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— Vous semblez très fatiguée. Voulez-vous que je vous fasse préparer un lit ?

— Pas maintenant. Pas encore. J’attendrai pour dormir que tout soit fini.

Le chef de clan étudiait Serpent, et celle-ci se sentait proche d’elle en raison de la responsabilité qu’elles partageaient.

— Je comprends, du moins je le pense. Avez-vous besoin de quelque chose, d’une aide quelconque dans vos préparatifs ?

Serpent se surprit à voir en ces questions banales des problèmes complexes, les tournant et les retournant dans son esprit fatigué, les disséquant, comprenant enfin leur signification.

— Mon poney a besoin d’eau et de nourriture.

— On s’occupe de lui.

— Et j’ai besoin de quelqu’un pour m’aider à tenir Brume. Quelqu’un de fort. Mais le plus important est de ne pas avoir peur.

— Je vous aiderais bien, dit la femme en ébauchant un nouveau sourire, mais je suis un peu maladroite depuis quelque temps. Je vais vous trouver quelqu’un.

— Merci.

Reprenant son air grave, la grande femme inclina la tête et se dirigea lentement vers un groupe de petites tentes. Serpent l’observa, admirant sa grâce. En comparaison, elle se sentait petite, et jeune, et sale.

Le corps tendu pour la chasse, Sable décrivait des cercles pour quitter le poignet de Serpent. Il allait sauter à terre mais elle le rattrapa à temps. Sur les mains de sa maîtresse il dressa la partie supérieure de son corps. Il projeta la langue en avant, dévorant du regard le petit animal, évaluant la chaleur de son corps, goûtant à sa peur.

— Je sais que tu as faim, dit Serpent, mais cet animal n’est pas pour toi. Elle remit Sable dans la sacoche, retira Brume de ses épaules, et le cobra put se lover dans son logement obscur.

Le petit animal se remit à crier et se débattre en voyant passer au-dessus de lui l’ombre diffuse de Serpent. Elle se baissa pour l’attraper. Il réagit d’abord par des cris de terreur répétés, puis ces cris s’espacèrent, s’affaiblirent et, finalement, cessèrent lorsqu’elle le caressa. Il était immobile, haletant, épuisé, levant la tête pour fixer Serpent de ses yeux jaunes. Il avait les pattes postérieures longues, les oreilles larges et pointues : ses narines palpitaient à l’odeur du serpent. Sa douce fourrure noire était quadrillée par les losanges qu’y avaient imprimés les mailles du filet.

— Je regrette de t’ôter la vie, lui dit Serpent. Mais tu cesseras de connaître la peur et je ne te ferai pas souffrir.

Avec douceur, elle enveloppa l’animal dans sa main, le caressa, saisit fermement son épine dorsale à la base du crâne. Une seule traction rapide fut suffisante ; la petite victime sembla se débattre un instant, mais elle était déjà morte en dépit de ses convulsions ; ses pattes se replièrent contre son corps et ses orteils se recourbèrent en frémissant. Elle semblait fixer encore Serpent. La jeune femme la sortit de son filet.

Ayant fait choix d’une des fioles que renfermait un sac fixé à sa ceinture, elle ouvrit les mâchoires serrées de l’animal et lui versa dans la bouche une seule goutte de la préparation d’aspect trouble contenue dans le flacon. Elle ouvrit rapidement le sac de cuir et appela Brume. Le cobra vint à elle lentement, son capuchon fermé, glissant sur le sable aux grains rugueux. Ses écailles laiteuses reflétaient la faible clarté lunaire. Brume sentit l’animal, se dirigea vers lui d’un mouvement coulé, le toucha de sa langue. Serpent craignit un instant qu’elle ne refusât ce cadavre, mais il était encore chaud et agité de contractions ; et puis Brume avait faim.

— Un morceau de choix pour toi. Pour aiguiser ton appétit.

La jeune femme avait pris l’habitude de parler à Brume pour tromper sa solitude. Le cobra renifla l’animal, se dressa en reculant et frappa ; enfonçant ses petits crochets dans la proie minuscule et la mordant une seconde fois, elle y injecta son stock de poison. Puis elle la lâcha, s’assura sur elle une meilleure prise et se mit en devoir de la faire entrer dans ses mâchoires. C’est à peine si son gosier s’en trouverait distendu. Lorsque Brume reposa, digérant ce repas léger, Serpent resta assise à ses côtés. Il lui fallait attendre, sans lâcher le cobra.

Elle entendit des pas sur le sable.

— On m’a chargé de vous aider.

C’était un homme jeune en dépit d’une touffe blanche dans sa chevelure noire. Il était plus grand que Serpent, et assez beau garçon, avec des yeux sombres et un visage taillé à la serpe, dont sa coiffure en queue de cheval accentuait la rudesse. Son expression était neutre.

— Avez-vous peur ? demanda Serpent.

— Je ferai ce que vous direz.

Ses formes étaient cachées par sa tunique mais il y avait de la force dans ses longues mains fines.

— Alors, tenez-la bien et ne vous laissez pas surprendre.

Brume commençait à se contracter sous l’effet de la drogue administrée au petit animal. Les yeux du cobra étaient fixes et comme aveugles.

— S’il mord…

— Tenez-la. Vite !

Le jeune homme se précipita, mais il avait hésité trop longtemps. Brume se tortilla et, de sa queue, le frappa au visage. Il recula en chancelant ; la surprise le disputait en lui à la douleur. Serpent étreignit le cobra derrière les mâchoires tout en cherchant à s’emparer du reste de son corps. Brume n’était pas un serpent constricteur, mais elle était lisse, puissante et rapide. S’agitant violemment, elle exhala un long sifflement. Elle aurait mordu tout ce qui pouvait être à sa portée. Tout en luttant avec elle, Serpent réussit à exprimer entièrement le poison de ses glandes ; les dernières gouttes perlèrent un moment sur ses crochets, reflétant la lumière, telles des pierres précieuses, avant d’être rejetées dans les ténèbres par la violence des convulsions du cobra. Dans sa lutte contre elle, Serpent, pour une fois, trouvait un allié dans le sable, qui n’offrait à Brume que de médiocres prises. Elle sentit le jeune homme derrière elle, et il empoigna le corps du serpent et sa queue. La crise cessa brusquement et Brume ne fut plus qu’un corps inerte dans leurs mains.

— Je suis désolé, dit-il.

— Tenez-la bien. Nous avons la nuit à passer.

Lorsque Brume fut prise de nouvelles convulsions, le jeune homme, l’immobilisant d’une main ferme, se montra efficace. Serpent répondit ensuite à la question qu’il n’avait pas achevé de formuler :

— Si elle vous mordait alors qu’elle serait en train d’élaborer du poison, vous auriez de grandes chances d’en mourir. Même maintenant sa morsure vous rendrait malade. Mais si elle réussit à morde quelqu’un ce sera moi, à moins que vous ne fassiez une bêtise.

— Mon cousin serait bien mal loti si vous étiez morte ou mourante.

— Vous ne comprenez pas. Brume ne peut me tuer.

Serpent tendit la main pour lui montrer les cicatrices blanches laissées par les morsures du cobra. Il les regarda puis fixa longuement la jeune femme, et enfin, détourna les yeux.

Le point brillant d’où la lumière rayonnait derrière les nuages se déplaçait vers l’ouest. Ils tenaient le cobra comme un enfant. Serpent faillit s’assoupir mais Brume leva la tête, essayant faiblement de se dégager, et elle se réveilla en sursaut.

— Il ne faut pas que je m’endorme, dit-elle. Parle-moi. Comment t’appelles-tu ?

À l’exemple de Stavin le jeune homme hésita. Il semblait craindre Serpent, ou craindre autre chose.

— Dans ma famille on estime qu’il n’est pas prudent de dire son nom à un étranger.