— Leah a-t-elle dû y renoncer ?
— Oui. Pas pour toujours, heureusement. Elle a débuté, un an plus tard. Une année de perdue pour elle.
Gabriel parlait posément, laborieusement, mais sans émotion. On eût dit qu’à force de ressasser tout cela dans son esprit, il s’était en quelque sorte distancié de ces événements.
— Naturellement j’ai repris mon cours d’éducation sexuelle. On s’est alors aperçu, à la faveur de tests prolongés, que je ne pouvais pas maintenir l’écart thermique plus de quelques heures d’affilée. C’est insuffisant.
— Oui, dit pensivement Serpent qui commençait à avoir des doutes sur la compétence de l’éducateur de Gabriel.
Ce dernier s’écarta de Serpent pour pouvoir la regarder dans les yeux.
— Alors, vous voyez, je ne peux pas rester avec vous ce soir.
— Tu le peux. Reste, je t’en prie. Nous sommes seuls tous deux et nous pouvons nous faire du bien l’un à l’autre.
Il eut un hoquet de surprise et se leva brusquement.
— Vous ne comprenez pas…, cria-t-il.
— Gabriel.
Il se rassit, mais sans toucher Serpent.
— Je n’ai pas douze ans. Et tu n’as pas à craindre de me donner un enfant non désiré. Les guérisseuses n’ont jamais d’enfants. Nous assumons la responsabilité de cela nous-mêmes parce que nous ne pouvons nous permettre de la partager avec nos partenaires.
— Vous n’avez jamais d’enfants ?
— Jamais. Les femmes n’enfantent pas, les hommes n’engendrent pas.
Il fixa la guérisseuse.
— Me crois-tu ?
— Vous voulez toujours de moi, maintenant que vous savez…
Pour toute réponse, Serpent se leva et commença à déboutonner sa chemise. Mais les boutonnières neuves lui résistaient et elle fit passer la chemise par-dessus sa tête, et la laissa tomber à terre. Gabriel se leva lentement et la regarda timidement. Puis, comme il s’était avancé vers elle les mains tendues, elle déboutonna sa chemise et son pantalon. Lorsque ce dernier vêtement glissa le long de ses hanches étroites, il se mit à rougir.
— Qu’est-ce qui ne va pas ?
— Depuis l’âge de quinze ans je ne me suis jamais montré nu à personne.
— Alors, dit Serpent avec un large sourire, il est grand temps.
Le corps de Gabriel était aussi beau que son visage. Serpent ôta son propre pantalon et le laissa tomber en tas sur le plancher.
Ayant conduit le jeune homme à son lit, elle se glissa sous le drap à ses côtés. La lueur tamisée de la lampe donnait un vif éclat à ses cheveux blonds et à sa peau mate. Il tremblait.
— Détends-toi, murmura la guérisseuse. Nous avons tout notre temps, et nous faisons ça pour notre amusement.
Elle lui massa les épaules et sentit se relâcher leur tension. Mais elle s’aperçut qu’elle était tendue, elle aussi, tendue par le désir, l’excitation, le besoin. Elle pensa à Arevin : que faisait-il en ce moment ?
Gabriel se tourna sur le côté, les mains vers elle. Ils se caressèrent. Serpent souriait intérieurement ; elle savait bien qu’une expérience unique ne pouvait compenser chez Gabriel les trois années perdues, mais quant à elle, elle ferait de son mieux pour l’aider à prendre un nouveau départ.
Malheureusement elle ne tarda pas à s’apercevoir que s’il prolongeait les caresses préliminaires c’était uniquement pour lui donner du plaisir, il pensait trop et s’inquiétait trop, la traitant comme si elle était Leah, une fille de douze ans qu’il aurait la responsabilité d’initier au plaisir sexuel. Et Serpent ne retirait aucune satisfaction de ces caresses dispensées comme par devoir. D’autre part il faisait de vains efforts pour réagir aux attouchements de la jeune femme, et chaque seconde accroissait l’embarras où le mettait cet échec. La jeune femme le caressait avec douceur, effleurait son visage de ses lèvres.
Gabriel, avec un juron, s’écarta d’elle brusquement et se pelotonna sur le côté en lui tournant le dos.
— Je suis désolé, dit-il de la voix rauque d’un homme en pleurs.
Elle s’assit et lui caressa l’épaule.
— Je t’ai dit que je ne te demanderais rien.
— Je ne cesse de penser…
Elle posa un baiser sur son épaule, la chatouillant de son haleine.
— Penser n’est pas indiqué.
— Je ne peux pas m’en empêcher. Ennuis et souffrances, voilà tout ce que j’ai à offrir. Et maintenant sans même pouvoir donner d’abord un peu de plaisir. Cela vaut peut-être mieux.
— Tu sais très bien qu’un impuissant peut satisfaire une autre personne. Il s’agit maintenant d’autre chose : de ton plaisir.
Il ne répondit pas, ne tourna pas la tête. Il avait réagi en entendant le mot « impuissant » : c’était là une difficulté qu’il n’avait pas encore envisagée.
— Tu ne te sens donc pas en sécurité avec moi ?
Il se retourna et fixa la guérisseuse.
— Leah n’était pas en sécurité avec moi.
Serpent replia les genoux sur ses seins et reposa le menton sur ses poings. Longuement elle enveloppa le jeune homme du regard, puis soupira et lui tendit la main pour lui montrer les cicatrices dont elle était couturée.
— Tu vois ces morsures de serpent. La moindre d’entre elles aurait tué toute autre personne qu’un guérisseur. Soit d’une mort lente et déplaisante, soit d’une mort rapide et non moins déplaisante.
Elle se tut pour lui donner le temps d’enregistrer ces paroles.
— Il m’a fallu beaucoup de temps pour m’immuniser contre ces venins. Et ce fut une dure épreuve. Je ne suis jamais malade. Je n’ai jamais d’infections. Je ne peux pas avoir le cancer. Mes dents ne se gâtent pas. Les immunités acquises des guérisseurs sont si actives qu’elles réagissent à toute intrusion dans leur organisme. Nous sommes stériles pour la plupart parce que nous allons jusqu’à élaborer des anticorps contre nos propres cellules sexuelles. Sans parler de celles des autres.
Gabriel se souleva sur un coude.
— Alors… si vous ne pouvez pas avoir d’enfants, pourquoi m’avez-vous dit que les guérisseuses ne peuvent pas se permettre d’en avoir ? Je pensais que vous vouliez dire que vous n’aviez pas de temps pour cela. Alors, si je…
— Nous élevons des enfants. Nous les adoptons. Les premières guérisseuses ont essayé d’en mettre au monde. Sans succès pour la plupart. Les rares bébés ainsi conçus étaient difformes et idiots.
Gabriel se mit sur le dos et fixa le plafond. Il poussa un profond soupir.
— Dieu !
— Nous apprenons à maîtriser parfaitement la fécondité.
Gabriel restait muet.
— Tu es encore tourmenté.
Serpent se pencha vers lui, soulevée sur un coude, mais sans faire un mouvement pour le toucher.
Il la regarda avec un sourire ironique et sans joie, le visage torturé.
— Je suis paniqué, je crois.
— Je sais.
— Avez-vous jamais eu peur ? Vraiment peur ?
— Oh oui !
Elle posa la main sur le ventre du jeune homme, passant les doigts sur sa peau veloutée et sur sa délicate toison d’un or soutenu. Il ne tremblait pas visiblement et pourtant Serpent sentait sa peur se manifester par une trépidation profonde, régulière.
— Reste tranquille, ne bouge pas.
Elle commença à caresser son ventre, ses cuisses, ses hanches, le côté de ses fesses, toujours plus près de ses organes génitaux mais sans les toucher.
— Que faites-vous ?
— Chut ! Reste tranquille.
Elle continua à le caresser tout en lui parlant, donnant peu à peu à sa voix un débit uniforme, apaisant, hypnotisant. Elle sentait qu’il luttait pour ne pas remuer tandis qu’elle l’excitait ; il luttait contre lui-même, et le tremblement s’arrêta sans qu’il en fût conscient.