Выбрать главу

Profitant de l’étonnement qui avait saisi Qadehar, le Seigneur Sha bondit en avant et terrassa le Sorcier d’un coup de poing. Puis il s’enfuit dans le couloir.

Guillemot s’empressa d’effacer avec le pied le sortilège de protection et se porta au secours de son Maître, qui gisait, inanimé.

– Comment vous sentez-vous, Maître ?

Guillemot avait aidé Qadehar à s’asseoir contre l’un des murs de la pièce et lui avait donné à boire le reste de sa bouteille d’eau.

– Bien, bien, Guillemot. Je te remercie. Si je n’avais pas été épuisé par ces voyages entre les Mondes, jamais je ne me serais laissé surprendre.

– Est-ce qu’il ne faudrait pas poursuivre l’homme en rouge ?

Qadehar eut un geste las.

– Inutile. A l’heure qu’il est, il doit avoir quitté Ys.

– Vous avez vu Bertram ? Il était assommé, près de l’entrée. Est-il revenu à lui ?

– Ton ami reprenait connaissance quand la porte… Au fait, comment as-tu fait pour l’ouvrir ? Et que faisais-tu au milieu d’une Armure d’Elhaz ?

– Je vous raconterai, Maître, éluda Guillemot en rougissant. Vous avez des nouvelles de Gérald et des autres ?

– Oui, ils sont sains et saufs, en train de se débattre dans un sortilège d’immobilisation. Sauf Charfalaq, qui ne s’est pas manifesté. De toute façon, isolé dans son donjon, il n’entendrait pas même Ys sombrer dans les flots ! Je n’ai pas pris le temps de les délivrer, j’étais pressé de te retrouver.

– Alors, le Seigneur Sha n’est pas si mauvais puisqu’il n’a tué personne !

– Le Seigneur Sha ? Comment sais-tu que c’est le Seigneur Sha ? s’étrangla Qadehar.

– Il me l’a dit, Maître. D’ailleurs, il n’avait pas l’air de me vouloir du mal. Il cherchait simplement à vérifier quelque chose. Et je crois bien qu’il a été déçu…

– Le Seigneur Sha, répéta Qadehar, soudain pensif. Nous ferions fausse route depuis le début ? Bon sang, je ne comprends plus rien !

– Que s’est-il passé, Maître, dans le Monde Incertain ?

Qadehar s’adossa au mur et soupira.

– On nous attendait. Nous sommes tombés dans une embuscade. Des Orks nous ont attaqués, par centaines. Pendant que mon escouade de Sorciers était assaillie de leurs coups, je me suis introduit dans la tour du Seigneur Sha où nous pensions trouver l’Ombre. Mais elle était déserte. Pendant ce temps, Sha forçait la porte de Gifdu…

– Où il pensait lui aussi trouver quelqu’un, poursuivit Guillemot. Mais quelqu’un d’autre que moi ! Qui ça, je n’en sais rien…

– Tu veux dire que cet homme… Que tu n’es pas celui qu’il cherchait ? Es-tu sûr ? demanda Qadehar en observant Guillemot du coin de l’œil.

– C’est ce qu’il m’a dit. Cela vous étonne, Maître ?

– Non, non… éluda Qadehar. Chacun s’attendait visiblement à trouver quelqu’un d’autre, ajouta-t-il, perplexe.

– Que voulez-vous dire ? Oh Maître… je vous en supplie, répondez-moi ! Après ce qui s’est passé aujourd’hui, j’ai le droit de savoir !

– Calme-toi, Guillemot. Oui, tu as le droit. Ce que je veux dire, c’est que nous avons attaqué Djaghataël parce que nous pensions que le Seigneur Sha et l’Ombre n’étaient qu’une seule et même personne. Or, Sha n’est pas l’Ombre…

– Comment le savez-vous ?

– Parce que celui qui t’a dit s’appeler Sha est en réalité Yorwan, un ancien camarade d’étude qui était mon cadet à Gifdu. C’est lui le Sorcier brillant et prometteur qui a disparu un jour, emportant avec lui Le Livre des Étoiles, et que personne n’a jamais pu localiser dans le Monde Incertain. Si bien que nous avons cru qu’il était mort…

Sha réapparut à proximité de sa tour, dans les ruines de Djaghataël. A peine avait-il quitté Gifdu qu’il avait utilisé le Galdr du Désert pour revenir chez lui.

En courant à travers les couloirs du monastère qui avaient réveillé chez lui des souvenirs plus ou moins douloureux, il s’était dit qu’il avait eu de la chance de tromper aussi facilement Qadehar ! Son ancien condisciple semblait avoir développé ses pouvoirs à un niveau impressionnant : pour briser les sortilèges qu’il avait apposés sur la porte de Gifdu, il fallait posséder une puissance magique redoutable. Il avait bien fait d’utiliser contre le Sorcier ses poings plutôt que des Graphèmes !

Tout en se dirigeant vers sa tour, il songea à cet enfant qui dégageait une force stupéfiante, et qui aurait pu être… Une terrible déception l’envahit.

Alors qu’il approchait l’entrée de la tour de Djaghataël, il découvrit les premiers cadavres d’Orks et les corps de Sorciers encore drapés dans leur inimitable manteau sombre. Il laissa échapper un cri de stupeur.

– Que s’est-il passé ?

Il ouvrit alors la porte de la tour et se précipita dans l’escalier. Il poussa la porte métallique de son laboratoire et s’arrêta net, figé par le spectacle qu’il découvrit. La pièce entière avait été saccagée. Il jura. Il se dirigea vers les tentures rouges, les arracha et prononça un sortilège d’ouverture. Un pan du mur s’écarta et dévoila une armoire. Elle était vide.

– Nous sommes perdus ! gémit Yorwan en s’affaissant sur le sol.

XVIII Une invitée inattendue

Guillemot ouvrit la porte de la maison où il vivait avec sa mère, à l’entrée du village de Troïl, et se précipita dans la cuisine. Il posa sur la table le pain qu’il venait d’acheter à la boulangerie, puis grimpa à toute vitesse l’escalier conduisant à sa chambre.

Il se jeta sur son lit et sortit de sa sacoche d’Apprenti la bande dessinée qu’il avait trouvée au grand magasin du village, une boutique qui vendait absolument de tout, du matériel de bricolage jusqu’aux bonbons, en passant par les journaux et des composants informatiques. Il feuilleta les pages de l’album, s’attarda sur quelques beaux dessins, puis entama sa lecture.

– Guillemot ! Tu n’as pas oublié le pain ?

– Non, m’man ! Je l’ai mis à la cuisine !

– Merci, mon chéri !

Il entendit sa mère aller et venir en bas, et ressentit un inexprimable soulagement. Les portes de placard qui s’ouvraient et se fermaient, le tintement des verres qu’elle rangeait, l’eau qui coulait du robinet, tout participait pour Guillemot à la marche normale de l’univers !

Il hésita, finalement abandonna sa lecture et s’étendit sur le dos, les mains derrière la tête. Son univers à lui n’était pas grand-chose, en définitive : sa maison, sa mère, le collège, Agathe et Thomas, la lande et Gifdu, Maître Qadehar… sans oublier, bien sûr Ambre, Coralie, Gontrand et Romaric ! Tout le monde n’avait pas la chance d’avoir de tels amis !

L’été dernier, lorsqu’ils étaient revenus de leurs aventures dans le Monde Incertain, le Prévost avait organisé une grande fête en leur honneur. Ils avaient dansé longtemps, Ambre et lui, autour du feu, et cela avait été un moment agréable. Sauf à la fin, quand il avait trouvé qu’elle commençait à le regarder d’une drôle de façon…

Gontrand était venu leur présenter sa conquête, une jolie fille rousse du village d’Atteti, dans les Montagnes Dorées. Ils avaient rejoint plus tard Coralie et Romaric autour d’une table et d’un verre de corma. Son cousin avait le visage rouge, et Coralie était plus enjouée que d’ordinaire…

Guillemot se mordit la lèvre : une idylle était-elle en train de se nouer entre eux ? Pauvre Romaric ! Ou pauvre Coralie…

L’Apprenti Sorcier ne put s’empêcher d’envier leur insouciance. Lui-même était assailli par trop de questions auxquelles il ne pouvait pas répondre. Le dénouement de sa rencontre avec Sha, dont il n’avait pas encore soufflé mot à ses amis, lui pesait. Il cherche le fils qu’on lui a volé ; un fils qui aurait aujourd’hui une douzaine d’années, lui avait confié Agathe à leur retour du Monde Incertain. Tu n’es pas celui que je pensais trouver, avait dit l’homme en rouge.