Выбрать главу

Guillemot ne se le fit pas dire deux fois. Il salua poliment le professeur et quitta la classe.

Il traversa d’un pas rapide la cour du collège. Les grands hêtres commençaient à se parer de belles couleurs brunes et dorées, mais il leur accorda à peine un regard. Il s’apprêtait à franchir le portail lorsqu’il entendit un brouhaha derrière lui. Il se retourna, et aperçut Agathe de Balangru et Thomas de Kandarisar, les deux terreurs de l’établissement, avancer dans sa direction…

– Guillemot ! Tu es là ! s’exclama Thomas, un garçon fort et trapu, à la tignasse rousse.

– On te cherche partout depuis ce matin, expliqua Agathe. Je fais une fête chez moi, cet après-midi : ça serait génial si tu pouvais venir !

Guillemot observa la grande fille un peu maigre qui lui souriait avec sa bouche trop large. Et dire qu’avant qu’il ne l’arrache des griffes du Commandant Thunku dans le Monde Incertain, elle était sa pire ennemie et son plus horrible cauchemar ! Aujourd’hui, Agathe de Balangru ne savait plus quoi faire pour se montrer agréable…

Guillemot ressentit un léger pincement au cœur. A force de bien la regarder, il finissait par ne plus la trouver aussi vilaine que ça. Le caractère qu’on lisait sur ses traits, allié au magnétisme qu’elle dégageait, remplaçait la beauté qu’elle n’avait pas…

Mais le visage sévère d’Ambre fit irruption dans son esprit, et il se reprocha de telles pensées.

Quant à Thomas, la brute qu’il avait sauvée du couteau d’un Gommon sur une plage d’Ys, il avait retrouvé sa place aux côtés d’Agathe. Mais il portait toujours un regard éperdu d’admiration sur l’Apprenti Sorcier !

– Je suis désolé, Agathe, répondit Guillemot avec un soupir sincère. Ç’aurait été avec plaisir, mais… je dois rejoindre Maître Qadehar. Il m’attend sur la lande.

En effet, l’enseignement que lui prodiguait Qadehar, son Maître Sorcier, avait depuis la rentrée une fâcheuse tendance à s’intensifier ! Au point d’ailleurs de lui voler son mercredi après-midi…

– Tant pis, dit Agathe, l’air déçu. Ce sera pour une prochaine fois.

– Oui… Amusez-vous bien !

Guillemot fit un geste, à la fois pour s’excuser et dire au revoir, puis il fila. Il était en retard.

Et Maître Qadehar n’aimait pas attendre.

VII Promenade sur la lande

– Encore cinq minutes et je partais à ta recherche ! s’exclama Qadehar le Sorcier. Guillemot, haletant, venait de surgir au pied du dolmen où son maître lui donnait rendez-vous pour travailler, dans les collines, au-dessus de Dashtikazar.

– Vous avez peur qu’un Ork essaie encore de m’enlever ? demanda l’Apprenti qui avait du mal à reprendre son souffle.

– J’ai surtout peur que tu te laisses distraire et que tu oublies l’heure de ta leçon !

Qadehar descendit avec souplesse de l’énorme dalle granitique où il s’était installé en attendant Guillemot.

Il avait une stature d’athlète, un visage carré et des cheveux courts. Ses yeux étaient bleu acier. Il avait une voix chaude, et le sourire bienveillant qui lui venait souvent aux lèvres adoucissait son expression de dureté. Il était difficile de lui donner un âge : il pouvait avoir trente-cinq ou quarante ans environ. Le manteau sombre et la sacoche en toile qu’il portait toujours sur lui indiquaient son appartenance au monde de la magie. Maître Qadehar, ennemi juré de l’Ombre, était le plus fameux Sorcier de la Guilde.

– Qu’allons-nous faire, aujourd’hui, Maître ? s’enquit Guillemot.

– Nous allons marcher sur la lande. Le temps est agréable, autant faire de l’exercice ! Bien entendu, nous en profiterons pour travailler un peu…

Guillemot accueillit ce programme d’un air satisfait. Les promenades avec son Maître étaient souvent l’occasion d’aborder des sujets qui dépassaient le cadre strict de son apprentissage ! Ils se mirent en route parmi les bruyères et les genêts. Au bout de quelques mètres, Qadehar entreprit de questionner son Apprenti.

– As-tu le sentiment, Guillemot, de t’être définitivement approprié les vingt-quatre Graphèmes ?

– Oui, Maître. Il suffit que je ferme les yeux et ils sont là, tout brillants.

– Fais-tu l’effort, chaque jour, de maintenir le contact avec eux ?

– Oui, Maître. Je les appelle dans mon esprit par leur nom et ils ronronnent.

– Sais-tu comment utiliser les Graphèmes ?

– Je sais les projeter, en les criant ou en les murmurant. Je sais les renforcer, en adoptant des Stadha. Je sais les lier entre eux et les tisser, composer des Galdr, des incantations.

– Qu’est-ce qu’un Galdr ?

– C’est un sortilège, Maître, dans lequel on utilise les Graphèmes comme des mots dans une phrase…

– Qu’est-ce qu’un Graphème, Guillemot ?

– C’est une lettre d’un alphabet magique, écrit dans les étoiles, qui permet d’accéder au Wyrd.

– Et le Wyrd, qu’est-ce que c’est ?

– C’est comme une gigantesque toile d’araignée dont les fils sont rattachés à tout ce qui existe. Les Graphèmes, en ouvrant sur le Wyrd, permettent d’agir sur toutes ces choses.

– Quelles sont les deux meilleures armes du Sorcier dans le Wyrd ?

– La prudence et l’humilité.

– Maintenant, quel est le Graphème du voyage ?

– Raidhu, le chariot de Nerthus, cinquième dans l’ordre.

– Existe-t-il de bons et de mauvais Graphèmes ?

– Non. Il n’existe que de bons ou de mauvais Sorciers. Les Graphèmes sont des énergies neutres dont l’effet dépend seulement de l’utilisateur… J’en sais quelque chose, Maître !

Qadehar sourit puis hocha la tête.

– Tu as réponse à tout, mon garçon. C’est une qualité indispensable… pour qui veut devenir marchand ou pour un professeur ! Mais quand on ambitionne de devenir Sorcier, vois-tu, il faut un peu plus que cela…

A peine eut-il prononcé ces mots qu’il recula prestement. Il adopta la Stadha d’Ingwaz et lança sur l’Apprenti le pouvoir du Graphème :

– Ingwaz !

Guillemot réagit tout de suite. Il avait vu son Maître prendre la position du symbole de Fixation et avait anticipé en adoptant la posture de Naudhiz, qui neutralise les attaques magiques. Il eut juste le temps d’appeler à lui le Graphème protecteur. Il y eut un éclair de lumière dorée. L’attaque de Qadehar avait échoué.

– Pas mal, pas mal, reconnut le Sorcier. Je vois que tu es un peu plus qu’un beau parleur !

– De parole en parole, la parole me mènera ; d’acte en acte, l’acte me mènera, Maître ! répondit l’Apprenti avec un soupçon d’insolence.

C’était une des phrases que les Sorciers avaient pris soin de relever dans Le Livre des Étoiles, il y avait de cela très longtemps.

– Tiens donc ! releva ironiquement Qadehar. Tu t’intéresses aux conseils de sagesse, maintenant ?

Le Sorcier avait repris une posture habituelle et se tenait à quelques pas de son élève. Soudain, il fit un geste de la main en direction de Guillemot.

Cette fois, l’Apprenti ne fut pas assez rapide et, le temps de pousser un cri d’étonnement, il se retrouva cloué au sol.

– Comment avez-vous fait, Maître ? Vous n’avez pas fait de Stadha, et je ne vous ai pas entendu lancer Ingwaz !

– Si, Guillemot, expliqua Qadehar en délivrant son élève du sort qu’il avait jeté, mais tu ne t’en es pas rendu compte. Tout simplement, il existe un autre moyen que les Stadha pour renforcer ou pour utiliser silencieusement les Graphèmes !