Faites confiance à l'initiative individuelle, voilà ce qu'ils répètent partout, ce qu'ils vont partout répétant comme ces vieux réveils à ressort dont l'uniforme déclic
suffisait généralement à nous plonger dans une insomnie fatigante et définitive,
À cela je ne peux répondre qu'une seule chose, et cette chose ressort d'une expérience à la fois navrante et répétitive.
C'est que l'individu, je veux parler de l'individu humain, est très généralement un petit animal à la fois cruel et misérable.
Et qu'il serait bien vain de lui faire confiance à moins qu'il ne se voie repoussé, enclos et maintenu dans les principes rigoureux d'une morale inattaquable.
Ce qui n'est pas le cas.
Dans une idéologie libérale, s'entend.
Confrontée à l'alternative de l'aurore, Annabelle sentait les ombres de sa jeunesse glisser entre les rideaux. Elle aurait souhaité prononcer un adieu définitif à l'amour. Tout l'y incitait; le glissement des souvenirs, se disait-elle, aurait dû maintenant lui suffire. Il y avait maintenant la nuit, et les organes malades. Une autre expérience, une autre vie; moins agréable que la précédente, mais probablement plus brève. Sa voisine avait un caniche; pourquoi pas elle? Un caniche ne vous protège pas des voyous; mais son perpétuel état d'enfance est une joie pour les yeux. Il observe le glissement des rideaux, pousse de légers gémissements en apercevant la lumière du jour. Il reconnaît sa laisse, et son collier. Comme l'homme, il est quelquefois atteint d'un cancer. Il accueille la mort avec courage. Il regarde autour de lui, pousse un bref jappement, et il saute dans la cascade.
III
Sublime abstraction du paysage.
COURTENAY – AUXERRE NORD.
Nous approchons des contreforts du Morvan. L'immobilité, à l'intérieur de l'habitacle, est totale. Béatrice est à mes côtés. «C'est une bonne voiture», me dit-elle.
Les réverbères sont penchés dans une attitude étrange; on dirait qu'ils prient. Quoi qu'il en soit, ils commencent à émettre une faible lumière jaune orangé. La «raie jaune du sodium», prétend Béatrice.
Déjà, nous sommes en vue d'Avallon.
Il faisait beau; et je marchais le long d'un coteau sec et jaune.
La respiration sèche et irrégulière des plantes, en été… qui semblent prêtes à mourir. Les insectes grésillent, perçant la voûte menaçante et fixe du ciel blanc.
Au bout d'un certain temps, quand on marche sous le soleil, en été, la sensation d'absurdité grandit, s'impose et envahit l'espace, on la retrouve partout. Si même au départ vous aviez une direction (ce qui est hélas fort rare… la plupart du temps, on a affaire à une «simple promenade»), cette image de but s'évanouit, elle semble s'évaporer dans l'air surchauffé qui vous brûle par petites vagues courtes à mesure que vous avancez sous le soleil implacable et fixe, dans la complicité sournoise des herbes sèches, promptes à brûler.
Au moment où une chaleur poisseuse commence à engluer vos neurones, il est trop tard. Il n'est plus temps de secouer d'une crinière impatiente les errements aveugles d'un esprit capturé, et lentement, très lentement, le dégoût aux multiples anneaux se love et affermit sa position, bien au centre du trône, du trône des dominations.
Le TGV Atlantique glissait dans la nuit avec une efficacité terrifiante. L'éclairage était discret. Sous les parois de plastique d'un gris moyen, des êtres humains gisaient dans leurs sièges ergonomiques. Leurs visages ne laissaient transparaître aucune émotion. Se tourner vers la fenêtre n'aurait servi à rien: l'opacité des ténèbres était absolue. Certains rideaux, d'ailleurs, étaient tirés; leur vert acide composait une harmonie un peu triste avec le gris sombre de la moquette. Le silence, presque absolu, n'était troublé que par le nasillement léger des walkmans. Mon voisin immédiat, les yeux clos, se retirait dans une absence concentrée. Seul le jeu lumineux des pictogrammes indiquant les toilettes, la cabine téléphonique et le bar Cerbère trahissait une présence vivante dans la voiture. Soixante êtres humains y étaient rassemblés.