— Alors, nous irons à cheval, Prophète, dit-il d’un ton acide.
Par la Lumière, Rand voulait que cette entrevue reste secrète jusqu’à l’arrivée de Masema ! Comment serait-ce possible s’ils allaient jusqu’à Cairhien à cheval ?
— Mais sans délai. Le Seigneur Dragon est très impatient de vous voir.
— Moi aussi je suis très impatient de parler avec le Seigneur Dragon, que son nom soit béni par la Lumière.
Il eut un bref coup d’œil vers les Aes Sedai, qu’il tenta de dissimuler en souriant à Perrin. Mais son odeur était… sinistre.
— Vraiment très impatient.
— Ma Dame voudrait-elle que je demande à l’un des soigneurs de lui amener un faucon ? demanda Maighdin.
L’un des quatre fauconniers d’Alliandre, tout aussi maigres que leurs oiseaux, transféra un jeune mâle au chaperon emplumé de son perchoir devant sa selle sur son poignet gainé de cuir et le lui tendit. Le faucon aux pointes des ailes bleues se percha sur le poignet gainé de cuir vert d’Alliandre. Cet oiseau lui était réservé. Alliandre connaissait sa place en tant que vassale, et Faile comprenait qu’elle ne veuille pas renoncer à son oiseau favori.
Alors elle secoua simplement la tête, et Maighdin s’inclina sur sa selle et éloigna sa jument rouanne d’Hirondelle, assez loin pour ne pas s’immiscer dans son intimité, mais suffisamment près pour que Faile n’ait pas à élever la voix pour l’appeler. La femme de chambre aux cheveux d’or pleine de dignité s’était révélée aussi compétente et stylée que Faile l’avait espéré. Du moins l’était-elle devenue après avoir appris que, quelle que soit leur situation auprès de leur ancienne maîtresse, Lini était la première de sa domesticité, et qu’elle n’hésitait pas à se servir de son autorité. Curieusement, il avait quand même fallu une séance de verges, mais Faile feignait de ne pas le savoir. Seule une imbécile humiliait ses servantes. Il y avait toujours le problème de Maighdin et Tallanvor, bien sûr. Elle était certaine que Maighdin partageait son lit, et si elle en avait la preuve, elle les marierait, dût-elle lâcher Lini sur eux. Enfin, cela n’avait guère d’importance et ne devait pas gâcher sa matinée.
La chasse au faucon était une idée d’Alliandre. Faile avait approuvé cette promenade dans la forêt clairsemée, où la neige recouvrait le sol d’un tapis vallonné et s’accumulait en couches épaisses sur les branches nues. Le vert des arbres qui avaient encore leurs feuilles semblait plus éclatant. L’air était vif et sentait le printemps.
Bain et Chiad avaient insisté pour l’accompagner. Elles étaient accroupies non loin, shoufa enroulée sur la tête, et elles la regardaient, l’air mécontent. Sulin aurait voulu venir avec les Vierges au grand complet, mais avec toutes les histoires qui couraient sur les déprédations commises par les Aiels, tous les Amadiciens fuyaient ou portaient la main à leur épée à la seule vue d’un Aiel. Il devait y avoir une part de vérité dans ces histoires, sinon ils n’auraient pas été aussi nombreux à reconnaître un Aiel. La Lumière seule savait qui ils étaient et d’où ils venaient. Pourtant, même Sulin affirmait que, qui fussent-ils, ils s’étaient déplacés vers l’est, peut-être jusqu’en Altara.
À proximité d’Abila, vingt des soldats d’Alliandre et autant de Gardes Ailés mayeners suffisaient comme escorte. Les rubans de leurs lances, rouges ou verts, flottaient à la brise. Seule la présence de Berelain lui pourrissait la vie. Quoiqu’il était assez amusant de la voir grelotter dans son manteau rouge bordé de fourrure, épais comme deux couvertures. Il n’y avait pas de véritable hiver à Mayene. La température de ce jour était celle d’une belle fin d’automne. En Saldaea, au cœur de l’hiver, le froid pouvait geler les chairs nues, qui devenaient dures comme du bois. Faile eut envie de rire.
Par miracle, son mari, son loup bien-aimé, avait commencé à se comporter comme il le devait. Au lieu de crier sur Berelain ou de fuir devant elle, Perrin tolérait maintenant ses flatteries friponnes, comme il aurait accepté un enfant jouant à ses pieds. Et, mieux encore, elle n’avait plus besoin de ravaler sa colère quand elle était furieuse. Quand elle criait, il criait aussi en retour. Elle savait qu’il n’était pas Saldaean. Cela avait été dur pour elle de penser au fond de son cœur qu’il la croyait trop faible pour s’opposer à lui. Quelques jours plus tôt, au dîner, elle lui avait fait remarquer que Berelain allait jaillir hors de sa robe si elle se penchait un peu plus sur la table. Enfin, elle n’irait pas si loin ; pas avec Berelain. Cette traînée croyait toujours pouvoir le conquérir. Le matin même, il s’était montré intraitable, n’admettant aucune protestation, sans élever la voix ; le genre d’homme dont une femme sait qu’elle doit être forte si elle veut le mériter et l’égaler. Naturellement, elle devrait l’asticoter un peu à ce sujet. Un homme autoritaire, c’est merveilleux, tant qu’il ne se met pas en tête de commander tout le temps. Rire ? Elle avait envie de chanter !
— Maighdin, je crois qu’après tout, je…
Maighdin fut là immédiatement, avec un sourire interrogateur. Faile laissa sa phrase en suspens à la vue de trois cavaliers, poussant leurs chevaux dans la neige aussi vite qu’ils pouvaient avancer.
— Au moins, il y a beaucoup de hases, ma Dame, dit Alliandre, en faisant approcher au pas Hirondelle sa jument blanche. Mais j’avais espéré… Qui sont-ils ?
Son faucon remua sur son gant de cuir, faisant tinter les clochettes.
— Mais on dirait que ce sont vos gens, ma Dame.
Faile hocha la tête, l’air sombre. Elle les reconnut, elle aussi. Parelean, Arrela et Lacile. Mais que faisaient-ils ici ?
Tous les trois s’arrêtèrent devant elle, leurs chevaux haletants et en sueur. Parelean écarquillait les yeux autant que son pommelé. Lacile, le visage caché dans les profondeurs de sa capuche, déglutissait avec effort, et le visage sombre d’Arrela était gris cendre.
— Ma Dame, de mauvaises nouvelles, dit Parelean d’un ton pressant. Le Prophète Masema a eu des entrevues avec les Seanchans !
— Les Seanchans ! s’exclama Alliandre. Pourtant, même lui ne peut pas croire qu’ils vont se rallier au Seigneur Dragon !
— C’est peut-être plus simple, dit Berelain, talonnant sa jument blanche trop voyante, pour se placer de l’autre côté d’Alliandre.
En l’absence de Perrin, elle avait choisi une robe d’équitation bleu foncé qui était assez sobre, et boutonnée jusqu’au menton. Elle grelottait toujours.
— Masema déteste les Aes Sedai, et les Seanchans font prisonnières toutes les femmes capables de canaliser.
Faile fit claquer sa langue, contrariée. Mauvaises nouvelles, en effet, si elles étaient vraies. Et elle pouvait seulement espérer que Parelean et les autres auraient le bon sens de prétendre les avoir entendues par hasard. Elle avait besoin d’une certitude, et vite. Perrin était peut-être déjà auprès de Masema.
— Quelles preuves avez-vous, Parelean ?
— Nous avons parlé à trois fermiers qui ont vu une grande créature volante atterrir il y a quatre jours, ma Dame. Elle amenait une femme qui fut conduite chez Masema où elle resta trois heures.
— Nous avons pu suivre sa trace jusqu’à la maison où réside Masema à Abila, ajouta Lacile.
— Les trois hommes pensaient tous que la créature volante était une Engeance de l’Ombre, intervint Arrela. Ils semblaient assez dignes de confiance.
Pour elle, affirmer qu’un homme n’appartenant pas aux Cha Faile était digne de confiance, c’était l’équivalent d’être franc comme l’or pour tout autre.