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– Ça ne tient pas debout ! décréta Ambre. Si c’est Sha qui est à l’origine du massacre de Djaghataël, pourquoi n’a-t-il pas tué les Sorciers de Gifdu ? Et pourquoi ne t’a-t-il pas enlevé, Guillemot ?

Guillemot ne répondit pas tout de suite. Il n’avait bien sûr pas tout raconté à ses amis ; ni ce que lui avait confié Agathe l’été dernier au sujet de Sha, à la recherche de son fils disparu, ni les paroles mystérieuses du Seigneur de Djaghataël. Et encore moins l’histoire de Yorwan, le voleur du Livre des Étoiles !

Bertram répondit à sa place, en se rengorgeant :

– C’est grâce à moi que Guillemot a pu s’enfuir ! Faisant preuve d’un courage inouï, je…

– Moi aussi je trouve toute cette histoire étrange, le coupa Guillemot après avoir surpris Romaric et Ambre échanger un regard exaspéré. Mais une chose est claire, c’est que la Guilde s’est trompée.

– En condamnant Qadehar ? demanda Romaric.

– Évidemment…

Une agitation subite autour d’eux interrompit leur conversation : on avait débusqué le Jeshtan. Ambre, Guillemot, Bertram et Romaric se laissèrent entraîner et se mêlèrent aux autres adolescents d’Ys qui couraient dans les rues.

Bientôt, sur la grande place de Dashtikazar éclairée par des centaines de torches ce soir-là, un groupe de filles hurlant de joie brandit le mannequin d’un gnome grimaçant.

– Peuh ! lâcha Coralie, méprisante. Elles ont eu de la chance, c’est tout.

Leur petit groupe s’était retrouvé autour d’une fontaine en forme de gigantesque coquillage sculpté dans du marbre, sur un côté de la place.

Ils se joignirent finalement au cortège et grimpèrent jusqu’au palais du Prévost, qui était à la fois le maire de Dashtikazar et le préfet du Pays d’Ys. Là, sous le regard amusé et bienveillant des Chevaliers en faction les filles qui avaient mis la main sur le Jeshtan de paille et de tissu passèrent une corde autour du cou de l’épouvantail et le pendirent à un réverbère. Des applaudissements et des hourras fusèrent.

Ensuite, les Chevaliers jetèrent aux jeunes gens massés devant le palais des masques grimaçants et d’autres mannequins effrayants. Tous ceux qui le voulaient s’en emparaient et repartaient dans les rues en les arborant ou en les brandissant. A minuit, il faudrait en orner les réverbères de la ville, où ils resteraient jusqu’à la fin de la Samain, pour avertir les mauvais esprits de ce qui les attendait s’ils s’aventuraient au Pays d’Ys !

Gontrand avait coiffé une tête d’ogre en carton-pâte et s’amusait, pour la plus grande joie de Coralie et de Romaric, et sous le regard condescendant de Bertram, à faire peur aux enfants plus jeunes qui bondissaient comme des diables dans le charivari. Un peu plus loin, derrière eux, Ambre tenait compagnie à Guillemot. L’Apprenti ne parvenait pas à se départir de sa tristesse.

– Ça va s’arranger, tentait de le rassurer son amie. Tout le monde sait que Qadehar est un homme exceptionnel. L’enquête de la commission le disculpera.

– Il n’y a pas que ça, soupira Guillemot.

– C’est quoi, alors ?

– C’est que… répondit Guillemot qui hésitait à mettre Ambre dans la confidence. C’est que la vie me paraît extrêmement compliquée depuis la soirée d’anniversaire de l’oncle Urien ! Jamais je n’aurais dû m’évanouir…

– Ça, tu n’y peux rien. Mais c’est vrai que beaucoup de choses ont changé, après ! Et pas seulement pour toi…

– Qu’est-ce que tu veux dire ?

– Je veux dire, hésita Ambre après un bref coup d’œil dans sa direction, enfin, je veux parler de… Non, laisse tomber.

– Tu veux parler des rêves que tu évoques dans tes lettres ? demanda naïvement Guillemot qui n’avait pas remarqué la confusion de la jeune fille.

– Non. Enfin si, un peu !

– Et alors ?

– On en parlera plutôt demain. J’aimerais qu’on profite de la soirée ! On est bien, là, tous les deux… heu… tous ensemble, non ? Malgré la présence de ton garde du corps prétentieux !

– Bertram est très sympa, crois-moi. Laisse-lui sa chance ! Mais c’est vrai, tu as raison, je gâche la fête avec ma figure d’enterrement. Allez, on rejoint les autres.

Ils rattrapèrent Coralie et Bertram, qui s’écarta rapidement de la jeune fille dès qu’il aperçut Ambre, puis le petit groupe courut retrouver Romaric et Gontrand au moment où ce dernier accrochait son masque à un réverbère. Ils se dirigèrent ensuite vers la plage de Dashtikazar où brûlait déjà le grand feu des Cailloux Blancs.

Ils s’approchèrent de l’énorme panier qui contenait des centaines de galets blancs. Ils en prirent chacun un et écrivirent leur nom dessus, avec une encre qui ne craignait pas les flammes. Ils jetèrent ensuite leur pierre dans le brasier : si la chaleur ne la faisait pas éclater et s’ils la retrouvaient intacte le lendemain, ce serait un bon présage pour l’année à venir ! Le jeune Sorcier semblait s’être pris au jeu et ne fit aucune réflexion désagréable.

Ils furent hélés par des jeunes du village de Krakal, qui avaient reconnu Ambre et Coralie, et la petite bande se joignit un moment au groupe. Ils marchèrent ensuite en silence sur la plage, Bertram en retrait, simplement heureux d’être ensemble.

Quand l’humidité de la nuit les gagna, ils décidèrent de rentrer à l’appartement, dans le centre-ville, où ils vidèrent plusieurs chopes de corma, la bière légère au miel d’Ys. Coralie, Romaric et Gontrand trinquèrent avec Bertram, qui se lança dans un discours enflammé où il avoua qu’il souhaitait vraiment devenir leur ami.

– Si tu veux devenir l’ami de Romaric, lui confia Gontrand à l’oreille, évite de regarder Coralie comme tu le fais et tâche de ne pas trop lui tourner autour…

Bertram, en chuchotant, se défendit d’avoir de pareilles pensées, mais rougit légèrement. Puis Ambre et Guillemot les rejoignirent et ils bavardèrent de tout et de rien, attendant d’être suffisamment fatigués pour se glisser dans leurs sacs de couchage.

XXVI Un mauvais présage

– C’est dingue comme tu peux ronfler, Bertram, s’exclama Ambre en émergeant de son duvet. Ça alors ! Casse-pieds de jour comme de nuit !

– Je ne ronfle pas, tu dis n’importe quoi, rétorqua le Sorcier d’une voix endormie en se recroquevillant sous les couvertures qu’on lui avait prêtées.

– Si, Bertram, tu ronfles, confirma Guillemot qui posait les bols du petit déjeuner sur la table. Allez, debout tout le monde !

– Debout les larves ! renchérit Romaric qui surveillait la casserole de lait sur la plaque électrique. Il fait très beau, dehors !

Guillemot tira les rideaux et le soleil entra à flots dans la grande pièce où ils avaient tous dormi, sur des matelas posés à même le sol. Gontrand, Bertram et Coralie grognèrent et enfouirent leur tête à l’abri de la lumière. Ambre, dans son pyjama rouge, bondit sur ses pieds et alla distribuer des coups de pied aux paresseux.

– Tiens, pseudo-sorcier, ça, c’est pour tes ronflements de cette nuit ! Et ça pour tes grattements de guitare, Gontrand ! Toi, prends ça, ma vieille, pour toutes les fois où je poireaute devant la salle de bains !

– Arrête, Ambre ! C’est pas drôle !

Ambre rejoignit Guillemot et Romaric à table.

Les autres ne tardèrent pas à se lever à leur tour, en geignant et en se plaignant d’avoir été réveillés trop brutalement.

– Quel est le programme, aujourd’hui ? demanda Coralie en bâillant.

– Ce soir, danses autour du feu sur la Grand-Place, répondit Romaric en remuant une cuillère dans son bol de chocolat.

– Chett après-midi, continua Guillemot qui se débattait avec une énorme tartine de Nutella, che chont les jeux d’adrèche, au chtade !