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Merideth fixa Jesse silencieusement, et dit :

— Tu as raison.

Serpent vit son poing gauche se crisper et trembler.

— Alex, veux-tu t’occuper de ma jument ? Nous l’avons mise à rude épreuve.

Alex hésita, mais ce n’était pas, pensa Serpent, parce qu’il répugnait à faire ce que Merideth lui demandait.

— Très bien, Merry, dit-il et il sortit.

Serpent attendit. On entendit les pas d’Alex sur le sable, puis la marche lente du cheval.

Jesse remua et soupira dans son sommeil. Merideth fit une grimace, inspira profondément puis, malgré ses efforts pour se maîtriser, éclata soudain en violents sanglots. Ses larmes luisaient comme une rangée de diamants. Serpent lui prit la main en gage de sympathie ; enfin son poing serré se détendit.

— Je ne voulais pas qu’Alex soit témoin…

— Je sais, dit Serpent.

Alex aussi, pensa-t-elle. Ces gens savaient se préserver l’un l’autre.

— Merideth, Jesse supportera-t-elle de savoir ? Je déteste cacher quelque chose, mais…

— Elle est forte. Et trop perspicace pour être dupe.

— Très bien. Il faut que je la réveille. Elle ne doit pas dormir plus de quelques heures de suite avec cette blessure à la tête. Et il faut la retourner toutes les deux heures pour éviter l’ulcération de la peau.

— Je vais la réveiller.

Merideth se pencha sur Jesse et posa un baiser sur ses lèvres, puis, lui tenant la main, murmura son nom. Jesse mit longtemps à s’éveiller, marmonnant et repoussant Merideth.

— Ne peut-on la laisser dormir encore un peu ?

— Il est plus prudent de la réveiller un moment.

Jesse gémit, protesta faiblement, et ouvrit les yeux. Elle fixa un instant le toit de la tente, puis tourna la tête et vit Merideth.

— Merry… Je suis contente de te revoir.

Ses yeux étaient d’un brun presque noir, qui contrastait étrangement avec ses cheveux roux et son teint coloré.

— Pauvre Alex, ajouta-t-elle.

— Je sais.

— Une guérisseuse ? dit Jesse, voyant Serpent.

— Oui.

Jesse la fixa calmement et lui dit d’une voix ferme :

— J’ai la colonne fracturée ?

Merideth sursauta. Serpent hésita, mais elle ne pouvait éluder, fût-ce un court instant, une question aussi directe. À contrecœur elle acquiesça d’un signe.

Jesse se détendit d’un seul coup laissant sa tête retomber en arrière le regard fixé vers le plafond.

Merideth se pencha sur elle pour la serrer dans ses bras.

— Jesse, Jesse, ma chérie, c’est…

Mais à quoi bon en dire davantage. Merideth se blottit contre l’épaule de Jesse, étreignant son amie en silence. Jesse fixa Serpent.

— Je suis paralysée. Je ne guérirai pas.

— Je regrette, dit Serpent. Non, je ne puis vous laisser d’espoir.

Jesse ne changea pas d’expression ; peut-être avait-elle espéré être rassurée, mais son visage ne trahit aucune déception.

— Je savais que c’était une mauvaise chute. J’ai entendu des os se briser. Et le poulain ? dit-elle, s’adressant avec douceur à Merideth.

— Il était mort quand nous t’avons trouvée. Il s’est rompu le cou.

La voix de Jesse exprima un mélange de soulagement, de regret et de peur.

— Ç’a été rapide. Pour lui.

Une âcre odeur d’urine flottait dans la tente. Jesse la sentit et devint cramoisie de honte.

— Ça ne fait rien, dit Merideth, qui alla chercher un linge.

Tandis qu’on la nettoyait, Jesse détournait les yeux et restait muette.

Alex fit une rentrée circonspecte.

— La jument va bien, dit-il.

Mais son esprit était ailleurs. Il regardait Jesse, qui était encore tournée vers le bas-côté de la tente, un bras sur les yeux.

— Jesse s’y connaît pour choisir un bon cheval, dit Merideth.

En dépit de cet humour de commande, l’atmosphère était tendue à se rompre. Sous le regard fixe de ses deux partenaires, Jesse était immobile.

— Laissez-la dormir, dit Serpent, sans savoir si la malade était encore éveillée. Elle aura faim à son réveil. J’espère que vous aurez quelque chose à lui donner qui puisse lui convenir.

Leur attention figée fit place à une activité fébrile ; c’était un soulagement pour eux. Merideth fouilla dans des sacs petits et grands et en sortit de la viande séchée, des fruits secs, une gourde de cuir.

— C’est du vin… Est-ce permis ?

— Elle n’est pas gravement commotionnée, dit Serpent, donc ça ne devrait pas lui faire de mal.

Peut-être même l’alcool pourrait-il lui faire du bien, pensa-t-elle, à moins qu’elle ait le vin triste.

— Mais cette viande séchée…

— Je ferai du bouillon, dit Alex.

Sortant une marmite métallique de leur batterie de cuisine, il tira son couteau de son ceinturon et se mit à tailler un morceau de viande. Merideth versa du vin sur des morceaux de fruits ratatinés. Un parfum aigre-doux s’éleva et Serpent se rendit compte qu’elle avait soif, et aussi une faim dévorante. Les gens du désert semblaient sauter des repas sans même s’en apercevoir, mais Serpent, qui était parvenue à l’oasis deux jours auparavant – où était-ce trois ? – n’avait guère mangé depuis lors : elle dormait pour faire passer les effets de sa réaction au venin de vipère. Il était contraire aux usages de demander de la nourriture ou de l’eau dans cette région parce qu’il était encore plus impoli de n’en pas offrir. Mais on pouvait, en pareille circonstance, oublier les bonnes manières. Serpent tremblait de faim.

— Je meurs de faim, dit Merideth avec étonnement, ayant lu, semblait-il, la pensée de Serpent. Pas vous ?

— Eh bien, oui, dit Alex à contrecœur.

— Et puisque nous sommes vos hôtes…

Comme en s’excusant, Merideth tendit la gourde à Serpent sortit des bols et des fruits. Serpent but le vin épicé à la fois frais et brûlant ; elle en avala d’abord une trop grande gorgée et s’étouffa, car c’était une boisson forte. Elle en reprit et rendit la gourde à Merideth, qui but à son tour. Puis Alex versa une portion généreuse de vin dans la marmite, en avala une gorgée rapide, et sortit avec le bouillon pour le faire chauffer dehors, sur un petit réchaud à pétrole. La chaleur du désert était si oppressante qu’on ne sentait même pas celle de la flamme ; elle vacillait comme un mirage transparent sur un fond de sable noir, et de nouveau Serpent sentit la sueur lui couler sur les tempes et entre les seins. Elle s’essuya le front avec sa manche.

Ils déjeunèrent de viande séchée et de fruits, et le vin eut sur eux un effet brutal. Alex se mit à bâiller presque instantanément, mais chaque fois qu’il allait s’assoupir, il se levait en titubant et sortait pour aller remuer le bouillon de Jesse.

— Alex, va te coucher, dit enfin Merideth.

— Non, je ne suis pas fatigué.

Il remua le bouillon, le goûta, retira la marmite du feu et rentra pour laisser refroidir.

Merideth lui prit la main, l’attira vers la carpette ornée de motifs et lui dit :

— Si elle nous appelle, nous l’entendrons. Si elle remue nous irons à elle. Nous ne serons bons à rien si nous sommes trop fatigués pour tenir sur nos pieds.

— Mais je… je… Et toi ?

Alex faisait non de la tête, mais il était terrassé par la fatigue et l’alcool.

— Ta nuit a été plus dure que mon parcours à cheval. J’ai besoin de me détendre encore quelques minutes, et puis je me coucherai.

Se faisant une douce violence, Alex se coucha tout près. Merideth lui caressa les cheveux et, comme il ne tarda pas à ronfler, adressa à Serpent un regard complice et un sourire.