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— Je crois que je dois me rendre à Abila, dit Faile, rassemblant les rênes d’Hirondelle. Alliandre, prenez Berelain et Maighdin avec vous.

En n’importe quelle autre circonstance, voir Berelain pincer les lèvres l’aurait amusée.

— Parelean, Arrela et Lacile m’accompagneront…

Un homme hurla. Tout le monde sursauta.

À cinquante toises, un soldat d’Alliandre en tunique verte dégringola de sa selle. Quelques instants plus tard, un Garde Ailé tomba, une flèche plantée dans la gorge. Des Aiels voilés apparurent au milieu des arbres, brandissant leurs arcs en courant. D’autres soldats tombèrent. Bain et Chiad se tenaient là, un voile noir cachant leur visage jusqu’aux yeux. Elles avaient leurs lances dans le dos, coincées dans les courroies de l’étui de leur arc. Elles les dégagèrent en douceur, tout en regardant Faile. Ils étaient encerclés par des Aiels, par centaines semblait-il, comme un nœud coulant qui se resserrait. Des soldats montés abaissèrent leurs lances, formant leur propre cercle autour de Faile et des autres. Des lacunes y apparurent aussitôt que les flèches des Aiels commencèrent à trouver leurs cibles.

— Quelqu’un doit porter cette nouvelle de Masema au Seigneur Perrin, dit Faile à Parelean et aux deux femmes. L’un de vous doit le rejoindre ! Galopez comme le feu !

Son regard embrassa Alliandre et Maighdin. Et aussi Berelain.

— Vous toutes, galopez comme le feu ou mourez ici !

Attendant à peine leurs acquiescements, elle planta ses talons dans les flancs d’Hirondelle, traversant le cercle inutile des soldats.

— Galopez ! cria-t-elle.

Quelqu’un devait porter la nouvelle à Perrin.

— Galopez !

Couchée sur l’encolure d’Hirondelle, elle cravacha la jument. Ses sabots agiles projetant des gerbes de neige, Hirondelle galopa, légère comme l’oiseau dont elle portait le nom. Pendant une centaine de foulées, Faile crut qu’elle allait s’échapper. Puis Hirondelle trébucha et tomba, dans le craquement sec d’une jambe cassée. Faile fut projetée lourdement par terre, ses poumons vidés quand elle plongea tête la première dans la neige. S’efforçant de respirer, elle se releva péniblement et tira un couteau de sa ceinture. Hirondelle avait henni avant de trébucher, avant cet affreux craquement.

Un Aiel voilé se matérialisa au-dessus d’elle comme sortant de nulle part, lui frappant le poignet d’une main raide. Ses doigts soudain gourds lâchèrent le couteau, et avant qu’elle n’ait eu le temps d’en tirer un autre de la main gauche, l’Aiel fondait sur elle.

Elle se débattit, lançant coups de poing et coups de pied, et allant même jusqu’à mordre, mais l’Aiel était aussi large que Perrin, avec une tête de plus et aussi robuste que lui, semblait-il. La facilité avec laquelle il la maîtrisa aurait pu la faire pleurer de rage. Il la dépouilla d’abord de tous ses couteaux qu’il coinça derrière son ceinturon, puis se servit de l’un d’eux pour couper ses vêtements. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, elle se retrouva nue dans la neige, les coudes attachés derrière le dos avec l’un de ses bas, l’autre autour du cou servant de laisse. Elle n’eut d’autre choix que le suivre, grelottante et titubant dans la neige. Elle avait la chair de poule. Par la Lumière, comment avait-elle pu penser que la température était clémente ? Par la Lumière, si seulement quelqu’un avait pu s’échapper avec les nouvelles sur Masema ! Il fallait aussi prévenir Perrin de sa capture ; elle pourrait trouver le moyen de s’échapper. Les nouvelles sur Masema étaient plus importantes.

Le premier cadavre qu’elle vit fut celui de Parelean. Il était étalé sur le dos, son épée dans sa main tendue, et du sang tachait sa belle tunique aux manches à rayures de satin. Elle vit ensuite des tas de corps, des Gardes Ailés avec leurs plastrons rouges, les soldats d’Alliandre aux casques vert foncé, un fauconnier, un fauconneau chaperonné battant vainement des ailes contre les jets toujours emprisonnés dans la main du cadavre. Mais elle ne perdit pas espoir.

Les premiers prisonniers qu’elle découvrit, à genoux parmi les Aiels, des hommes et des Vierges avec leur voile pendant sur la poitrine, furent Chiad et Bain, nues toutes les deux, leurs mains libres posées sur leurs genoux. Du sang coulait sur le visage de Bain et dans ses cheveux de flamme. La joue gauche de Chiad était rouge et enflée, et ses yeux gris étaient un peu vitreux. Elles se tenaient, très droites, impassibles et sans honte. Quand le grand Aiel la jeta à terre brutalement près d’elles, elles se levèrent.

— Ce n’est pas régulier, Shaido, grommela Chiad en colère.

— Elle ne suit pas le ji’e’toh, aboya Bain. Vous ne pouvez pas en faire une gai’shaine.

— Les gai’shaines vont se taire, dit distraitement une Vierge grisonnante.

Bain et Chiad lancèrent à Faile des regards de regret, puis se rassirent calmement pour attendre. Pelotonnée sur elle-même pour cacher un peu sa nudité, Faile ne savait pas si elle devait rire ou pleurer. Elle était avec les deux femmes qu’elle aurait choisies entre mille pour l’aider à s’échapper, et ni l’une ni l’autre ne lèveraient le petit doigt à cause du ji’e’toh.

— Je le répète, Efalin, maugréa celui qui l’avait capturée, c’est une folie. Nous avançons comme des tortues dans cette… neige.

Il écorcha le mot.

— Il y a trop d’hommes armés dans les parages. Nous devrions filer vers l’est, sans prendre d’autres gai’shains qui nous ralentissent.

— Sevanna veut d’autres gai’shains, Rolan, répondit la Vierge grisonnante.

Mais elle fronçait les sourcils, et ses yeux gris et durs se firent un instant désapprobateurs.

Grelottante, Faile cligna des yeux en réalisant ce qu’elle venait d’entendre. Par la Lumière, le froid lui ralentissait l’esprit ! Sevanna. Shaido. Ils devaient être à la Dague du Meurtrier-des-Siens, aussi loin d’ici que possible sans franchir l’Échine du Monde ! Mais à l’évidence, ils n’y étaient pas. Une chose que Perrin devait aussi savoir, une raison de plus de s’échapper le plus vite possible. Cela semblait peu probable, accroupie nue dans la neige comme elle l’était, à se demander quelle partie de son anatomie allait geler la première. La Roue vengeait cruellement Berelain, dont les grelottements l’amusaient tant tout à l’heure. En fait, il lui tardait de revêtir une des grossières robes de drap noir que portaient les gai’shains. Ses geôliers ne se préparaient pas à partir. Il y avait d’autres prisonniers à ramener au camp. Il y eut d’abord Maighdin, nue et attachée comme Faile, se débattant à chaque pas. La Vierge qui la poussait faucha brusquement ses jambes sous elle. Maighdin tomba sur le derrière, les yeux tellement exorbités que Faile aurait ri si elle ne l’avait pas plainte. Venait ensuite Alliandre, pliée en deux pour se protéger, puis Arrela, paralysée par sa nudité, qui était traînée par deux Vierges. Enfin, un autre grand Aiel parut, portant sous son bras comme un paquet une Lacile qui se débattait furieusement.

— Les autres sont morts ou en fuite, dit l’homme, lâchant la petite Cairhienine qui tomba à côté de Faile.

— Sevanna devra se contenter de ça, Efalin. Elle attache trop d’importance à la capture d’individus vêtus de soie.

Faile n’opposa pas de résistance quand on la fit lever et qu’on la mit au travail dans la neige à la tête des autres prisonniers. Elle était trop accablée de stupeur pour résister. Parelean mort, Arrela et Lacile captives, ainsi qu’Alliandre et Maighdin. Par la Lumière, il fallait que quelqu’un prévienne Perrin au sujet de Masema ! Quel coup du sort ! Elle était là, grelottante et serrant les mâchoires pour ne pas claquer des dents, nue comme un ver et attachée, en route vers une captivité incertaine. En plus, elle devait espérer que cette femelle en chaleur – cette traînée pulpeuse – de Berelain, s’était échappée et pourrait rejoindre Perrin ! De tous les événements du jour, celui-là lui parut le pire !