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Long et fuselé, d'un gris acier relevé par de discrètes bandes colorées, le TGV Atlantique n° 6557 comportait vingt-trois voitures. Entre mille cinq cents et deux mille êtres humains y avaient pris place. Nous filions à 300 km/h vers l'extrémité du monde occidental. Et j'eus soudain la sensation (nous traversions la nuit dans un silence feutré, rien ne laissait deviner notre prodigieuse vitesse; les néons dispensaient un éclairage modéré, pâle et funéraire), j'eus soudain la sensation que ce long vaisseau d'acier nous emportait (avec discrétion, avec efficacité, avec douceur) vers le Royaume des Ténèbres, vers la Vallée de l'Ombre de la Mort.

Dix minutes plus tard, nous arrivions à Auray.

Avant, mais bien avant, il y a eu des êtres Qui se mettaient en rond pour échapper aux loups Et sentir leur chaleur; ils devaient disparaître, Ils ressemblaient à nous.
Nous sommes réunis, nos derniers mots s'éteignent, La mer a disparu Une dernière fois quelques amants s'étreignent, Le paysage est nu.
Au-dessus de nos corps glissent les ondes hertziennes, Elles font le tour du monde Nos cœurs sont presque froids, il faut que la mort [vienne, La mort douce et profonde; Bientôt les êtres humains s'enfuiront hors du monde.
Alors s'établira le dialogue des machines Et l'informationnel remplira, triomphant, Le cadavre vidé de la structure divine; Puis il fonctionnera jusqu'à la fin des temps.
J'ai revu les cahiers où je notais des choses Sur les différentielles et la vie des mollusques D'une écriture hachée; de longues phrases en prose Qui n'ont guère plus de sens que des poteries étrusques.
J'ai retrouvé la gare et les lundis gelés Où j'arrivais trop tard pour le train de sept heures; Je marchais sur le quai, m'amusant à souffler L'air chaud de ma poitrine. J'avais froid, j'avais peur.
Nous arrivons au monde épris de connaissance, Et tout ce qui existe a le droit d'exister À nos yeux. Nous pensons que chacun a sa chance, Mais le samedi soir il faut vivre et lutter Et déjà nous quittons les abords de l'enfance.
Nous quittons l'innocence du regard objectif, Chaque chose a son prix qu'il faut déterminer Les relations humaines entrelacent leurs motifs Plus nous participons, plus nous sommes captifs; Puis la lueur s'éteint. L'enfance est terminée.
Je ne reviendrai plus jamais entre les herbes Qui recouvrent à demi la surface de l'étang. Il est presque midi; la conscience de l'instant Enveloppe l'espace d'une lumière superbe.
Ici j'aurai vécu au milieu d'autres hommes Encerclés comme moi par le réseau du temps. Shanti sha nalaya. Om mani padme ôm, La lumière décline inéluctablement.
Le soir se stabilise et l'eau est immobile; Esprit d'éternité, viens planer sur l'étang. Je n'ai plus rien à perdre, je suis seul et pourtant La fin du jour me blesse d'une blessure subtile.

MAISON GRISE

Le train s'acheminait dans le monde extérieur, Je me sentais très seul sur la banquette orange Il y avait des grillages, des maisons et des fleurs Et doucement le train écartait l'air étrange.
Au milieu des maisons il y avait des herbages Et tout semblait normal à l'exception de moi Cela fait très longtemps que j'ai perdu la joie Je vis dans le silence, il glisse en larges plages.
Le ciel est encore clair, déjà la terre est sombre; Une fissure en moi s'éveille et s'agrandit Et ce soir qui descend en Basse-Normandie A une odeur de fin, de bilan et de nombre.
L'appartenance de mon corps À un matelas de deux mètres Et je ris de plus en plus fort, Il y a différents paramètres.
La joie, un moment, a eu lieu Il y a eu un instant de trêve Où j'étais dans le corps de Dieu Mais, depuis, les années sont brèves.
La lampe explose au ralenti Dans le crépuscule des corps, Je vois son filament noirci: Où est la vie? Où est la mort?
Les antennes de télévision, Comme des insectes réceptifs, S'accrochent à la peau des captifs Les captifs rentrent à la maison.
Si j'avais envie d'être heureux J'apprendrais les danses de salon Ou j'achèterais un ballon Comme ces autistes merveilleux
Qui survivent jusqu'à soixante ans Entourés de jouets en plastique Ils éprouvent des joies authentiques, Ils ne sentent plus passer le temps.
Romantisme de télévision, Sexe charité et vie sociale Effet de réel intégral Et triomphe de la confusion.
La respiration des rondelles Et les papillons carnassiers; Dans la nuit, un léger bruit d'ailes; La pièce est couverte d'acier.
Je n'oublie pas les gestes secs De cet adolescent furtif Qui glissait d'échec en échec En dépliant son corps craintif.
La respiration des termites S'accomplit sans aucun effort Une tension vient de la bite, S'affaiblit en gagnant le corps.
Quand la présence digestive Emplit le champ de la conscience S'installe une autre vie, passive, Dans la douceur et la décence.
En rampant sur le matelas De notre commune allégeance Je ne suis plus tout à fait là, Je ne ressens aucune urgence.
Les gens sont coincés dans leurs peaux, Ils font danser leurs molécules Le samedi ils se font beaux, Puis ils se retrouvent et s'enculent.
Voilà! Je regarde ma porte, Elle vient d'une bonne usine Tout est fini, en quelque sorte, Je vais coucher dans la cuisine.
Je vais retrouver mes poumons, Le carrelage sera glacial Enfant, j'adorais les bonbons Et maintenant tout m'est égal.