– Hourra !
Guillemot leva soudain la main pour demander le silence, ferma les yeux et se concentra.
– Ça y est, annonça-t-il. Perthro se manifeste ! Pas de doute : il faut prendre le couloir du milieu.
Gontrand et Agathe, qui seraient partis l’un à droite, l’autre à gauche, se regardèrent d’un air gêné.
– Vite ! ordonna Romaric. Les Korrigans sont peut-être déjà à nos trousses.
Ils s’engagèrent aussitôt dans la galerie et avancèrent le plus rapidement possible. Ils rencontrèrent bientôt une autre bifurcation, mais, guidés par le Graphème, ils prirent tout de suite la bonne direction.
Ils parvinrent enfin au pied de l’escalier menant au dolmen. Le passage était resté ouvert ; ils grimpèrent quatre à quatre les marches de pierre.
– Ouf ! s’exclama Ambre en respirant goulûment les odeurs de la nuit. Jamais je n’aurais imaginé qu’un jour l’air libre me manquerait tant !
– Moi, ce sont les étoiles que je suis content de retrouver, avoua Guillemot en échangeant avec Bertram un regard complice.
– Désolé de jouer le rabat-joie, annonça Romaric, mais il vaudrait mieux ne pas traîner. J’entends comme des cris, sous terre…
– Tu as raison, dit Guillemot. En route !
Ils s’élancèrent sur la lande, en direction de Dashtikazar.
– Est-ce que ça court vite, un Korrigan ? s’inquiéta Coralie.
– Environ deux fois plus vite qu’un homme, la belle, répondit Bertram.
– Tu crois qu’on arrivera à Dashtikazar avant qu’ils nous rattrapent ?
– Pas si ce sont eux que Romaric a entendus tout à l’heure.
– Dépêchons-nous, alors ! s’inquiéta Agathe en se retournant d’un air inquiet.
Derrière eux, la lande bruissait de mille piétinements.
Les sept amis se mirent à courir au milieu des bruyères et des arbustes, gênés par les ombres étranges que la lune dessinait sur le sol.
– Plus vite ! Plus vite ! hurla Romaric resté en arrière pour presser les retardataires.
Coralie poussa un cri. Dans sa course, elle avait heurté Agathe et toutes deux roulèrent au sol. Romaric se précipita pour les aider à se relever.
Les autres s’arrêtèrent pour les attendre.
– Qu’est-ce qu’on fait ? demanda Bertram qui s’était approché de Guillemot.
– Je crois qu’il n’y a rien à faire ! annonça Gontrand. Les Korrigans nous rattrapent…
Au même instant, une multitude de pattes de chat s’accrochèrent aux jambes et aux bras des fuyards. En quelques secondes, les sept amis se retrouvèrent de nouveau prisonniers.
XXXIV Plus fort que la magie
– Quoi vous faire ! Quoi vous faire ! se lamenta Kor Hosik, le jeune Korrigan, en tête des poursuivants. Maintenant roi être vraiment en colère !
Les captifs furent mis en rang, les uns à côté des autres. On ne leur avait même pas lié les mains. Les Korrigans étaient sûrs d’eux.
Au son insolite d’une trompette taillée dans une racine, Kor Mehtar fit son apparition sur une chaise à porteurs. Sitôt posé au sol par les six Korrigans qui le convoyaient sur leurs épaules, le roi bondit et fit une pirouette.
– Vous m’avez gravement offensé,
En tentant de vous échapper !
Ma vengeance sera aussi terrible
Que votre évasion était risible !
Il avait vraiment l’air furieux et ne cessait de faire des cabrioles en parlant.
– Nous sommes désolés,
Maître du… tenta d’expliquer Guillemot avant d’être interrompu par le roi qui leva vers lui une main menaçante.
– Silence !
Heureusement pour toi
Que je n’ai pas le droit
De punir ton impertinence !
Kor Mehtar fit signe à deux Korrigans d’empoigner Guillemot.
– C’est toi seul que je veux,
À tes amis tu peux dire adieu.
Mes Korrigans vont les faire danser,
Pendant l’éternité !
Quant à toi je n’envie pas ton sort,
Qui sera pire que la mort !
Guillemot pâlit. Les autres sentirent leurs jambes se dérober. Parmi les Korrigans, une clameur de joie accueillit l’annonce du roi. Plusieurs d’entre eux se précipitèrent sur Coralie, Agathe, Bertram, Gontrand, Ambre et Romaric.
– Et n’essaie pas d’en appeler aux étoiles,
Ou tes amis auront très mal ! menaça Kor Mehtar en plantant son regard sombre dans les yeux verts de Guillemot.
Puis il se dirigea vers sa chaise à porteurs. Les deux Korrigans qui tenaient fermement Guillemot entraînèrent le jeune garçon dans la lande.
– Guillemot ! Non ! hurla Ambre en se débattant. -Arrête, Ambre, tenta de la calmer Romaric. Tu ne peux rien faire pour lui.
Mais la jeune fille semblait prise de folie et continua à s’agiter. Ses yeux se révulsèrent et devinrent blancs. Un grondement sourd, terrifiant, sortit de sa gorge.
– Ambre ! Qu’est-ce qui t’arrive ? paniqua Romaric.
– Je t’assure qu’il ne s’est rien passé dans la chambre de Guillemot, à Troïl ! s’exclama Agathe, terrorisée.
Mais Ambre, indifférente aux cris inquiets de ses amis, semblait ne s’intéresser qu’à Guillemot qu’on emmenait au loin. Brusquement animée d’une force titanesque, elle envoya valser d’un seul geste le Korrigan qui la tenait par le bras. Elle donna ensuite à celui qui s’agrippait à sa jambe une gifle d’une telle violence qu’elle l’assomma sur le coup. Puis, avec une démarche d’automate, elle se dirigea droit sur Guillemot et ses ravisseurs.
Un Korrigan essaya de s’interposer. Mal lui en prit : Ambre le saisit à la gorge et le jeta dans un buisson.
Un mouvement d’affolement parcourut la colonne de Korrigans.
– Tudieu ! Ça lui arrive souvent ? questionna Bertram en ouvrant de grands yeux.
– Je crois bien que c’est la première fois, avoua Romaric.
– Je… je jure, bafouilla Agathe en déglutissant, et je vous en fais la promesse solennelle à tous que jamais plus je ne me mettrai en travers de sa route !
– C’est bien son style de gifler un Korrigan, commenta Coralie, mais je ne pensais pas qu’elle était si costaud !
– Une Hamingja, murmura Bertram.
– Qu’est-ce que tu dis ? s’enquit Romaric.
– Je dis que son comportement n’est pas naturel et qu’il n’y a qu’une seule explication : un enchantement.
– Explique-toi…
– C’est quelque chose qui se faisait autrefois, continua Bertram. On conditionnait des gens en imprimant sur eux un sortilège, pour les forcer à réagir d’une certaine manière, dans certaines circonstances. Sans qu’ils le sachent, ou s’en rendent compte ! C’étaient des Hamingja. Mais aujourd’hui, de telles pratiques sont interdites…
– Quelqu’un aurait ensorcelé ma sœur ? s’étonna Coralie. Impossible ! Tu n’es décidément pas romantique pour un sou, Bertram, tu ne vois pas que c’est l’amour qui la rend capable de tout !
– A mon avis, dit Gontrand avec une moue dubitative, Ambre nous fait une crise de folie. Elle n’a pas supporté qu’on emmène Guillemot. Tout le monde sait que les fous sont beaucoup plus forts que les gens normaux.
– Pensez ce que vous voulez, bougonna Bertram, vexé qu’on ne lui accorde pas plus de crédit. Je vois ce que je vois et je sais ce que je sais…
Pendant ce temps, Kor Mehtar était monté sur le toit de la chaise à porteurs et invoquait en dansant le pouvoir d’un Ogham. Il le projeta sur Ambre qui avançait toujours vers Guillemot, d’une démarche raide d’automate. L’Ogham atteignit la jeune fille dans une gerbe d’étincelles rouges. Ambre s’effondra sur le sol.