Il prit de nouveau son Ristir et traça dans la terre, le plus précisément possible, les contours d’un écran et d’un clavier d’ordinateur. C’était l’étape la plus facile. Il s’accorda ensuite un temps de réflexion, puis décida de fabriquer un Galdr en appelant Féhu, qui chargeait les objets en énergie, et Gebu, qui établissait les communications :
– Par le pouvoir de Frey et de L‘Araignée, de Gefn et du Don, Féhu grandi avec le loup, Gebu abri des démunis, dormantes et courantes, j’en appelle à vos énergies ! FÉG !
L’écran d’ordinateur que Guillemot avait dessiné sur le sol s’éclaira faiblement. Il se pencha et vit avec soulagement le bâton du curseur trembloter en haut à gauche. On n’y voyait pas grand-chose, mais ce serait suffisant !
En prenant soin d’effleurer les touches en terre du clavier, il tapa « Le Maître du Donjon », le mot clé qui lui avait déjà donné accès au programme secret. Il reconnut à peine la page d’accueil, tant la lumière de l’écran était faible. Il parvint à distinguer « Mot de Passe », qui clignotait sur fond de ciel étoilé.
Il réalisa le même tour magique que la dernière fois, en dessinant Elhaz et en obligeant le Graphème à dissoudre le verrou électronique. Il se retrouva bientôt dans le menu interdit. Il se rendit directement au dossier « Sécurité du monastère » et appuya sur la touche « Envoi ». Il emporta un peu de terre au bout de son doigt.
– Voyons… Jetons un coup d’œil sur la rubrique « En cas d’urgence ».
La touche d’envoi légèrement effacée, répondit moins bien. Guillemot découvrit alors, à la sous-rubrique « Porte d’entrée », un fichier intitulé « Une amélioration signée Gérald ! ». Il s’y rendit aussitôt.
– Génial ! jubila Guillemot. On peut ouvrir la porte depuis un ordinateur ! Elle est reliée à un système de déverrouillage mécanique.. Gérald devait en avoir marre que les autres méprisent ses ordinateurs. Et je mettrais ma main à couper qu’il ne l’a dit à personne !
Guillemot cliqua sur l’icône commandant l’ouverture mécanique d’urgence de la porte.
Il ne se passa rien.
– Oh, c’est trop bête ! gémit-il.
Il se rendit compte que la touche d’envoi était presque entièrement effacée. Il reprit son stylet, lui redonna une forme, puis l’actionna de nouveau. Cette fois, l’ordinateur enregistra la demande. Il n’avait pas la possibilité de vérifier si, en haut, les moteurs actionnant la porte installés par le prévoyant Gérald allaient se révéler plus puissants que les sortilèges de l’homme en rouge. Mais il l’espérait de toutes ses forces !
Devant lui, l’écran de l’ordinateur de fortune tremblota puis s’éteignit. L’Apprenti le balaya de la main et reprit son attente.
XVII Retrouvailles imprévues
Un bruit de pas fit sursauter le garçon. Un pas lourd, tranquille. On approchait de la pièce où il s’était réfugié !
Guillemot vérifia sans s’affoler que les Lokk dont il s’était entouré et qu’il avait tissés ensemble dans un Galdr de protection étaient toujours en place.
Le cœur battant, il vit bientôt une silhouette surgir au bout du couloir en pierre. Une silhouette massive, drapée dans un grand manteau rouge, couleur de sang ! Lorsqu’il aperçut Guillemot, l’homme s’arrêta. Il ôta sa capuche et dégagea son visage que mangeait une barbe de quelques jours.
Il avait des cheveux bruns et bouclés, et de très beaux yeux couleur d’améthyste. Il n’était pas très vieux, trente ou trente-cinq ans, peut-être.
Il s’adressa à Guillemot d’une voix grave.
– Eh bien, mon garçon, on peut dire que tu m’as fait courir ! Très astucieux, le coup de la fausse Pierre Bavarde. Et je parie que tu as dissimulé ton identité mentale derrière ce bon vieux Dagaz ! Je me trompe ?
– Qui êtes-vous ? interrogea Guillemot, désarçonné par l’aspect et la voix amicale de celui qui le traquait.
– D’où je viens, on m’appelle le Seigneur Sha.
– Le… Le Seigneur Sha ? bégaya Guillemot.
– Tu me connais ? s’étonna l’homme en rouge.
– Disons que… On raconte une histoire à votre sujet…
– Une histoire qui n’a certainement rien à voir avec la vérité, crois-moi, l’interrompit le Seigneur Sha. Mon histoire à moi va peut-être trouver ici une partie de son achèvement… N’aie pas peur, je ne te ferai pas de mal.
Il s’avança. Instinctivement, l’Apprenti eut un mouvement de recul ; puis il se rappela qu’il était à l’abri d’un Galdr et il releva la tête en signe de défi. Il n’en souhaita pas moins ardemment que son sortilège soit assez résistant…
A moins d’un mètre de Guillemot, là où les Ægishjamur étaient tracés, l’homme se heurta à un mur invisible. Il grogna de surprise. Il recula de quelques pas et fit un geste compliqué dans les airs. Il y eut un crépitement d’étincelles dorées.
La protection de l’Armure d’Elhaz, bâtie par l’Apprenti et renforcée par le pouvoir d’un Lokk, vacilla mais tint bon. Le Seigneur Sha émit un sifflement d’admiration.
– Bravo, mon garçon ! Je ne sais pas si j’aurais fait mieux !
Il porta sur le garçon un regard amusé, que Guillemot soutint sans faiblir.
– J’imagine qu’il est inutile de te demander d’abaisser tes défenses : je te fais peur et je le comprends. Je pourrais bien sûr abattre ta protection, avec un peu de temps, mais je ne cherche pas à t’attraper. Je veux simplement savoir quelque chose. Et pour cela, un simple sortilège suffira.
L’homme dessina dans les airs une nouvelle succession de Graphèmes et chuchota des mots incompréhensibles. Aussitôt, Guillemot se sentit tout bizarre.
Il lui sembla que quelque chose se promenait dans sa tête, visitait son cerveau. Il gémit. Il aurait voulu s’opposer à cette effroyable intrusion, chasser loin de lui ces doigts invisibles qui fouillaient dans son esprit !
Il essaya d’appeler les Graphèmes à son aide, mais aucun ne répondit. Puis cette sensation glacée s’évanouit aussi vite qu’elle était apparue. De l’autre côté de l’Armure d’Elhaz, le Seigneur Sha le regardait tristement.
– Je suis navré, mon garçon. On m’avait dit… J’avais cru que… Mais tu n’es pas celui que je pensais trouver. Hélas… J’espère que tu me pardonneras de t’avoir effrayé…
Au moment où il prononça ces paroles énigmatiques, un bruit se fit entendre. La seconde d’après, Qadehar faisait irruption dans la pièce.
– Guillemot ! s’écria-t-il en découvrant son Apprenti assis au centre d’une Armure d’Elhaz et qui faisait face à une silhouette imposante. Comment ça va ?
– Bien, Maître ! Et je suis rudement content de vous voir.
– Moi aussi, mon garçon !
Qadehar se tourna vers l’homme au manteau rouge qui n’avait pas bougé.
– Qui que tu sois, tu vas regretter de t’être introduit à Gifdu et de t’en être pris à mon élève ! gronda-t-il.
Le Sorcier adopta une Stadha offensive et fit face à son adversaire. Mais lorsqu’il aperçut le visage du Seigneur Sha, il resta figé de stupeur.
– Toi ? Mais je te croyais mort ! Où te cachais-tu ? Que fais-tu là ?
– Eh oui, c’est moi, vieux camarade ! répondit l’homme avec un sourire triste. Quant au reste, il faudra que tu trouves seul une réponse…