le temps était le pire ennemi de tous. Celui qu’il avait le moins de chances de vaincre.

— J’écraserai nos adversaires, Taim. Tous, jusqu’au dernier ! Ils croient tout pouvoir détruire. Détruire, jamais construire ! Moi, je suis un bâtisseur, et je laisserai une œuvre dans mon sillage. Quoi qu’il arrive, il en sera ainsi. Je vaincrai le Ténébreux et je purifierai le saidin, afin que les hommes comme nous n’aient plus peur de devenir fous. Alors, le monde ne les redoutera plus, et…

Alors que Rand agitait son sceptre, le gland vert et blanc oscilla frénétiquement. La chaleur et la poussière lui montaient à la tête. C’était tout bonnement impossible ! Une partie de son plan pourrait être réalisée, mais pas l’ensemble. Le mieux qu’il pouvait espérer, tout comme ses compagnons, c’était de vaincre puis de mourir avant d’avoir sombré dans la folie. Et ce projet-là semblait déjà trop ambitieux. La seule option était d’essayer encore et encore. Car il devait exister un moyen de réussir. Si le mot « justice » signifiait quelque chose, il ne pouvait pas en aller autrement.

— Purifier le saidin…, répéta Taim. Il faudrait beaucoup plus de Pouvoir que tu sembles le penser… (Il plissa les yeux, pensif.) J’ai entendu parler de… sa’angreal. En détiens-tu un qui pourrait…

— Ne te soucie pas de ce que je détiens ou non ! lança Rand. Forme tous ceux qui peuvent l’être, puis trouve d’autres candidats, et recommence. Le Ténébreux n’attendra pas que nous soyons prêts. Nous n’avons pas assez de temps, mais il faudra faire avec. Oui, il le faudra !

— Je ferai de mon mieux… Simplement, n’espère pas que Damer soit capable dès demain de faire s’écrouler les fortifications d’une cité.

— Taim…, fit Rand, hésitant. (Il se jeta à l’eau.) Si tu remarques un disciple qui apprend trop vite, préviens-moi sans perdre de temps. Un des Rejetés peut tenter de s’infiltrer parmi nos étudiants.

— Un des Rejetés ? (Pour la deuxième fois, Taim semblait ébranlé – et même carrément sonné.) Pourquoi… ?

— Quelle est ta puissance ? coupa Rand. Connecte-toi au saidin ! Allez ! Puise autant de saidin que tu peux en maîtriser !

Un moment, Taim dévisagea mornement Rand. Puis le Pouvoir se déversa en lui. Il n’y eut pas d’aura, contrairement à ce que pouvait voir une femme quand une autre canalisait, mais simplement une sensation de force et de menace que Rand capta clairement et qu’il n’eut aucun mal à évaluer. Taim avait puisé assez de saidin pour dévaster en une fraction de seconde la ferme et tuer tous les gens qui s’y trouvaient. Et la destruction se répandrait ensuite à perte de vue… Bref, ce n’était guère moins que les ravages qu’aurait pu provoquer Rand, sans l’aide d’un artefact. Et Taim pouvait tricher, gardant de la force en réserve. En tout cas, il ne semblait pas risquer d’être débordé par le Pouvoir. Ignorant comment Rand réagirait, il avait peut-être voulu laisser un atout dans sa manche.

Le saidin, ou du moins ce que Rand en captait, cessa de couler en Taim. À cet instant, Rand s’avisa qu’il était lui-même envahi par la moitié masculine de la Source – un véritable torrent, tous les flux qu’il pouvait canaliser par l’intermédiaire de l’angreal glissé dans sa poche.

Tue-le ! grommela Lews Therin. Tue-le sur-le-champ !

Un instant, Rand fut comme pétrifié de surprise. Le néant qui l’entourait vacilla, le saidin se déchaîna et il s’en coupa juste avant que le Pouvoir détruise son cocon de Vide – et lui avec.

Était-ce lui qui s’était connecté à la Source ? Ou Lews Therin ?

Tue-le ! Tue-le !

Enragé, Rand cria à l’intérieur de son crâne :

— Tais-toi ! Tais-toi !

À sa grande surprise, la voix mourut.

Son front ruisselant de sueur, il l’essuya d’une main qu’il eut toutes les peines du monde à empêcher de trembler. C’était lui qui était entré en contact avec la Source, il ne pouvait pas en aller autrement. La voix d’un homme mort n’aurait pas pu faire ça. D’instinct, il n’avait pas supporté d’être impuissant face à Taim, alors que celui-ci s’emplissait de tant de saidin. C’était la seule explication.

— Si quelqu’un apprend trop vite, fais-moi prévenir, c’est tout ce que je te demande…, marmonna-t-il à l’intention de Taim.

En disait-il trop à cet homme ? Peut-être, mais les gens avaient le droit de savoir ce qui les attendait. Jusqu’à un certain point, en tout cas. Par contre, pas question que Taim, ni quiconque d’autre, apprenne d’où il tenait une grande partie de ce qu’il savait. Si les gens découvraient qu’il avait eu un Rejeté comme prisonnier, le laissant en plus s’échapper… Bien entendu, en cas de fuites, les rumeurs omettraient de mentionner la notion de « prisonnier ». Les Capes Blanches l’accusaient d’être un faux Dragon – et un Suppôt des Ténèbres, comme tous ceux qui maniaient le Pouvoir de l’Unique, selon eux. Si la vérité éclatait au sujet d’Asmodean, la théorie des Fils de la Lumière risquait de faire beaucoup d’adeptes. Et nul ne songerait que Rand, pour apprendre à utiliser le saidin, avait été contraint de recourir aux services d’un homme. Aucune femme n’aurait pu l’aider, ni voir ses tissages, tout comme il aurait été incapable de voir les siens.

« Les hommes ont tendance à croire aisément au pire, et les femmes à penser qu’il y a toujours pire que le pire. »

Un vieux proverbe de Deux-Rivières…

S’il se remontrait un jour, Rand s’occuperait en personne d’Asmodean.

— Sois vigilant, Taim. Et discret.

— Je suis aux ordres du seigneur Dragon.

Sincère ou pas, Taim esquissa une révérence avant de retourner vers ses étudiants.

Rand s’avisa alors que les Promises le regardaient. Enaila, Somara, Sulin, Jalani et toutes les autres, de l’inquiétude se lisant dans leurs yeux. Alors que ces femmes acceptaient presque tout ce qu’il faisait – ces actes qui le forçaient à tressaillir lui-même et qui choquaient tout le monde, à part les Aiels – elles s’indignaient en général au sujet de choses qui lui semblaient les plus anodines du monde. Un paradoxe de plus. Mais le plus souvent, elles acceptaient et se rongeaient les sangs pour lui.

— Tu ne dois pas te fatiguer, dit Somara.

Rand tourna la tête vers la Promise, qui s’empourpra jusqu’aux oreilles. Si cet endroit ne pouvait pas être considéré comme un lieu public – Taim étant de toute façon déjà trop loin pour entendre – la remarque dépassait quand même les bornes.

Tirant un shoufa de rechange de sa ceinture, Enaila le tendit à Rand.

— Trop t’exposer au soleil, ce n’est pas bon pour toi…, murmura-t-elle.

— Oui, il aurait besoin qu’une épouse veille sur lui, souffla une des autres guerrières.

Rand n’aurait su dire laquelle. Même Somara et Enaila attendaient qu’il ait le dos tourné pour tenir ce genre de propos. En revanche, il savait très bien qui était l’épouse en question. Aviendha. Qui aurait pu faire une meilleure femme, pour le fils d’une Promise, qu’une Promise ayant abandonné la lance pour devenir une Matriarche ?

Ravalant un accès de colère, Rand noua le shoufa autour de sa tête et fut aussitôt reconnaissant à Enaila. Le soleil tapait fort, et l’accessoire vestimentaire en tissu ocre, aussitôt trempé de sueur, était une véritable protection contre la chaleur. Taim avait-il comme les Aes Sedai un « truc » qui lui permettait d’être insensible aux conditions climatiques ? Alors que le Saldaea était un pays du Nord, il ne transpirait pas plus que les Aiels.