– Un bouseux qui joue du biniou ! lâcha Bertram en le toisant.
– Voilà Coralie, la fille d’Utigem de Krakal, poursuivit rapidement Guillemot pour empêcher Gontrand de répondre.
Bertram posa ses yeux sur Coralie et resta interdit.
– Quelle beauté ! Permettez, mademoiselle, que j’embrasse vos jolies mains !
– Tu ne te permets rien du tout et tu laisses ma sœur tranquille, intervint Ambre, les poings sur les hanches et le regard furieux.
– Hum… voici Ambre, la sœur de… tenta de dire Guillemot.
– En voilà une belle pouliche ! s’exclama Bertram en s’approchant de la jeune fille aux cheveux courts. Et qui a du caractère !
Bertram n’eut pas le temps d’en dire plus. Ambre lui décocha un coup de genou dans le bas-ventre qui plia le Sorcier en deux et l’envoya gémir sur le tapis.
– Bravo Ambre ! s’écria Gontrand, aux anges.
– Je t’adore ! ajouta Romaric avec vénération.
– Tu es folle ? Qu’est-ce qui t’a pris ? protesta Coralie. Il voulait juste m’embrasser les mains pour rendre hommage à ma beauté !
– Qu’il commence par rendre hommage au tapis, laissa tomber froidement Ambre avant de se tourner vers Guillemot : tu connais cet imbécile ?
– Il doit s’agir d’un malentendu, se défendit Guillemot. C’est Bertram, un Sorcier de Gifdu. Il n’est pas comme ça, d’habitude… Enfin, pas tout à fait ! Je ne comprends pas.
– Eh, il veut dire quelque chose, je crois ! les appela Coralie qui s’était approchée de Bertram, toujours plié en deux et gémissant sur le sol.
Le jeune Sorcier se tenait en effet l’entrejambe d’une main et tendait l’autre désespérément en direction de Guillemot. Des mots sortaient péniblement de sa bouche. Il avait du mal à articuler.
– Tu as raison, Coralie, reconnut Romaric. On dirait qu’il veut dire quelque chose.
– C’est touchant de voir un ver de terre essayer de communiquer, ajouta Gontrand.
– Je pense qu’on devrait abréger ses souffrances et l’écraser d’un coup de talon, proposa Romaric.
– Excellente idée, acquiesça Gontrand.
– Arrêtez un peu tous les deux ! gronda Guillemot en approchant son oreille des lèvres de Bertram.
– Et voilà, soupira Gontrand. Notre Guillemot ne peut jamais s’empêcher de venir en aide aux malheureux ! Je pense qu’il nous faudrait un chef plus énergique pour la bande. Ambre, par exemple !
– Tout à fait d’accord avec toi, continua Romaric.
– La ferme ! intima Guillemot. Je n’entends pas ce qu’il dit !
– Plaisantais… Je… De l’humour… D’où je viens on… comprend la plaisanterie…
– Il réclame une mort rapide ? demanda Gontrand, plein d’espoir.
– Ou l’assistance d’un notaire, pour ses dernières volontés ? ajouta Romaric.
Bertram avait empoigné par le col Guillemot, qui continuait à traduire pour ses amis
– Chose grave… Qadehar… Remplacer…
Puis, tout d’un coup, Bertram retrouva son souffle et sa voix : -Je suis ici envoyé par Qadehar ! Il lui est
ARRIVÉ QUELQUE CHOSE DE GRAVE ! IL M’A DEMANDÉ DE LE REMPLACER AUPRÈS DE TOI !
– Et avant ? lui demanda doucement Romaric tandis que Guillemot s’était reculé en défaillant, que disais-tu ?
– C’ÉTAIT UNE PLAISANTERIE ! D’OÙ JE VIENS, ON COMPREND LA PLAISANTERIE ! ON A LE SENS DE L’HUMOUR !
XXV La chasse au Jeshtan
– Dépêchez-vous, supplia Coralie en se tordant les mains. On va rater la chasse au Jeshtan !
– Attends un peu, la calma Gontrand. Guillemot n’est pas prêt…
– Guillemot, hurla Coralie qui trépignait dans l’escalier, dépêche-toi !
Guillemot, sous le choc des révélations que venait de leur faire Bertram, était encore assis sur le tapis du salon. Le brouhaha joyeux montait maintenant de la rue par la grande baie vitrée entrouverte. Près de lui, Ambre et Romaric tentaient de le convaincre de les rejoindre, sous le regard perplexe de Bertram qui se tenait à bonne distance de la jeune fille.
– Allez, cousin ! Je sais, ce n’est pas drôle, ce qui est arrivé à Maître Qadehar… Mais rester là à te morfondre ne l’aidera pas, et ne changera rien…
– Il a raison, Guillemot, enchaîna Ambre. Ne sois pas idiot ! C’est la première fois depuis les grandes vacances que nous sommes tous les cinq ensemble.
Ne gâche pas nos retrouvailles, comme l’autre zouave essaie de le faire depuis son arrivée…
– Le zouave en question s’appelle Bertram, hasarda le Sorcier en levant le doigt.
– Un nom aussi ridicule que ta moustache et tes bouts de poils sur le menton, rétorqua Ambre, acide.
– Écoutez, soupira Bertram, essayons de partir sur de nouvelles bases. Je regrette ce qui s’est passé. C’est ma façon à moi d’être drôle et…
– Bertram a raison, intervint Guillemot. Ce qui arrive à mon Maître est suffisamment terrible comme ça, alors nos petits soucis…
– Ah, vous voyez ? triompha Bertram.
– Petit souci, petit souci, c’est vite dit, objecta Romaric en fixant le Sorcier.
– De toute façon, reprit Bertram en retrouvant sa superbe, j’ai ici un papier de la Guilde me confiant Guillemot. Que vous le vouliez ou non, je…
– Tu sais où tu peux te le mettre, ton papier ? répondit Romaric en ricanant.
– Je vous signale, dit Gontrand de son air placide, que Coralie est en train de faire une syncope dans l’escalier.
Guillemot se décida.
– Bon, bougonna-t-il en se relevant. Je n’ai pas le cœur à m’amuser, mais je viens quand même avec vous. Et Bertram aussi. Je suis Apprenti Sorcier : je dois me conformer aux volontés de mon Maître, qui souhaite que Bertram me protège…
– Tout à fait ! dit Bertram en hochant la tête.
– On peut toujours essayer de le supporter, concéda Ambre après réflexion.
– Oui, continua Gontrand. Mais juste un essai, alors ! Disons ce soir…
Au même instant, Coralie, hors d’elle, fit irruption dans l’appartement et empêcha Bertram de s’insurger contre cette idée d’essai :
– Vous avez décidé de gâcher la fête de Samain, ma parole !
– On arrive, on arrive, répliqua Romaric sur le ton de la moquerie : Guillemot terminait de se préparer, et on hésitait à renvoyer ou à garder la maquilleuse…
– Crétin ! répondit l’Apprenti Sorcier qui pourtant ne put s’empêcher de sourire.
– Tu m’enlèves le mot de la bouche, ajouta Bertram.
Ils dévalèrent tous ensemble l’escalier dans un fracas terrible.
Dans la rue, des bandes de jeunes gens couraient dans tous les sens, en criant et en riant. La chasse au Jeshtan, qui inaugurait la première nuit de fête, avait commencé ! Le Jeshtan était, dans la tradition d’Ys, un gnome maléfique qui s’attaquait aux réserves de nourriture accumulées durant l’été pour passer la mauvaise saison : il était donc indispensable de le traquer et de le mettre hors d’état de nuire avant l’arrivée définitive de l’hiver…
– Je l’ai vu ! hurla une fille. Par-là !
La foule amorça un mouvement dans sa direction.
– Vite, allons-y ! dit Coralie, tout excitée.
– C’est parti ! répondit Gontrand en se mettant à courir avec elle.
Les quatre autres leur emboîtèrent plus mollement le pas.
– Emprisonner Maître Qadehar ! protesta Guillemot, furieux. Ils n’avaient pas le droit !
– Et tu dis, Bertram, que la Guilde a jugé Qadehar comme un vulgaire criminel ? demanda Romaric.
– Oui, répondit Bertram – le Sorcier avait décidé d’adopter une attitude conciliante. Le seul qui a essayé de le défendre a été Gérald, mon ancien Maître. A la fin, le Grand Mage Charfalaq avait l’air très triste, mais le Conseil a bel et bien suspendu Maître Qadehar de ses fonctions…