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Verin se leva si précipitamment que son carnet tomba à terre. Aeron ne pouvait pas canaliser du tout, mais Verin lui fit une révérence beaucoup plus profonde qu’à Daviena et Losaine. Au plus bas de son salut, elle arrangea ses jupes pour couvrir le carnet, mais Aeron s’en saisit vivement. Verin se redressa, regardant calmement la grande Aielle en feuilleter les pages.

Des yeux bleus comme le ciel rencontrèrent les siens. Bleus comme un ciel d’hiver.

— Beaucoup de jolis dessins et des tas de choses sur les plantes et les fleurs, dit Aeron avec froideur. Je ne vois rien concernant les questions qu’on vous a demandé de poser.

Elle jeta le carnet à Verin plutôt qu’elle ne le lui rendit.

— Merci, Sagette, dit docilement Verin, remettant prudemment le carnet derrière sa ceinture.

Pour faire bonne mesure, elle ajouta même une autre révérence, aussi profonde que la précédente.

— J’ai l’habitude de noter tout ce que je vois.

Un jour, elle devrait noter le code dont elle se servait dans ses carnets – les carnets de toute une vie emplissaient des tiroirs et des coffres dans son appartement au-dessus de la bibliothèque de la Tour Blanche – un jour, mais pas tout de suite, espérait-elle.

— Quant aux… euh… prisonnières, jusqu’à présent, elles disent toutes la même chose. Que le Car’a’carn doit être logé à la Tour Blanche jusqu’à la Dernière bataille. Que ses mauvais traitements ont commencé après sa tentative d’évasion. Mais vous le savez déjà, bien sûr. N’ayez crainte, je suis certaine d’en apprendre plus.

Tout était vrai, bien que ce ne fût pas toute la vérité. Elle avait vu mourir trop de sœurs pour risquer d’en envoyer d’autres à la mort sans une très bonne raison. Le problème, c’était de décider cette prise de risque. La façon dont le jeune al’Thor avait été capturé, par une ambassade censée traiter avec lui, mettait les Aiels dans une rage meurtrière, et pourtant, ce qu’elle appelait « mauvais traitement » ne les émouvait guère, pour autant qu’elle en pouvait juger.

Des bracelets d’or et d’ivoire cliquetèrent doucement quand Aeron ajusta son châle. Elle baissa les yeux sur Verin, comme s’efforçant de lire dans ses pensées. Aeron était assez haut placée dans la hiérarchie des Sagettes, et bien que Verin ait vu parfois un sourire plisser ses joues hâlées, ce sourire ne s’adressait jamais à une Aes Sedai. Nous n’avions jamais soupçonné que vous seriez celles qui échoueraient, avait-elle dit un jour à Verin, quelque peu énigmatique. Mais le reste de son discours n’avait rien eu d’ambigu. Les Aes Sedai n’ont pas d’honneur. Donnez-moi un cheveu de suspicion, et je vous ligoterai de mes propres mains, au point que vous ne tiendrez plus debout. Donnez-moi deux cheveux, et je vous ligoterai à un poteau, exposée aux vautours et aux fourmis. Verin leva les yeux sur elle, battant des paupières, s’efforçant de prendre un air ouvert. Et docile. Ne jamais oublier de paraître docile. Docile et conciliante. Elle ne ressentait pas la peur. En son temps, elle avait affronté les regards plus durs, de femmes – et d’hommes – qui, contrairement à Aeron, n’avaient pas le moindre scrupule à mettre fin à sa vie. Mais elle avait fait beaucoup d’efforts pour qu’on l’envoie poser ces questions. Elle ne voulait pas qu’ils soient inutiles. Si seulement ces Aiels n’étaient pas aussi impassibles.

Brusquement, elle réalisa qu’elles n’étaient plus seules dans la tente. Deux Vierges aux cheveux de lin entrèrent, encadrant une femme en noir légèrement plus petite qu’elles. Elles l’aidaient à se tenir debout. D’un côté se tenait la grande Tialin, l’air sévère dans la lumière de la saidar qui entourait d’un écran la prisonnière dont les cheveux trempés de sueur tombaient en boucles sur ses épaules, avec des mèches folles collées à son visage si poussiéreux que Verin ne la reconnut pas tout de suite. Pommettes saillantes, mais pas trop, nez à peine busqué, yeux légèrement en amande… Beldeine. Beldeine Nyram. Elle l’avait eue brièvement comme élève quand elle était novice.

— Puis-je me permettre de demander, dit-elle prudemment, pourquoi vous m’amenez celle-ci ? J’en avais demandé une autre.

Beldeine n’avait pas de Lige, bien qu’étant de l’Ajah Verte – elle avait été élevée au châle à peine trois ans plus tôt, et les Vertes étaient particulièrement difficiles pour le choix de leur premier Lige – mais si elles commençaient à lui amener qui elles voulaient, la prochaine en aurait peut-être deux ou trois. Elle pensait pouvoir s’occuper de deux de plus ce jour-là, mais pas si elles n’avaient ne fût-ce qu’un seul Lige. Et elle doutait qu’elles lui donnent une seconde chance avec aucune d’elles.

— Katerine Alruddin s’est évadée la nuit dernière, cracha Tialin.

Elle en resta bouche bée.

— Vous l’avez laissée s’évader ? s’écria-t-elle sans réfléchir.

La fatigue n’était pas une excuse, mais ces mots lui échappèrent avant qu’elle ait pu les retenir.

— Comment avez-vous pu commettre une telle sottise ? C’est une Rouge ! Et ni lâche ni faible dans le Pouvoir ! Le Car’a’carn pourrait être en danger ! Pourquoi n’ai-je pas été prévenue aussitôt ?

— Sa fuite n’a été découverte que ce matin, grommela une Vierge, ses yeux comme du saphir poli. Une Sagette et deux Cor Dareis ont été empoisonnés, et le gai’shain qui leur apportait à boire a été retrouvé la gorge tranchée.

Aeron haussa froidement un sourcil.

— Vous a-t-elle parlé, Carahuin ?

Les deux Vierges s’efforcèrent soudain de maintenir Beldeine sur ses pieds. Aeron regarda à peine Tialin, mais l’autre baissa les yeux. Verin fut l’objet suivant de son attention.

— Votre inquiétude au sujet de Rand al’Thor vous… honore, dit-elle à contrecœur. Il sera gardé. Vous n’avez pas besoin d’en savoir plus. Ou tant.

Brusquement, elle durcit le ton.

— Mais les apprenties ne parlent pas sur ce ton aux Sagettes, Verin Mathwin Aes Sedai, répliqua-t-elle avec dérision.

Réprimant un soupir. Verin s’embarqua dans une nouvelle révérence, regrettant à part elle de ne plus être aussi mince qu’à son arrivée à la Tour Blanche.

Elle n’était pas faite pour toutes ces courbettes et révérences.

— Pardonnez-moi, Sagette, dit-elle humblement.

Évadée ! La situation était claire maintenant, pour elle, sinon pour les Aiels.

— L’appréhension a dû me troubler les idées.

Dommage qu’elle n’ait pas un moyen de s’assurer que Katerine succomberait à un accident fatal.

— Je ferai de mon mieux pour ne pas l’oublier à l’avenir.

Aeron n’eut pas même un battement de cils pour manifester qu’elle acceptait ces excuses.

— Dois-je reprendre l’écran, Sagette ?

Aeron acquiesça de la tête sans regarder Tialin, et Verin embrassa vivement la Source, reprenant l’écran que Tialin lâcha. Elle ne cessait jamais de s’étonner que des femmes incapables de canaliser puissent donner si librement des ordres à celles qui le pouvaient. Tialin n’était guère plus faible que Verin dans le Pouvoir, et pourtant, elle regardait Aeron avec le même respect que les Vierges. Quand elles sortirent de la tente sur un geste d’Aeron, laissant Beldeine chanceler sur place, Tialin était juste derrière.

Aeron ne les suivit pas, pas tout de suite.

— Vous ne parlerez pas de Katerine Alruddin au Car’a’carn, dit-elle. Il a trop de choses en tête pour être inquiété par des vétilles.

— Je ne lui en dirai rien, acquiesça vivement Verin.

Des vétilles ? Une Rouge de la force de Katerine, ce n’était pas une vétille. Cela méritait peut-être une note et demandait réflexion.