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Que signifiait tout cela ? Ses dons pour la magie n’auraient donc rien à voir avec les tentatives d’enlèvement dont il avait fait l’objet ? Ce ne serait pas l’Ombre qui serait derrière toutes ces manigances, mais le Seigneur Sha ? Persuadé que Guillemot était son fils, il aurait tenté de le récupérer ? Comment savoir… Et quel rapport avec Le Livre des Étoiles, que Sha-Yorwan avait dérobé lorsqu’il était jeune ?

Ces pensées fusaient à une vitesse vertigineuse dans sa tête, s’entrechoquant douloureusement. Quelqu’un possédait-il la réponse ? Quelqu’un connaissait-il la vérité ?

Au milieu de ce flot d’incertitudes, une chose au moins était sûre : sans pouvoir se l’expliquer, Guillemot se sentait déçu. Déçu, peut-être, de ne pas être ce fils qu’attendait Sha. Déçu de n’être le fils d’aucun père…

Il soupira, mais, plutôt que de continuer à se morfondre, il se plongea de nouveau dans sa bande dessinée.

Quelques minutes plus tard, alors qu’il était complètement absorbé par sa lecture, sa mère le héla depuis le rez-de-chaussée.

– Mon chéri ! Tu as de la visite !

Guillemot détestait être dérangé lorsqu’il lisait. Il se redressa sur les coudes et demanda d’une voix désagréable :

– Qui ça ?

– Une camarade de classe ! Je la fais monter ?

Une camarade de classe ? Guillemot se creusa la cervelle. Non, il ne voyait pas qui pouvait venir lui rendre visite à Troïl. Saisi par la curiosité, il répondit « oui » et s’assit sur le lit.

Quelqu’un grimpa l’escalier avec légèreté, hésita devant la porte où Guillemot avait suspendu une affiche portant l’inscription NE PAS DÉRANGER : PUISSANT SORCIER EN TRAIN DE LUTTER CONTRE DES FORCES MALÉFIQUES ! puis frappa.

– Entrez !

Une silhouette familière se glissa dans sa chambre et referma la porte derrière elle. Le cœur de Guillemot fit une embardée.

– Bonjour Guillemot ! Ça va ?

C’était Agathe ! Agathe de Balangru…

– Heu… Ça va, oui, merci, bredouilla le garçon, stupéfait.

– J’ai dit à ta mère que j’étais une copine de classe, expliqua la grande fille en s’approchant de lui. Qu’est-ce que tu lis ?

– Une B. D… Avec des sorciers, des chevaliers et des trolls. C’est sympa…

Agathe prit place sur le lit avec un incroyable sans-gêne et se mit à feuilleter l’album. Guillemot sentit ses joues s’empourprer…

Il n’en croyait pas ses yeux ! Il se pinça discrètement : non, il ne rêvait pas ! Son ex-pire ennemie était là, chez lui, dans sa chambre, sur son lit, et lisait sa bande dessinée ! Il frémit en imaginant Ambre entrer à ce moment-là dans sa chambre. Il n’était pas loin de regretter l’époque où Agathe le martyrisait.

– Hum… essaya-t-il de dire pour lutter contre le malaise qui l’envahissait, et… et Thomas ? Il n’est pas avec toi ?

– Non, répondit-elle en tournant vers Guillemot de grands yeux noirs mi-clos. Son père avait besoin de lui. J’ai profité d’être seule pour venir te voir.

– Ah bon ? Et… et pourquoi ?

– Tu ne devines pas ?

La gorge de Guillemot s’assécha brusquement, et il eut du mal à déglutir.

– N… Non.

– Pour t’inviter à la fête de Samain, bien sûr ! Mon père me laissera sa maison. Il n’y aura que Thomas et moi.

Guillemot se retint de pousser un immense soupir de soulagement. Qu’il était bête ! L’espace d’un instant, il avait cru qu’elle allait tenter quelque chose avec lui !

Il retrouva son calme et répondit :

– C’est très gentil, Agathe, mais… j’ai déjà prévu de passer la Samain avec Romaric, Gontrand et les jumelles. M. de Krakal nous prête son appartement !

– Dommage, soupira Agathe en secouant ses cheveux sombres qu’elle avait décidé de laisser pousser. Je m’en doutais un peu, remarque. Vous êtes plutôt du genre inséparable, tous les cinq ! Enfin, ajouta-t-elle en se relevant, on se verra certainement. La fête dure trois jours, et Dashtikazar n’est pas très grand !

– Oui, on s’y rencontrera certainement, confirma Guillemot qui, en même temps, espérait fortement le contraire.

Ambre comprendrait sans doute assez mal les nouveaux rapports qu’Agathe essayait d’établir avec lui…

– Bon, il faut que je file. Ça fait une trotte pour venir te voir !

Avant qu’il ait pu réagir, elle s’approcha de lui et l’embrassa sur la joue. Puis elle s’éclipsa. Guillemot resta abasourdi. Bon sang, oui, pourvu qu’ils ne la rencontrent pas pendant la fête de Samain !

XIX La Guilde se réunit

– Qadehar, c’est l’heure.

Deux Sorciers dont il ne se rappelait pas les noms étaient venus chercher le Maître dans la chambre où il était retenu prisonnier. Qadehar soupira et se leva de la chaise sur laquelle il méditait depuis de trop longues heures.

– Je suis prêt.

Il sortit dans le couloir. Ses geôliers improvisés le conduisirent en direction du gymnase. Lorsqu’il pénétra dans la vaste salle, le bourdonnement des conversations cessa et des centaines d’yeux se tournèrent vers lui. Des gradins de fortune avaient été installés et environ cent cinquante hommes vêtus du manteau sombre de la Guilde y étaient assis.

« Ils ont battu le rappel des troupes », se dit Qadehar en esquissant un sourire désabusé.

Ses gardiens l’emmenèrent au centre de la salle. En face de lui, sur une estrade, se tenait un collège de cinq Sorciers.

Qadehar reconnut celui qui allait jouer le rôle de procureur général dans ce procès grotesque : c’était le Mage du monastère de Gri, un établissement de la Guilde qui se dressait à l’autre extrémité de la Lande Amère. Qadehar n’aimait pas cet homme, un vieillard sec et ridé que la vie avait aigri plutôt qu’épanoui. Et cet homme, hélas, le lui rendait bien, depuis ce jour où le Maître Sorcier s’était moqué d’un livre traitant de la lecture de l’avenir dans les entrailles des poissons, et ceci en la présence du Mage de Gri, qui en était l’auteur…

Les quatre autres membres du Conseil étaient Charfalaq, qui semblait dormir derrière ses yeux morts, Gérald, qui faisait une tête d’enterrement, et deux Sorciers d’un certain âge et de second plan, qu’il avait vaguement aperçus, une fois, à Dashtikazar ou ailleurs.

Le Mage de Gri se leva et prit la parole.

– Qadehar, frère Sorcier. La Guilde a réuni ce Conseil pour faire toute la lumière sur le dramatique incident de Djaghataël. Nous écoutons tes explications.

Qadehar, d’une voix tranquille mais suffisamment forte pour se faire entendre de l’assemblée, prit la parole :

– Toute cette mise en scène est ridicule ! Je vous ai déjà rapporté l’affaire dans les moindres détails ! Je vous l’ai dit, nous sommes tombés dans un piège, monté par Thunku avec ses Orks de Yâdigâr. Oh, bien sûr, je ne crois pas qu’il puisse être l’instigateur de l’embuscade. Il travaillait sans doute pour un commanditaire… Cependant, je vous le répète, on nous attendait à Djaghataël !

– Cela fait beaucoup de « je crois » et de « sans doute », le coupa sèchement le Mage de Gri. Vous n’avez rien de plus convaincant à nous apporter ?

– Écoutez, continua Qadehar qui perdait patience, j’ai vu des Sorciers, dont beaucoup étaient des amis, mourir devant Djaghataël ! Que voulez-vous de plus ?

– Voyez-vous, Qadehar, reprit le Mage de Gri en plissant les yeux, ce qui nous paraît étrange, c’est que vous soyez justement le seul à être rentré sain et sauf de cette horrible aventure…