L’école consistait en un grand bâtiment carré en pierres de taille, donnant sur une cour de terre battue protégée par de hauts murs où avaient lieu les exercices équestres. Le rez-de-chaussée était réservé aux écuries. Une cave abritait un puits et le cellier. Le premier étage comprenait la salle d’armes, le gymnase, la bibliothèque et l’étude. Le deuxième étage la cuisine, le réfectoire, la salle d’eau et les dortoirs. Enfin, le dernier étage servait d’entrepôt d’armes et de matériel. L’ensemble dégageait une atmosphère particulièrement Spartiate.
D’un côté, les murailles grises de la forteresse se dressaient au sommet de falaises surplombant la mer, tandis que de l’autre, elles faisaient face aux étendues herbeuses de la lande. Pourquoi le castel avait-il été érigé à cet endroit ? Personne n’aurait su le dire. Toujours est-il que la Confrérie portait le nom du vent qui soufflait sans discontinuer sur cette région d’Ys désolée, âpre et austère, à l’image des Chevaliers qui y étaient formés…
Romaric soufflait et ahanait tout en frappant d’estoc et de taille le solide poteau de chêne planté à un angle de la cour, sous l’œil attentif et sévère d’un sergent instructeur. L’épée qu’il tenait à deux mains était lourde, et ses épaules étaient endolories. La sueur coulait sur son torse nu, et ses cheveux blonds, qu’il devrait couper court lorsqu’il serait Chevalier, étaient trempés.
– Tu peux arrêter et aller te reposer, Écuyer, dit le sergent instructeur.
– Je ne suis pas fatigué, Chevalier, protesta Romaric.
– Peut-être, mais d’autres attendent leur tour. N’oublie pas de nettoyer et de graisser ton épée avant de te changer.
Romaric céda sa place à un garçon robuste qui entailla aussitôt le poteau de chêne en faisant jaillir des éclats de bois. Il se dirigea vers un banc où étaient posées ses affaires et s’assit en grimaçant. Heureusement que le Chevalier instructeur lui avait donné l’ordre d’arrêter : cinq minutes de plus et il se serait effondré pour de bon ! Il posa son épée en travers de ses genoux et soupira.
Il avait explosé de joie quand le Commandeur de la Confrérie en personne était venu voir ses parents, et leur avait proposé de le prendre en écuyage à Bromotul, six mois avant l’âge requis. Son père avait ressenti une grande fierté, et l’oncle Urien avait même envoyé un message pour le féliciter. Romaric voyait son rêve se réaliser ! Mais à l’époque, il n’imaginait pas que ce serait aussi dur…
Ce n’était pas tant la formation qu’il supportait difficilement que l’attitude des Écuyers envers lui. Ces derniers croyaient qu’il avait été accepté à Bromotul sur la foi de ses exploits dans le Monde Incertain, et non sur ses capacités. Et même si, parfois, Romaric n’était pas loin de penser la même chose, il faisait tout pour se montrer à la hauteur, en essayant d’être bon camarade et en s’efforçant d’en faire toujours plus, pour prouver qu’il ne devait sa place sur les bancs de la forteresse qu’à lui-même.
Mais il se fatiguait bien plus qu’il ne le fallait, et il se sentait seul. Comble de malchance, le village de Bounic où vivaient ses parents se trouvait à l’autre extrémité du pays, alors les visites étaient rares. L’oncle
Urien était déjà venu trois fois, certes, mais il passait plus de temps à bavarder avec les vieux instructeurs, d’anciens Chevaliers comme lui, qu’à s’adresser à son neveu !
Les Écuyers, pour qui Bromotul représentait le collège ou le lycée, n’étaient libres que pendant les vacances… alors que l’Apprenti, lui, était libre dès qu’il quittait son Maître ou son professeur ! C’était là l’inconvénient de l’écuyage par rapport à l’apprentissage…
Romaric eut une pensée pour Guillemot, certainement en train de ramasser des plantes ou de discuter des Graphèmes avec Maître Qadehar. Puis il songea à ses amis, Gontrand, Ambre et Coralie. Coralie… Jamais il n’aurait imaginé qu’un jour cette fille lui sauverait la vie ! Il se revit en train de nager frénétiquement pour échapper aux Gommons cannibales, puis aux Méduses brûleuses. Il se souvint comment, épuisé, il avait cru sa dernière heure venue. C’est alors que Coralie avait surgi de nulle part pour l’aider à rejoindre les radeaux du Peuple de la Mer.
Romaric eut un frisson, et il resserra les mains autour de son épée, trop grande pour lui. Plus jamais il ne fuirait. Bientôt il serait Chevalier, et pourrait affronter n’importe quel danger ! Il posa un regard confiant sur la lame en acier bleuté. Cette épée, qu’on lui avait donnée lors de la cérémonie d’écuyage et qui serait sienne toute sa vie, représentait son rêve le plus cher : pourfendre les Orks et les Gommons en combat singulier. Mais s’il se décourageait après un mois d’écuyage, comment y parviendrait-il ?
Il attrapa un chiffon de feutre et s’appliqua à nettoyer consciencieusement son arme.
Un bruit de bottes le tira de ses pensées. C’était le Chevalier en charge de la surveillance du castel qui s’avançait vers lui.
– Écuyer ! l’appela-t-il d’une voix forte, il y a une visite pour toi.
Romaric fronça les sourcils. Qui cela pouvait-il bien être ? Certainement pas l’oncle Urien : il ne s’annonçait jamais à l’entrée et déambulait dans Bromotul comme dans son château de Troïl ! Intrigué, Romaric rangea l’épée dans son fourreau, prit une chemise dans son sac et, tout en l’enfilant, il se dirigea vers la porte massive qui donnait sur la lande.
II Entre cousins
Près de l’entrée, Romaric reconnut, encadrée par deux Chevaliers en armure, une silhouette qui lui était familière : bondissant de joie, il devança le garde et se précipita à sa rencontre.
– Guillemot ! Pas possible ! s’écria-t-il.
– Romaric !
Les cousins tombèrent dans les bras l’un de l’autre, sous le regard amusé d’Ambor et de Bertolen.
– J’aurais dû faire le rapprochement, dit Bertolen à son compagnon. Cet Écuyer s’appelle aussi de Troïl : il ne pouvait qu’être parent avec Guillemot !
– Et le vieil Urien de Troïl, l’ancêtre, celui qui parle fort et qui distribue à tout bout de champ de grandes claques sur l’épaule, c’est aussi un parent ? demanda Ambor.
– C’est notre oncle… répondirent d’une seule voix Guillemot et Romaric en faisant la moue.
– C’était un Chevalier valeureux, intervint le garde. Aujourd’hui, c’est vrai, il est un peu, comment dire...
– Un peu casse-pieds ? suggéra Romaric.
Le garde fronça les sourcils pendant qu’Ambor et Bertolen éclataient de rire.
– Excusez-moi, messire Chevaliers… les interrompit poliment Guillemot. Mais je n’ai pas beaucoup de temps et Romaric et moi avons tellement de choses à nous dire…
– Nous rentrons ce soir à Dashtikazar, dit Bertolen. Nous repartirons dans deux heures. Si tu veux être du voyage…
– Je vous remercie, c’est d’accord ! Je vous attendrai à la porte dans deux heures.
– Viens, Guillemot ! s’impatienta Romaric. Je vais te faire visiter ma nouvelle école !
Il prit son cousin par le bras et l’entraîna vers le banc où il avait laissé ses affaires.
– Waouh ! s’exclama Guillemot en apercevant l’épée dans son fourreau que Romaric ajustait dans son dos, à côté de son sac. C’est de ça dont tu me parlais dans tes lettres ? Eh bien, dis donc, c’est plus impressionnant qu’une sacoche d’Apprenti !