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Sur Daishar, Egwene remonta au pas la colonne des nouvelles initiées, les sœurs à cheval au milieu des chariots, Acceptées et novices à pied malgré la neige. Un beau soleil brillait dans un ciel sans nuages, mais une légère buée s’élevait des narines de son hongre. Sheriam et Siuan chevauchaient derrière elle, discutant tranquillement à propos des informations reçues des Yeux-et-Oreilles de Siuan. Egwene avait pensé que la femme aux cheveux de flamme était une Gardienne efficace après avoir appris qu’elle n’était pas élue Amyrlin. De jour en jour, Sheriam remplissait plus assidûment ses devoirs. Chesa suivait sur sa jument au cas où l’Amyrlin aurait besoin de quelque chose. Contrairement à sa maîtresse, elle maugréait au sujet de Meri et Selame, qui s’étaient enfuies, les ingrates mégères, la laissant assumer le travail de trois. Elles avançaient lentement, et Egwene évitait soigneusement de regarder la colonne.

Un mois de recrutement, un mois pendant lequel le livre des novices avait été ouvert à toutes, et avait attiré des candidates en nombre surprenant. Un flot continu de femmes impatientes de devenir Aes Sedai, de tous les âges, dont certaines avaient parcouru des centaines de miles, arrivait jusqu’à elles. Maintenant, la colonne comportait deux fois plus de novices qu’avant. Presque mille ! La plupart ne porteraient jamais le châle, pourtant leur nombre attirait tous les regards. Certaines pourraient poser des problèmes mineurs, et l’une d’elles, une grand-mère du nom de Sharina, avec un potentiel supérieur à celui de Nynaeve, avait stupéfié tout le monde. Elle ne cherchait pas à éviter la vue d’une mère et d’une fille se chamaillant parce qu’un jour la fille serait beaucoup plus puissante que la mère, ou celle des femmes nobles qui regrettaient d’avoir demandé à être testées, ou les regards d’une franchise inquiétante de Sharina. Cette femme aux cheveux gris respectait toutes les règles à la lettre, et manifestait à chacune le respect qui lui était dû. Elle avait gouverné sa grande famille par la seule force de sa présence, et même certaines sœurs s’écartaient prudemment de son chemin. Celles qu’Egwene n’avait pas envie de voir, c’étaient les jeunes femmes qui les avaient rejointes deux jours plus tôt. Les deux sœurs qui les avaient amenées avaient été frappées de stupeur en constatant qu’Egwene était l’Amyrlin. Leurs protégées n’arrivaient pas à y croire, pas Egwene al’Vere, la fille du maire du Champ d’Emond ! Elle ne désirait pas punir quiconque, mais elle devrait s’y résoudre si elle en voyait encore une lui tirer la langue.

Gareth Bryne avait aligné son armée en une large colonne, cavaliers et fantassins s’étirant à perte de vue au milieu des arbres. Le pâle soleil se reflétait sur les plastrons, les casques et les pointes de lances. Les chevaux frappaient la neige de leurs sabots avec impatience.

Bryne avança au pas sur son solide alezan pour la rejoindre avant qu’elle effectue sa jonction avec les Députées qui l’attendaient dans une vaste clairière devant les deux colonnes. Il lui sourit à travers la visière de son casque. Un sourire rassurant, se dit-elle.

— Belle matinée, Mère, dit-il.

Elle hocha la tête, et il la suivit, au côté de Siuan. Qui ne se mit pas immédiatement à lui cracher dessus. Egwene ne savait pas exactement quel arrangement Siuan avait conclu avec lui, mais maintenant elle grommelait rarement, et jamais en sa présence. Egwene était bien contente qu’il soit là maintenant. Le Siège d’Amyrlin ne pouvait pas faire savoir à son général qu’elle avait besoin qu’il la rassure, mais elle en ressentait la nécessité ce matin-là.

Les Députées avaient aligné leurs montures à la lisière de la forêt, et treize autres sœurs avaient arrêté leurs chevaux un peu à l’écart, observant attentivement les Députées. Romanda et Lelaine éperonnèrent leurs montures presque en même temps. Egwene ne put s’empêcher de soupirer à leur approche, leurs capes flottant derrière elles, les sabots soulevant des gerbes de neige. L’Assemblée lui obéissait parce qu’elle n’avait pas le choix. Dans les domaines concernant la guerre contre Elaida, elles s’exécutaient, mais, par la Lumière, ce qu’elles pouvaient discutailler sur ce qui concernait ou non cette guerre ! Quand cela n’avait rien à voir avec la guerre, obtenir d’elles quelque chose était aussi difficile qu’arracher les dents à un canard ! À l’exception de Sharina, elles auraient trouvé le moyen d’arrêter le recrutement de femmes de tous les âges. Même Romanda était impressionnée par Sharina.

Toutes deux s’arrêtèrent devant elle. Avant qu’elles aient pu ouvrir la bouche, Egwene parla.

— Il est temps de passer à l’action, mes filles, sans perdre de temps à des discours futiles. Allez.

Romanda renifla doucement, et Lelaine parut sur le point de l’imiter.

Elles firent pivoter leurs montures ensemble, puis se foudroyèrent mutuellement du regard. Les événements du mois écoulé avaient renforcé leur aversion mutuelle. Lelaine rejeta la tête en arrière avec colère, et Romanda eut une ombre de sourire à la commissure des lèvres. Egwene faillit sourire, elle aussi. Cette animosité réciproque était encore sa plus grande force à l’Assemblée.

— Le Siège d’Amyrlin vous ordonne de commencer, annonça Romanda, levant une main majestueuse.

L’aura de la saidar brilla autour des treize sœurs proches des Députées, les englobant toutes. De grandes fentes argentées apparurent au milieu de la clairière, tournant sur elles-mêmes et s’élargissant en un portail de dix toises de haut et cent de large. Il neigeait aussi de l’autre côté. Le vent apporta vers elles quelques flocons. Des officiers crièrent des ordres, et les premières unités de cavalerie lourde passèrent. La neige tourbillonnant au-delà du portail était trop dense pour voir loin, mais Egwene imagina les Remparts Étincelants de Tar Valon et la Tour Blanche.

— C’est commencé, Mère, dit Sheriam, d’un ton presque étonné.

— C’est commencé, acquiesça Egwene.

Et, la Lumière aidant, Elaida tomberait bientôt. Elle était censée attendre que Bryne lui annonce qu’il avait fait passer suffisamment de soldats, mais elle ne put se retenir. Talonnant Daishar, elle franchit le portail, débouchant dans la neige au milieu de la plaine où le Mont du Dragon se détachait, noir et fumant, sur le ciel blanc.

31

Après

La brise et les neiges d’hiver ralentissaient le commerce à travers les contrées, jusqu’au printemps. Pour trois pigeons envoyés par les marchands, deux étaient victimes des faucons ou des aléas climatiques. Là où la glace ne couvrait pas les rivières, les vaisseaux naviguaient toujours, et la rumeur volait plus vite que l’éclair. Un millier de rumeurs, chacune projetant des graines qui germaient dans la neige et la glace comme dans un sol fertile.

À Tar Valon, prétendaient certaines, de grandes armées s’étaient affrontées, des rivières de sang avaient coulé dans les rues, et les Aes Sedai rebelles avaient planté la tête d’Elaida a’Roihan au bout d’une pique. Non, Elaida avait fermé la main, et les rebelles qui avaient survécu rampaient servilement à ses pieds. Il n’y avait pas eu de rebelles, pas de scission à la Tour Blanche. C’était la Tour Noire qui avait été anéantie, par la volonté et la puissance des Aes Sedai. Les Asha’man pourchassaient les Asha’man à travers toutes les nations. La Tour Blanche avait fait voler en éclats le Palais du Soleil à Cairhien, et le Dragon Réincarné lui-même était maintenant vassal du Siège d’Amyrlin, son outil et sa marionnette. Certaines rumeurs disaient au contraire que les Aes Sedai étaient ses vassales, vassales des Asha’man, mais peu de gens y croyaient, et ils étaient tournés en ridicule.