Malaspey prenait des notes, pipe aux dents. Je pouvais lui faire confiance : il avait passé plusieurs années aux Stups. Foucault intervint :
— Et moi ?
— Selon ma théorie, le tueur localise les cas de réanimations à travers l’Europe. Il possède donc un moyen de les identifier. C’est notre piste la plus sérieuse. D’une façon ou d’une autre, il repère les survivants. On doit découvrir comment il fait.
— Concrètement, je contacte qui ?
— Les associations qui recensent les cas de NDE ou simplement les expériences de décorporation. L’IANDS par exemple : l’International Association for Near Death Studies.
— C’est américain ?
— Il y a un bureau aux USA, mais aussi en France et dans plusieurs pays d’Europe. Tu interroges chaque branche. Ils se souviendront peut-être d’un mec intéressé par les expériences négatives. Ou simplement d’un personnage suspect. Comme tu es à l’aise avec les langues étrangères, tu n’auras pas de problème.
Foucault tira la gueule. Je continuai :
— Élargis ta recherche à tous les rescapés spectaculaires, même s’ils n’ont pas eu de visions. Après tout, si j’ai raison, mon tueur se charge de leur imprimer le cerveau. Il doit exister des associations s’occupant des rescapés du coma.
J’allumai une Camel — tant pis pour l’atmosphère épurée du salon.
— De mon côté, fis-je, je récupère les dossiers médicaux de Raïmo Rihiimäki, d’Agostina Gedda, de Manon Simonis. Un nom commun à ces trois dossiers va peut-être sortir. Un médecin, un expert, un spécialiste.
Meyer risqua :
— Mat, c’est bien beau de partir comme ça, avec sa bite et son couteau. Mais on a d’autres affaires au feu.
— Vous arrêtez tout.
— Et Dumayet ? demanda Foucault.
— Je m’en charge. Cette enquête est notre priorité absolue. Je vous veux tous les trois au taquet.
Point d’orgue. J’éclatai de rire. Je fis signe au serveur :
— Passons aux choses sérieuses. Ils doivent bien planquer une bouteille ici !
107
UNE BOMBE m’attendait dehors.
Un message de Manon, laissé à 9 h 10.
— Où t’es ? Ils m’arrêtent, Mat ! Ils me mettent en garde à vue ! Je sais pas où je vais. Viens me chercher !
La communication finissait sur un souffle bref, haletant — celui d’un animal apeuré. Magnan avait donc agi plus vite que prévu. Et opté pour le pire : la garde à vue. Vingt-quatre heures d’incubateur, renouvelables une fois, avec fouille à corps et confiscation de tout objet personnel. Qui allait l’interroger ? Je songeai aux gars de la lre DPJ — les plus durs de tous.
Je rappelai Manon. Répondeur. Je composai le numéro de la magistrate. Répondeur aussi. Putain de merde. Je passai deux autres coups de fil et obtins confirmation que l’audition se déroulait rue des Trois-Fontanots, à Nanterre.
Je branchai ma sirène, plaquai mon gyrophare sur mon toit et pris la direction de la Défense. À fond. Les révolutions de lumière saturaient mon habitacle d’un bleu polaire. Sans lever le pied de l’accélérateur, je me dis que, malgré tout, je ne devais pas oublier mon enquête. Je m’arrachai aux images de Manon en larmes, perdue, et revins à l’autre priorité : les dossiers des miraculés.
J’appelai Valtonen, le psychiatre de Raïmo Rihiimäki. Je lui expliquai l’urgence en hurlant — m’envoyer le plus vite possible le dossier médical de Raïmo, comprenant les noms de tous les médecins et spécialistes qui l’avaient approché.
Valtonen les avait déjà numérisés. Il pouvait me les mailer immédiatement mais attention : il n’avait pas retrouvé la version anglaise. Tout était rédigé en estonien. Pas de problème : je cherchais un nom, pas un commentaire scientifique.
Toujours dans le fracas de la sirène, je contactai le Bureau des Constatations médicales à Lourdes, afin d’obtenir les noms des experts qui avaient entériné le miracle d’Agostina Gedda. On m’expliqua que ces documents étaient actuellement sous scellés, pour cause d’enquête criminelle. Pierre Bucholz, le médecin qui avait suivi Agostina, venait d’être assassiné.
Je raccrochai sans m’expliquer ni donner mon nom. Merde de merde de merde. Je songeai à van Dieterling : lui aussi possédait le dossier. Mais c’était encore lui demander une faveur et je ne voulais plus négocier avec l’homme en pourpre.
Restait le diocèse de Catane. J’appelai Mgr Corsi. Je coupai ma sirène et parlai à deux prêtres avant d’avoir l’archevêque en ligne. Il se souvenait de moi et ne voyait pas de difficulté à m’envoyer le rapport d’expertise du Saint-Siège. Mais il voulait me poster des photocopies, ce qui impliquait un délai d’une semaine minimum. Conservant mon sang-froid, j’expliquai l’urgence de mon enquête et obtins qu’un de ses diacres me faxe le dossier dans la matinée. Je me confondis en remerciements.
Dans la foulée, je composai le numéro de l’hôpital universitaire de Lausanne. Je devais aussi me procurer les documents sur le sauvetage et le traitement de Manon Simonis. Le Dr Moritz Beltreïn était en séminaire et ne rentrait que le soir. Or, lui seul savait où se trouvait le dossier. Voulais-je laisser un message ?
Je demandai à parler à la stagiaire que j’avais croisée la première fois — je me souvenais de son nom : Julie Deleuze. Elle ne travaillait que le week-end et ne commençait sa permanence que le vendredi soir, dans quelques heures. Je raccrochai, me jurant de rappeler en fin d’après-midi.
Porte Maillot.
Je fis mes comptes. J’obtiendrais les dossiers de Raïmo et d’Agostina aujourd’hui. Par ailleurs, Éric Thuillier allait me faire porter la liste de tous ceux qui avaient approché Luc Soubeyras depuis son réveil. Il ne me manquerait plus que le bilan de Manon pour comparer toutes ces données et voir si un nom ressortait.
J’évitai le tunnel en direction de Saint-Germain-en-Laye et empruntai le boulevard circulaire, qui me conduisit directement à la sortie « Nanterre-Parc », la voie la plus rapide pour gagner le quartier général de la flicaille à Nanterre.
Des gardes en uniforme m’interdirent l’accès aux bureaux. Je n’avais pas rendez-vous et ne possédais aucune convocation. J’avais moins de chance que Foucault, qui était entré la veille ici comme dans un moulin. Je demandai qu’on prévienne Corine Magnan de ma présence.
Cinq minutes plus tard, la juge aux cheveux roux apparut. Ses joues n’étaient plus couleur de rouille, mais de flammes. Elle ne me dit même pas bonjour.
— Qu’est-ce que vous faites ici ? lança-t-elle en franchissant le portique antimétal.
Le ton bouillait de colère. La sonnerie du système fit écho à ses paroles, ajoutant à l’agression de la voix.
— Je veux parler à Manon.
Elle eut un rire forcé, qui s’arrêta net. Je fis un pas vers elle :
— Vous prétendez m’en empêcher ?
— Je ne prétends rien, dit-elle. Vous ne pouvez pas la voir : vous le savez bien.
— Je suis commandant à la Criminelle !
— Calmez-vous.
J’avais hurlé dans l’espace rempli de flics. Tous les regards tombèrent sur moi. Je me passai la main sur le visage, moite de sueur. Mes doigts tremblaient. Magnan me prit par le bras et proposa, un cran plus bas :