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— Veillez à tenir votre langue, Verin Mathwin, ou vous vous en servirez pour hurler.

Cela semblait sans réplique, alors Verin se concentra sur la douceur et la docilité, et fit une nouvelle révérence. Ses genoux criaient grâce.

Une fois Aeron partie, Verin s’octroya un soupir de soulagement. Elle avait craint qu’Aeron ne reste. Obtenir la permission d’être seule avec une prisonnière avait exigé presque autant d’efforts que persuader Sorilea et Amys qu’elles devaient être interrogées par quelqu’un de familier de la Tour Blanche. Si elles apprenaient que leur décision avait été influencée… souci à remettre à plus tard. Elle en remettait beaucoup à plus tard ces temps-ci.

— Il y a assez d’eau pour vous laver au moins les mains et le visage, dit-elle doucement à Beldeine. Et si vous voulez, je vais vous Guérir.

Toutes les sœurs qu’elle avait interrogées étaient marquées par quelques traces de coups.

Les Aiels ne battaient pas les prisonniers, sauf quand ils renversaient de l’eau ou renâclaient à la besogne – les refus les plus altiers ne leur attiraient que des rires méprisants – mais les femmes en noir étaient traitées comme des animaux, un coup de badine pour avancer, tourner, ou s’arrêter, et un coup plus fort si elles n’obéissaient pas assez vite. Et Guérir facilitait aussi le reste.

Crasseuse, en sueur, oscillant comme un roseau sous le vent, Beldeine retroussa les lèvres en un rictus.

— J’aimerais mieux saigner à mort qu’être Guérie par vous ! cracha-t-elle. J’aurais peut-être dû m’attendre à vous voir ramper devant ces irrégulières, ces sauvages, mais je n’aurais jamais cru que vous vous abaisseriez à leur révéler des secrets de la Tour ! Cela équivaut à une trahison, Verin ! À la rébellion !

Elle eut un grognement de mépris.

— Je suppose que ça ne vous a pas fait peur ; rien ne vous arrête ! Quoi d’autre leur avez-vous appris, à part le liage ?

Verin eut un claquement de langue irrité, sans se soucier de la détromper. Elle avait mal au cou à force de lever la tête vers les Aiels – d’ailleurs, Beldeine aussi avait une bonne main de plus qu’elle – elle avait mal aux genoux à force de faire la révérence, et elle avait vu aujourd’hui beaucoup trop de femmes qui l’avaient accablée de leur mépris aveugle ou de leur orgueil imbécile. Qui, mieux qu’une Aes Sedai, aurait dû savoir qu’une sœur devait présenter au monde bien des visages différents ? On ne pouvait pas toujours impressionner les gens ou les matraquer. De plus, il valait beaucoup mieux se comporter comme une novice qu’être punie comme telle, surtout quand ça ne vous valait que souffrance et humiliation. Même Kiruna finirait par le comprendre.

— Asseyez-vous avant de vous effondrer, dit-elle, joignant le geste à la parole. Laissez-moi deviner ce que vous avez fait aujourd’hui. Comme vous êtes couverte de terre, je dirais que vous avez creusé un trou. À mains nues, ou vous a-t-on permis l’usage d’une cuillère ? Quand elles décideront qu’il est assez profond, elles vous diront de le combler, vous savez. Voyons maintenant. Toutes les parties visibles de votre personne sont pleines de terre, mais votre robe est propre, j’en conclus qu’elles vous ont fait creuser toute nue. Êtes-vous sûre de ne pas vouloir être Guérie ? Les coups de soleil peuvent être douloureux.

Elle remplit d’eau une tasse, et lui fit traverser la tente sur un flot d’Air pour s’arrêter devant Beldeine.

— Vous devez avoir la gorge sèche.

Chancelante, la jeune Verte fixa la tasse un moment, puis soudain, ses jambes se dérobèrent et elle s’effondra sur un coussin avec un rire amer.

— Elles… m’abreuvent fréquemment.

Elle rit de nouveau, mais Verin ne comprit pas la plaisanterie.

— Autant d’eau que je veux, pourvu que j’avale tout.

Scrutant Verin avec colère, elle poursuivit d’une voix tendue :

— Cette robe vous sied très bien. Elles ont brûlé la mienne ; je les ai vues. Elles m’ont tout volé, à part ça.

Elle toucha le Grand Serpent doré à son index gauche, éclair d’or brillant au milieu de la crasse.

— Je suppose qu’elles n’ont pas osé. Je sais ce qu’elles essayent de faire, Verin, et ça ne marchera pas. Pas avec moi, ni avec aucune d’entre nous !

Elle était toujours sur ses gardes. Verin posa la tasse près de Beldeine sur le tapis à fleurs, puis prit la sienne et but avant de parler.

— Oh ? Et qu’est-ce qu’elles essayent de faire ?

Cette fois, le rire de Beldeine fut cassant en même temps que dur.

— Nous briser, et vous le savez ! Nous faire prêter serment à al’Thor, comme vous l’avez fait. Ah ! Verin, comment avez-vous pu ? Lui jurer allégeance ! Et pire, à un homme, à lui ! Même si vous aviez des raisons de vous rebeller contre le Siège d’Amyrlin, contre la Tour Blanche… (dans sa bouche, les deux étaient identiques) ! Comment avez-vous pu faire une chose pareille ?

Un instant, Verin se demanda s’il aurait mieux valu que les femmes, maintenant prisonnières au camp des Aiels, aient été capturées comme elle, tels des copeaux de bois entraînés dans le tourbillon du ta’veren d’al’Thor, les mots s’échappant de sa bouche avant qu’elle ait eu le temps de les formuler intérieurement. Pas des mots qu’elle eût prononcés d’elle-même – ce n’était pas ainsi qu’un ta’veren vous affectait. Non, on s’était longuement et passionnément disputés pour savoir si on se devait de respecter des serments prêtés de cette manière. Les discussions sur la façon de les respecter continuaient de plus belle. Distraitement, elle tripota quelque chose de dur sous sa ceinture, une petite broche, pierre translucide taillée en forme de lys, mais avec beaucoup de pétales. Elle ne l’exposait jamais, mais elle l’avait toujours à portée de main depuis près de cinquante ans.

— Vous êtes da’tsang, Beldeine. Vous devez l’avoir entendu.

Elle aurait pu se passer du sec hochement de tête de Beldeine lui signifiant le mépris inhérent à la loi des Aiels, et qui constituait une sentence. Cela, elle le savait, même si elle ne savait guère autre chose.

— Vos vêtements et tout ce qui était combustible ont été brûlés, parce qu’aucun Aiel ne voudrait posséder quoi que ce soit ayant appartenu à une da’tsang. Le reste a été détruit à coups de hache et de marteau, même les bijoux que vous portiez, et enterré dans un trou creusé pour les latrines.

— Mon… mon cheval ? demanda anxieusement Beldeine.

— Ils n’ont pas tué les chevaux, mais je ne sais pas où est le vôtre.

Monté par quelqu’un de la cité, probablement, ou donné à un Asha’man. Le lui dire aggraverait la situation. Verin crut se rappeler que Beldeine faisait partie de ces jeunes femmes aimant profondément les chevaux.

— Elles vous ont laissé votre anneau pour vous rappeler qui vous étiez et accroître votre honte. Je ne sais pas si elles vous laisseraient jurer allégeance à Maître al’Thor, même si vous les suppliiez à genoux. Cela exigerait de votre part quelque chose d’incroyable, je pense.

— Je ne jurerai pas ! Jamais !

Pourtant, ces mots sonnaient creux, et les épaules de Beldeine s’affaissèrent. Elle était ébranlée, mais pas encore suffisamment.

Verin affecta un large sourire. Un homme lui avait dit un jour que son sourire lui rappelait sa mère chérie. Elle espérait qu’il n’avait pas menti, sur ce point au moins. Un peu plus tard, il avait tenté de lui enfoncer une dague entre les côtes, et son sourire avait été la dernière chose qu’il avait vue.

— Je ne vois aucune raison pour laquelle vous jureriez. Non, je crains seulement que la seule chose que l’avenir vous réserve ne soit une longue suite de labeurs inutiles. Pour eux, c’est une humiliation. Une humiliation profonde. Naturellement, s’ils réalisent que vous envisagez la chose différemment… Oh ! là ! là ! Je parie que ça ne vous a pas plu de creuser toute nue, même avec des Vierges pour gardes. Mais imaginez, disons, que vous vous trouviez ainsi dans une tente pleine d’hommes ?