Dans le train direct pour Dourdan,
Une jeune fille fait des mots fléchés
Je ne peux pas l'en empêcher,
C'est une occupation du temps.
Comme des blocs en plein espace
Les salariés bougent rapidement
Comme des blocs indépendants,
Ils trouent l'air sans laisser de trace.
Puis le train glisse entre les rails,
Dépassant les premières banlieues
Il n'y a plus de temps ni de lieu;
Les salariés quittent leur travail.
Dans le métro à peu près vide
Rempli de gens semi-gazeux
Je m'amuse à des jeux stupides,
Mais potentiellement dangereux.
Frappé par l'intuition soudaine
D'une liberté sans conséquence
Je traverse les stations sereines
Sans songer aux correspondances.
Je me réveille à Montparnasse
Tout près d'un sauna naturiste,
Le monde entier reprend sa place;
Je me sens bizarrement triste.
Un moment de pure innocence,
L'absurdité des kangourous
Ce soir je n'ai pas eu de chance,
Je suis cerné par les gourous.
Ils voudraient me vendre leur mort
Comme un sédatif dépassé
Ils ont une vision du corps,
Leur corps est souvent ramassé.
Le végétal est déprimant,
À proliférer sans arrêt
Dans la prairie, le ver luisant
Brille une nuit, puis disparaît.
Les multiples sens de la vie
Qu'on imagine pour se calmer
S'agitent un peu, puis c'est fini;
Le canard a des pieds palmés.
Une âme exposée au Soleil,
Tout près de la mer menaçante;
Les vagues s'écrasent et réveillent
Une douleur sombre et latente.
Que serions-nous sans le Soleil?
Écœurement, dégoût, souffrance,
Stupidité de l'existence,
Tout disparaît sous le Soleil.
La chaleur de midi exhale
Le corps d'un plaisir immobile;
Désir de mort, oubli total,
Yeux clos sur un coma tactile.
Sans pitié, la mer se déploie
Comme un animal qui s'éveille;
Cet univers n'a pas de loi.
Que serions-nous sans le Soleil?
Les corps empilés dans le sable,
Sous la lumière inexorable,
Peu à peu se changent en matière;
Le soleil fissure les pierres.
Les vagues lentement palpitent
Sous la lumière misérable
Et quelques cormorans habitent
Le ciel de leur cri lamentable.
Les jours de la vie sont pareils
À des limonades éventées
Jours de la vie sous le soleil,
Jours de la vie en plein été.
L'exercice de la réflexion,
L'habitude de la compassion,
La saveur rancie de la haine
Et les infusions de verveine.
Dans la résidence Arcadie,
Les chaises inutiles et la vie
Qui se brise entre les piliers
Comme une rivière à noyés.
La chair des morts est tuméfiée,
Livide sous le ciel vitrifié
La rivière traverse la ville
Regards éteints, regards hostiles.
La brume entourait la montagne
Et j'étais près du radiateur,
La pluie tombait dans la douceur
(Je sens que la nausée me gagne).
L'orage éclairait, invisible,
Un décor de monde extérieur
Où régnaient la faim et la peur,
J'aurais aimé être impassible.
Des mendiants glissaient sous les gouttes
Comme des insectes affamés
Aux mandibules mal refermées,
Des mendiants recouvraient la route.
Le jour lentement décroissait
Dans un gris-bleu de mauvais rêve,
Il n'y aurait plus jamais de trêve;
Lentement, le jour s'en allait.
Je flottais au-dessus du fleuve
Près des carnivores italiens
Dans le matin l'herbe était neuve,
Je me dirigeais vers le bien.
Le sang des petits mammifères
Est nécessaire à l'équilibre,
Leurs ossements et leurs viscères
Sont les conditions d'une vie libre.
On les retrouve sous les herbes,
Il suffit de gratter la peau
La végétation est superbe,
Elle a la puissance du tombeau.
Je flottais parmi les nuages,
Absolument désespéré
Entre le ciel et le carnage,
Entre l'abject et l'éthéré.
La peau est un objet limite,
Ce n'est presque pas un objet
Dans la nuit, les cadavres habitent
Dans le corps habite un regret.
Le cœur diffuse un battement
Jusqu'à l'intérieur du visage;
Sous nos ongles, il y a du sang
Dans nos corps, un mouvement s'engage.
Le sang surchargé de toxines
Circule dans les capillaires
Il transporte la substance divine,
Le sang s'arrête et tout s'éclaire.
Un moment d'absolue conscience
Traverse le corps douloureux
Moment de joie, de pure présence:
Le monde apparaît à nos yeux.
Il est temps de faire une pause
Avant de recouvrir la lampe.
Dans le jardin, l'agonie rampe;
La mort est bleue dans la nuit rose.
Le programme était défini
Pour les trois semaines à venir
D'abord mon corps devait pourrir,
Puis s'écraser sur l'infini.
L'infini est à l'intérieur,
J'imagine les molécules
Et leurs mouvements ridicules
Dans le cadavre appréciateur.
Nous devons développer une attitude de non-résistance [au monde;
Le négatif est négatif,
Le positif est positif,
Les choses sont.
Elles apparaissent, elles se transforment,
Et puis elles cessent simplement d'exister;
Le monde extérieur, en quelque sorte, est donné.
L'être de perception est semblable à une algue,
Une chose répugnante et très molle,
Foncièrement féminine
Et c'est cela que nous devons atteindre
Si nous voulons parler du monde
Simplement, parler du monde.
Nous ne devons pas ressembler à celui qui essaie de [plier le monde à ses désirs,
À ses croyances
Il nous est cependant permis d'avoir des désirs,
Et même des croyances
En quantité limitée.
Après tout, nous faisons partie du phénomène,
Et, à ce titre, éminemment respectables,
Comme des lézards.