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Maniant son éventail, elle cessa d’écouter encore que donnant bien l’apparence de lui prêter sa pleine attention ; c’était un art que son père lui avait enseigné, nécessaire à des moments comme celui-ci. Évidemment. Les toits de tuiles de Maître Hornval concurrençaient les couvertures en chaume de Cenn.

Tout le monde n’avait pas les réactions de Cenn à l’égard des nouveaux venus. Haral Luhhan, le forgeron du Champ d’Emond, s’était associé avec un coutelier domani et un ferblantier de la Plaine d’Almoth ; Maître Aydaer avait engagé trois hommes et deux femmes qui connaissaient la fabrication des meubles, la sculpture ainsi que la dorure, bien que l’or n’abonde certes pas pour cet usage-là. Son siège et celui de Perrin étaient leur œuvre, rivalisant en beauté ce qu’elle avait vu ailleurs. Aussi bien, Cenn avait engagé une demi-douzaine d’ouvriers et pas tous originaires des Deux Rivières ; bon nombre de toits avaient brûlé quand les Trollocs étaient venus et des maisons neuves s’élevaient partout. Perrin n’avait pas le droit de l’obliger à écouter seule ces inepties.

Les gens des Deux Rivières l’avaient peut-être reconnu pour seigneur – comme de juste après qu’il les avait menés à la victoire sur les Trollocs – et peut-être qu’il commençait à comprendre qu’il n’y pouvait rien – comme il le devait certainement lorsqu’ils s’inclinaient et l’appelaient Seigneur Perrin après qu’il leur avait dit de s’en abstenir – pourtant il refusait avec obstination l’apparat allant de pair avec l’état de seigneur, tout ce que les gens attendent de leurs seigneurs et nobles dames. Pis, il se dérobait aux devoirs d’un seigneur. Ce que Faile connaissait à la perfection, étant l’aînée des enfants survivants de Davram t’Ghaline Bashere, Seigneur de Bashere, de Tyre et de Sidona, Gardien de la frontière de la Dévastation, Défenseur du centre, Maréchal de Camp de la Reine Tenobia de Saldaea. D’accord, elle s’était enfuie pour devenir un de ceux qui partaient pour La Grande Quête du Cor de Valère – puis elle avait abandonné cette Quête pour un mari, ce qui parfois la stupéfiait encore – mais elle n’avait pas perdu la mémoire. Perrin écoutait quand elle expliquait et même hochait la tête aux bons endroits, mais essayer de l’obliger à accomplir le moindre de ces devoirs était comme de tenter de demander à un cheval de danser la sa’sara.

Cenn acheva sa diatribe en bafouillant, se rappelant juste à la dernière minute de retenir les invectives qui bouillonnaient derrière ses dents.

« Perrin et moi, nous avons choisi d’utiliser du chaume », dit Faile avec calme. Cenn hochait encore la tête avec satisfaction quand elle ajouta : « Vous n’avez pas encore fini la couverture. » Il sursauta. « Apparemment, vous vous êtes engagé dans plus de chantiers que vous ne parvenez à en mener à bien, Maître Buie. Au cas où le nôtre ne serait pas terminé d’ici peu, je crains que nous n’ayons à demander à Maître Hornval où il en est de ses couvertures de tuiles. » La bouche de Cenn remua vigoureusement en silence ; si elle mettait des tuiles sur le manoir, d’autres l’imiteraient. « J’ai pris plaisir à vous entendre, mais je suis sûre que vous aimerez mieux achever mon toit plutôt que de perdre du temps en conversation futile, quelque agréable qu’elle soit. »

Cenn pinça les lèvres, la regarda un instant d’un air maussade, puis esquissa un petit salut. Il marmonna des mots inintelligibles sauf un dernier « Ma Dame » étranglé, puis il sortit à grands pas en frappant bruyamment le parquet nu avec sa canne. Ce que tes gens inventaient pour lui gâcher son temps à elle ! Perrin allait partager avec elle ce gaspillage quand bien même elle devrait l’attacher pieds et poings liés.

La suite ne fut pas aussi exaspérante. Une femme naguère corpulente, sa robe brodée de fleurs raccommodée pendant sur elle comme un sac, qui était arrivée de la lointaine Pointe de Toman, au-delà de la Plaine d’Almoth, voulait établir un commerce d’herbes médicinales et de remèdes. Le gros Jon Ayellin frottant sa tête chauve et le maigre Thad Torfinn tourmentant les revers de sa tunique se disputaient les limites de leurs champs. Deux Domanis en long gilet de cuir, avec une barbe coupée court, des mineurs, pensaient avoir vu des traces d’or et d’argent en franchissant les montagnes. Et aussi du fer, bien que moins intéressés par ce fer. Et enfin une Tarabonaise sèche et nerveuse, un voile transparent devant son visage étroit et ses cheveux clairs nattés en mille tresses, affirmait être maîtresse tisserande et savoir comment se fabriquent les métiers à tisser les tapis.

À la femme qui s’intéressait aux herbes médicinales Faile recommanda de s’adresser au Cercle des Femmes ; si Espara Soman s’y connaissait réellement, le Cercle lui trouverait une place auprès d’une des Sagesses de village. Avec l’arrivée de tant de gens nouveaux, dont beaucoup sérieusement éprouvés par le voyage, pas une Sagesse des Deux Rivières n’avait moins d’une ou deux apprenties, et toutes en cherchaient d’autres. Peut-être pas exactement ce que souhaitait Espara mais par où elle devrait débuter. Quelques questions rendirent évident que ni Thad ni Jon ne se rappelaient exactement où était la limite de leurs champs – manifestement, ils en discutaient déjà avant sa naissance – aussi leur conseilla-t-elle de couper la poire en deux. Ce qui semblait être ce que chacun d’eux avait pensé que serait la décision du Conseil du Village, la raison pour laquelle ils avaient continué à en discuter si longtemps seulement entre eux.

Les autres, elle leur accorda la permission demandée. En réalité, ils n’avaient pas besoin de permission, mais mieux valait les informer dès le début où était l’autorité. En échange de son consentement et d’une somme d’argent suffisante pour acheter vivres et matériel, Faile obtint des deux Domanis leur accord de donner à Perrin un dixième de ce qu’ils découvriraient, ainsi que l’emplacement du minerai de fer mentionné en passant. Perrin n’aimerait pas cela, mais les Deux Rivières n’avaient rien ressemblant à des impôts et un seigneur était censé faire et fournir des choses qui coûtaient des espèces sonnantes et trébuchantes. Et le fer serait aussi utile que l’or. Quant à Liale Mosrara – si la Tarabonaise prétendait avoir plus d’habileté qu’elle n’en avait, son entreprise ne durerait pas longtemps, mais dans le cas contraire… trois tisserands spécialisés dans la fabrication des étoffes assuraient que les négociants trouveraient plus que de la laine brute quand ils viendraient de Baerlon l’année prochaine et de bons lapis seraient des articles à vendre qui rapporteraient un supplément de monnaie. Liale promit que le premier et le plus beau issu de ses métiers serait pour le manoir et Faile accepta le cadeau avec une gracieuse inclination de tête ; elle donnerait davantage si et quand les lapis apparaîtraient. Les parquets avaient besoin d’être revêtus. Au total, chacun semblait raisonnablement satisfait. Même Jon et Thad.

Comme la Tarabonaise sortait à reculons en esquissant une révérence, Faile se leva, contente d’en avoir terminé, puis s’immobilisa alors que quatre femmes entraient par une des portes qui flanquaient la cheminée du côté opposé de la salle, toutes transpirant dans leurs vêtements en robuste drap des Deux Rivières. Daise Congar, aussi grande que la plupart des hommes et plus massive, dépassait en hauteur les autres Sagesses : elle se porta en avant afin d’assumer la présidence de la délégation ici aux abords de son propre village. Edelle Gaelin, de la Colline-au-Guet, mince avec une tresse grise, signifia nettement par son attitude rigide et son visage fermé qu’elle estimait avoir droit à la place de Daise en vertu de son âge et du nombre d’années depuis qu’elle assumait sa charge ne serait-ce que pour ces raisons. Elwinn Taron, de la Tranchée-de-Deven, était la plus petite, une femme potelée avec un plaisant sourire maternel qu’elle gardait même quand elle imposait aux gens de faire ce dont ils n’avaient aucune envie. La dernière, Milia al’Azar, de Taren-au-Bac, restait en arrière ; la plus jeune, presque assez pour être la fille d’Edelle Gaelin, elle paraissait toujours manquer d’assurance quand elle se trouvait en compagnie des premières.