Malgré la fatigue, Guillemot ne parvenait pas à trouver le sommeil. Ses pensées s’entrechoquaient dans sa tête et lui faisaient mal.
Lorsque Alicia vint l’embrasser, avec une tendresse infinie, il fit semblant de dormir. Elle lui murmura des paroles d’apaisement et d’amour, et lui caressa longuement les cheveux. Guillemot aurait voulu que cet instant dure l’éternité. Il aurait voulu tout oublier, échapper à ses horribles pensées. Mais dans la nuit, le doute ne cessa pas de l’assaillir. Son cœur se remit à battre plus vite, ses poings se serrèrent de nouveau convulsivement, et il garda les yeux grands ouverts dans l’obscurité de sa chambre.
Au bout d’un moment, il finit par se lever. Une fois debout, il se sentit mieux. Vêtu de son pyjama bleu clair, il se dirigea vers la fenêtre et tira les rideaux. Dehors, dans le ciel, les étoiles scintillaient malgré le halo lumineux de la lune. Guillemot ouvrit la fenêtre et emplit ses poumons de l’air frais de la nuit. Il frissonna. Ses yeux cherchèrent les constellations. Il ne savait s’il devait aimer ou haïr ces étoiles qui avaient bouleversé son existence et qui l’entraînaient sur des chemins terribles. Il se sentit plus petit et plus seul que jamais sous l’immensité du ciel.
Comme pour conjurer cette sensation, le visage souriant de Qadehar s’imposa à son esprit. Un grand soulagement l’envahit aussitôt. En même temps qu’un irrépressible sentiment d’affection pour celui qui avait pris une place capitale dans sa vie. C’était peut-être idiot, mais il était intimement persuadé que rien de grave ne pourrait lui arriver tant que Maître Qadehar veillerait sur lui !
Il resta encore un moment dans l’intimité des étoiles avant de se remettre au lit et, gagné par l’épuisement, il sombra dans le sommeil.
Un feu de branches sèches craquait et éclairait de sa lueur vacillante le pan de mur à moitié écroulé qui abritait Urien, Valentin et Qadehar du vent soufflant par rafales. Les trois hommes avaient installé leur bivouac sur un coin de lande, quelque part entre Virdu et la Mer des Brûlures. L’enquête qu’ils menaient depuis plusieurs jours dans le Monde Incertain, et qui les conduisait de ville en village à la recherche d’informations précises sur l’embuscade de Djaghataël, se révélait pour l’instant décevante Mais il était trop tôt pour se décourager. Ils s’étaient nourris en silence de pain, de viande de chèvre séchée et de fromage de brebis, puis ils s’étaient préparés pour la nuit.
Urien, enroulé dans une épaisse fourrure d’ours, dormait déjà. Ses ronflements firent sourire Valentin qui confia à Qadehar :
– Cela faisait longtemps que je n’avais pas eu à supporter ce vacarme !
– Allons, Valentin, arrête de te plaindre. Je suis sûr que ça te manquait.
– Tu as raison. Bon sang, je me sens revivre ! L’odeur d’un bon feu est si grisante ! Et toi, Sorcier, qu’est-ce qui te manque ?
Qadehar ne répondit pas tout de suite. Il laissa son regard se perdre parmi les étoiles, si différentes et si semblables à celles du ciel d’Ys.
– Curieusement, Valentin, finit-il par répondre, ce n’est pas quelque chose, mais quelqu’un qui me manque. Un petit bonhomme qui doit se sentir bien seul face à son destin, là-bas, au Pays d’Ys.
– Tu veux parler de Guillemot ?
– Oui.
– Tu t’es pris d’affection pour ce garçon, n’est-ce pas ?
– Pour tout t’avouer, je n’ai qu’une peur aujourd’hui : celle de le perdre.
– Et pourtant, tu l’as laissé seul…
– Avec ses amis, et sous la protection d’un jeune Sorcier... Mais surtout, j’ai confiance en lui. Guillemot est un Apprenti plein de ressources.
Valentin hésita, puis renonça à poursuivre la conversation. Il sentit bientôt la fatigue le gagner. Il bâilla, se glissa dans sa couverture de laine et se laissa bercer par le léger crépitement des flammes.
Qadehar, quant à lui, resta assis longtemps, les yeux plongés dans l’étendue du firmament.
à suivre :
Le Livre Des étoiles
3. Le visage de l’Ombre
Carnet de Guillemot
Les Graphèmes
Ce sont les 24 lettres d’un alphabet magique, issu des étoiles, qui permettent d’accéder au Wyrd, comme des clés ouvrant et dévoilant l’intérieur des choses.
Un Graphème se caractérise par le nombre (numéro d’ordre et position dans le groupe), par la forme (nom et apparence), par le contenu (associations symboliques ou surnoms, significations et pouvoirs).
Chaque Graphème possède plusieurs pouvoirs. Appelés dans sa tête (visualisés) puis projetés (criés ou murmurés), les Graphèmes ont un effet simple et direct.
Les Mudra.
Ce sont des gestes de la main dans les airs, qui reproduisent la forme des Graphèmes pour les invoquer (les appeler) ou bien les renforcer (un peu comme les Stadha, les postures qui imitent les Graphèmes). C’est une façon rapide et discrète de faire de la magie ! Mais attention : les Graphèmes appelés dans un Mudra ont moins de force qu’avec la voix ou dans une Stadha. Il ne faut donc utiliser ces gestes magiques que quand on ne peut pas faire autrement : dans une situation délicate qui réclame la discrétion, comme dans une caverne de Korrigans, par exemple !
C’est un sortilège dans lequel on utilise les Graphèmes en les mélangeant. C’est une façon différente du Galdr d’associer les Graphèmes : dans le Galdr, les Graphèmes sont des mots qui forment une phrase ; dans le Lokk, les Graphèmes sont des lettres qui forment un mot. Le Galdr tisse et relie, le Lokk fond et mélange. Le Galdr est moins difficile à élaborer mais moins puissant que le Lokk ; le Lokk est plus puissant mais plus compliqué à construire que le Galdr. C’est pour cela que, dans le doute ou dans une situation d’urgence, il vaut mieux s’appuyer sur un Galdr que sur un Lokk !
Exemple : le Lokk de la Communication. Il s’articule autour de Berkana, le Graphème qui permet de communiquer avec les esprits. Il fait aussi appel à Elhaz, qui dégage les chemins, et à Isaz, qui renforce la concentration. 3e place donc Berkana au centre de mon esprit, puis je l’endors. J’appelle ensuite Elhaz et Isaz, que j’endors également. Ensuite, je les empile l’un sur l’autre, et les chauffe jusqu’à ce qu’ils deviennent rouges et qu’ils se fondent en un seul nouveau Graphème,
Beteleir. Puis je réveille ce nouveau Graphème et je l’envoie en projetant dessus le visage de celui que je veux contacter. Une fois celui-ci trouvé, la communication s’établit et se déroule silencieusement, dans nos têtes, en pensant suffisamment fort (le Lokk assure l’échange des pensées entre les deux esprits). Il n’y a pas besoin de formule magique pour qu’il agisse mais, si l’on veut rendre un Lokk plus fluide et plus docile, il est également possible de l’apprivoiser (on insiste alors sur le Graphème au centre du Lokk, ici Berkana) : « Toi le Bouleau, toi l’Oreille, toi qui ne fais plus qu’un avec la Brillante et le Cygne, puisque l’aveugle a besoin d’être guidé, crépite et brûle au-delà de l’espace et de l’exprimé, mène-moi à l’esprit désiré ! BETELEIR ! »
Beteleir
Pour se protéger d’une attaque physique ou magique importante, contre laquelle ni Thursaz ni Naudhiz (Graphèmes de résistance aux agressions) ne peuvent rien, il existe deux sortilèges puissants : un Galdr, l’Armure d’Elhaz, et un Lokk, le Heaume de Terreur, tous deux construits autour du Graphème Elhaz.
Le Galdr de l’Armure d’Elhaz s’obtient en associant six fois Elhaz a lui-même (dans sa tête, dans les airs ou sur le sol) grâce à l’incantation suivante : « Par le pouvoir d’Erda et Kari, Rind, Hir et Loge, Elhaz devant, Elhaz derrière, Elhaz à gauche, Elhaz à droite, Elhaz au-dessus, Elhaz au-dessous, Elhaz protège-moi ! ALU (mot magique primordial qui accompagne généralement les Graphèmes utilisés seuls) ! »