Выбрать главу

Maintenant que la course-poursuite était terminée, il tremblait de tous ses membres. Par réflexe, il essaya d’attraper sous son pull le médaillon en forme de soleil que son père avait laissé pour lui avant de disparaître et qui ne quittait jamais son cou, avant qu’Agathe ne s’en empare. Ce qui avait valu à la voleuse d’être enlevée à sa place par les Gommons. Mais qu’il était stupide, le bijou n’était pas là ! Agathe n’avait pas pu le rendre à l’Apprenti : elle se l’était fait dérober par un soldat de Thunku à son arrivée dans le Monde Incertain. Guillemot aurait tellement eu besoin d’un soutien en ce moment ! Même du soutien d’un père inconnu.

Il lui fallut un moment avant de retrouver son calme. Il grava Dagaz dans la terre avec son Ristir, pour que le Graphème conserve sa puissance. Puis il sortit de sa sacoche la petite bouteille d’eau et les deux pommes qu’il emportait toujours avec lui. Il ne lui restait plus qu’à attendre.

XVI Guillemot confirme ses talents

Guillemot grignota la moitié d’une pomme et but une gorgée d’eau. Puis il s’installa confortablement, tira de sa sacoche un long vêtement gris, souple et léger : c’était un manteau de Petit Homme de Virdu, qu’il avait dérobé l’été dernier au monastère et qu’il avait porté durant tout son voyage dans le Monde Incertain. Il ne s’en séparait plus. Il s’enroula dedans avec un sentiment de réconfort, et, fatigué par cette course oppressante, se laissa gagner par le sommeil.

Il fit un rêve étrange. Maître Qadehar tambourinait sur la porte du monastère et hurlait : « Guillemot ! Guillemot ! Ouvre-moi ! »

Il se réveilla en sursaut et prit sa tête entre les mains. L’image de Qadehar avait disparu, mais il entendait toujours distinctement sa voix !

« Guillemot, disait-elle, tu m’entends ? »

– Maître ! C’est bien vous ? articula Guillemot, stupéfait.

« Oui, c’est moi. Mais inutile de crier, mon garçon, je te parle dans ta tête. Réponds-moi de la même façon. »

« Mais… comment est-ce possible ? »

« J’ai construit un sortilège autour de Berkana, le Graphème qui permet d’entrer en communication avec les esprits. J’ai eu du mal à te localiser. »

« C’est parce que j’ai gravé Dagaz à côté de moi… Mais qu’est-ce que vous faites là ? »

« Nous sommes tombés dans un piège dans le Monde Incertain. Je n’ai pas le temps de t’expliquer. Bon sang, Guillemot, dis-moi plutôt ce qui se passe ! Je suis devant le monastère et la porte refuse de s’ouvrir ! Personne ne répond à mes appels ! »

« C’est l’Ombre, Maître, expliqua l’Apprenti en formant les mots dans sa tête. Quelqu’un de très grand, avec un immense manteau rouge ! Il a réussi à ouvrir la porte et à neutraliser Bertram… Peut-être même tous les Sorciers ! Je l’ai vu lancer un sort de recherche. Il me poursuit, Maître ! »

« Calme-toi, Guillemot. Où es-tu ? »

« Je suis dans les sous-sols. Dans un couloir menant à d’anciennes mines. Je crois que j’ai réussi à lui échapper. »

« Fais très attention, Guillemot. Ombre ou pas, cet homme semble posséder une magie très puissante. » « Il faut m’aider, Maître… Faites quelque chose ! » « La porte est bloquée de l’intérieur, et les sortilèges mis en place par la Guilde autour de Gifdu m’empêchent d’utiliser les chemins du Wyrd pour te rejoindre. Je vais voir ce que je peux faire, mais ça me paraît…

Attention, Guillemot ! Quelqu’un essaie d’intercepter notre communication ! Je vais devoir éteindre Berkana pour qu’on ne remonte pas jusqu’à toi… »

La voix de Qadehar disparut et Guillemot se retrouva seul de nouveau. Mais il savait que son Maître était là, prêt à lui venir en aide ! Cette idée le ragaillardit. Pourtant, son mystérieux poursuivant, égaré un moment, était visiblement de nouveau sur ses traces.

Il n’avait peut-être plus beaucoup de temps devant lui.

« Réfléchis mon vieux, réfléchis ! » s’encouragea-t-il.

Il devait à tout prix débloquer cette maudite porte d’entrée et se mettre hors de portée de l’homme au manteau rouge, ceci le temps que son Maître vienne à son secours. Le second problème lui parut dans l’immédiat plus facile à résoudre et il s’y attaqua. Il se mit à penser à voix haute :

– Je dois me préparer à l’arrivée de l’homme en rouge… Mais comment me mettre à l’abri ? L’autre nuit, Maître Qadehar a parlé du Galdr de l’Armure d’Elhaz, et du Lokk du Heaume de Terreur… Il a dit que l’un était plus sûr à utiliser, et que l’autre était plus puissant. Lequel choisir ? C’est sûr, je maîtrise mieux le Galdr. Mais est-ce qu’il sera suffisant contre cet homme ? Voyons… Il a réussi à entrer à Gifdu. J’ai peur que même le Lokk du Heaume soit trop faible pour l’arrêter ! Et si… si j’essayais une autre solution ? Bon sang, pourvu que j’en sois capable !

Il se déplaça au centre de la pièce, saisit son poignard et, comme il avait vu son Maître le faire devant les Sorciers dans la salle d’entraînement, grava six symboles autour de lui. Mais ce n’était pas Elhaz qu’il fixait sur le sol ! Il s’efforçait de reproduire, six fois de suite et le plus exactement possible, le Lokk du Heaume de Terreur que son Maître avait dessiné dans l’air, sous ses yeux, la nuit dernière.

« Je joue gros, songea-t-il. Maître Qadehar l’a dit : une seule erreur et le Lokk ne marche pas. J’en ai fait six ! Six fois plus de chances que ça foire ! »

Son travail achevé, il se reposa un instant. La concentration l’avait fait transpirer et il se sentait épuisé. Puis il prononça l’incantation du Galdr de l’Armure, en la modifiant légèrement :

– Par le pouvoir d’Elhaz, Erda et Kari, Rind, Hir et Loge, Ægishjamur devant, Ægishjamur derrière, Ægishjamur à gauche, Ægishjamur à droite, Ægishjamur au-dessus, Ægishjamur au-dessous, Ægishjamur protège-moi ! ALU !

Il avait combiné la puissance d’un Lokk et d’un Galdr. Cela serait-il suffisant pour arrêter son poursuivant ? Guillemot sentit l’air frémir autour de lui. Puis tout redevint normal.

« Pourvu que ça marche… » soupira-t-il.

Il lui restait maintenant à s’occuper de la porte d’entrée. Mais comment ? se dit-il. Comment l’ouvrir, depuis le sous-sol où il se trouvait ? Ses connaissances n’étaient pas assez grandes pour agir à distance avec un sortilège. Et l’homme en rouge avait dû barder l’entrée de Graphèmes protecteurs ! Il fallait plutôt songer à un moyen détourné. Oui, un moyen auquel l’homme en rouge n’aurait pas pensé…

Pris d’une intuition soudaine, Guillemot fouilla dans sa sacoche. Il sortit son carnet et en extirpa une feuille pliée en quatre, sur laquelle était imprimée la liste des dossiers disponibles dans le programme informatique de Gifdu, volée dans l’ordinateur en même temps que le plan du monastère. Il la consulta fébrilement.

– Prévision des menus pour le mois de novembre, Budget de l’année en cours, Liste des personnes hostiles à la Guilde… Ah, voilà : Sécurité du monastère ! Je suis sûr qu’il y a là-dedans une solution pour ouvrir la porte ! Seulement… Seulement je me trouve à l’endroit le plus éloigné de la salle informatique, et je n’ai pas d’ordinateur dans ma sacoche !

Entendre sa propre voix lui faisait du bien. Il réfléchissait à toute allure. Il tapota machinalement sur le sol, et se figea tout à coup. Bon sang ! Mais elle était là, la solution ! Il n’avait pas d’ordinateur : il n’avait qu’à s’en fabriquer un !