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— Oh, oui, puisque tu es capable de monter la jolie jument grise.

Serpent regrettait d’avoir monté Ecureuil, si peu que ce fût. Elle s’en abstenait généralement. Elle allait à pied, c’était suffisamment rapide pour elle. Ecureuil ne transportant que son matériel et les serpents. Mais après avoir quitté le camp d’Arevin, elle avait senti le contrecoup de la morsure de vipère alors qu’elle pensait en avoir surmonté les effets. Avec l’intention de ne monter Ecureuil que le temps de se remettre d’une faiblesse passagère, elle s’était, une fois à cheval, bel et bien évanouie. Le poney l’avait transportée patiemment à travers le désert, affaissée sur son garrot. Elle n’était revenue à elle que lorsqu’il s’était mis à boiter en faisant résonner son fer brisé.

Serpent lui gratta le front.

— Nous partirons demain, lui dit-elle, dès que la chaleur faiblira. Cela nous donnera toute une journée pour vacciner les gens, s’ils se présentent.

— Nous viendrons, ma chérie, nous serons nombreux. Mais pourquoi nous quitter si tôt ? Viens avec nous au village. Ce n’est pas plus loin que La Montagne.

— Je vais à la cité.

— Maintenant ? La saison est trop avancée. Tu seras prise dans les tempêtes.

— Non, si je ne perds pas de temps.

— Petite guérisseuse, enfant chérie, tu ne sais pas à quoi tu t’exposes.

— Si. J’ai été élevée dans les montagnes. J’ai vu ces tempêtes à mes pieds chaque hiver.

— Les voir de là-haut c’est tout autre chose que de s’y trouver soi-même.

Ecureuil fit volte-face et galopa dans l’enclos en direction d’un groupe de chevaux sommeillant à l’ombre. Serpent éclata de rire.

— Dis-moi ce qui te fait rire, mon petit.

La guérisseuse regarda la vieille femme aux yeux vifs et rusés, des yeux de renard.

— Je viens de remarquer quelle compagnie tu as donnée à mon poney.

Grum rosit sous son hâle.

— Chère petite guérisseuse, j’avais décidé de ne rien te demander pour l’avoir soigné et nourri… Je pensais que tu n’y verrais pas d’inconvénient.

— Et tu avais raison, je n’y vois aucun inconvénient. Ecureuil non plus, j’en suis persuadée. Mais je crains que tu ne sois déçue lorsque les juments poulineront.

Grum hocha la tête d’un air sagace.

— Non, je ne serai pas déçue. Ton poney a de bonnes manières pour un jeune étalon, mais il connaît son affaire. Moi, j’aime les chevaux tachetés, surtout ceux qui ont des mouchetures de léopard.

Grum avait en effet un tel animal, et c’était son plus beau spécimen : blanc avec sur tout le corps des taches noires de la taille d’une pièce d’argent.

— Et maintenant j’aurai des chevaux zébrés pour compléter ma collection.

— Je suis ravie que tu aimes sa couleur.

Ecureuil était le produit d’une manipulation génétique qui avait coûté à Serpent pas mal de travail.

— Mais je ne crois pas, ajouta-t-elle, qu’il te donnera beaucoup de poulains.

— Pourquoi pas ? Je t’ai dit…

— Il est possible qu’il nous cause une surprise… Je l’espère pour toi. Mais je crois qu’il est probablement stérile.

— C’est vrai ? dit Grum. Pas de chance. Mais je comprends. Il est sans doute né d’un cheval et d’une de ces ânesses à rayures dont j’ai entendu parler.

Serpent la laissa dire. Son explication était entièrement erronée. Ecureuil n’était pas un hybride à proprement parler, pas plus que les chevaux de Grum. Mais le poney était immunisé contre les venins de Brume et Sable, et cela de manière si efficace que son organisme, très vraisemblablement, ne reconnaissait pas comme siens ses gamètes mâles, les cellules haploïdes, si bien qu’il les détruisait. En quoi Ecureuil était comparable à un mulet.

— Tu sais, mon petit, j’avais eu autrefois un mulet qui était un bon étalon. Ça peut arriver. Ce sera peut-être le cas.

— Peut-être.

Après tout pourquoi Ecureuil ne pourrait-il être fécond malgré son immunisation puisqu’il arrivait parfois qu’un mulet le soit ? Serpent n’avait pas le sentiment de tromper Grum par sa réponse prudente.

Elle regagna la tente, fit sortir Sable de son compartiment et capta son venin. Il n’opposa pas de résistance à cette opération. Le tenant derrière la tête. Serpent lui ouvrit la gueule avec douceur et y versa une fiole de catalyseur. Il était beaucoup plus facile à droguer que Brume. Il allait tout simplement se lover et dormir dans son logement presque normalement. Pendant son sommeil, les glandes à venin allaient élaborer un mélange chimique complexe composé de plusieurs protéines, lesquelles servaient d’anticorps contre un certain nombre de maladies endémiques, stimulant l’immunité naturelle des êtres humains. L’usage des crotales par les guérisseurs était beaucoup plus ancien que celui des cobras ; Sable avait sur Brume l’avantage d’être plus adapté aux cuisines chimiques de la catalyse par des centaines d’expériences génétiques conduites sur des dizaines de générations.

5

Le matin, Serpent recueillit le venin modifié de Sable dans un flacon à sérum. Elle ne pouvait utiliser le serpent pour administrer ce venin, car chacun ne devait en recevoir qu’une dose minime. Une injection faite par Sable serait trop importante et trop profonde. Serpent employait pour ses vaccinations un inoculateur, instrument comportant un cercle de courtes pointes aiguës comme des aiguilles, qui faisaient entrer le vaccin juste sous la peau. Elle remit le crotale dans son logement et sortit.

Les familles qui campaient dans l’oasis, adultes et enfants appartenant à trois ou quatre générations, avaient commencé à s’assembler. Grum était à leur tête, entourée de tous ses petits-enfants ; ils étaient sept en tout, la plus âgée étant Pauli, la plus jeune une fillette de six ans, celle que Serpent avait vue astiquer le harnais de Vive. Ce n’étaient pas tous des descendants directs de Grum, l’organisation du clan reposant sur une notion élargie de la famille. La vieille femme se tenait pour l’aïeule d’enfants qui étaient en fait ses neveux, nièces, petits-enfants, petites-nièces, même par alliance. Seuls l’accompagnaient ceux qui faisaient avec elle leur apprentissage du métier de caravanier. Quant au partenaire de Grum, il était mort depuis longtemps.

— À qui l’honneur ? demanda gaiement Serpent.

— À moi, dit Grum. J’ai dit moi, et c’est moi. Regarde bien, Ao, ajouta-t-elle, se tournant vers les récupérateurs, qui se tenaient sur un côté formant une grappe humaine colorée. Tu verras que je n’en mourrai pas.

— Toi, la vieille, tu es increvable ; du vrai cuir brut. J’attendrai d’avoir vu ce qui arrivera aux autres.

— Si je suis une vieille en cuir brut, toi tu n’es qu’un vieux sac à chiffons.

— N’en parlons plus, dit Serpent, après quoi elle éleva légèrement la voix. J’ai deux choses à vous dire à tous. D’abord certaines personnes sont sensibles au sérum. Si la marque de la piqûre devient rouge vif, si vous ressentez une vive douleur et si la peau vous brûle, revenez me voir. Je serai là jusqu’au soir. S’il arrive quoi que ce soit, ce sera avant mon départ. Compris ? J’ai les moyens d’empêcher les personnes sensibles de tomber malades. Il faut absolument que vous veniez me voir si vous éprouvez autre chose qu’une douleur sourde. Dans ce cas ne faites pas les malins.

La voix d’Ao s’éleva de nouveau au milieu des murmures d’acquiescement.

— Ça veut dire que tu peux nous tuer ?

— Serais-tu assez fou pour ne rien faire contre une jambe cassée ?

Ao répondit par un reniflement de mépris.