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— Serpent !

— Quoi ? demanda-t-elle innocemment. Quelque chose qui cloche ?

— Je ne peux pas…

— Chut !

Il gémit. Ce n’était plus de peur qu’il tremblait. Serpent sourit, s’installa commodément à côté de lui et le tourna face à elle.

— Maintenant tu peux remuer.

Quelle qu’en fût la raison – efficacité des stimuli, personnage joué par Serpent, devenue à son tour vulnérable à ses yeux et digne de confiance, ou plus probablement le simple fait que dans la saine vigueur de ses dix-huit ans il sortait enfin de trois ans d’abstinence et de culpabilité – toujours est-il que la suite se déroula normalement.

Serpent avait l’impression d’observer les événements non comme fait un voyeur, mais de manière scientifique et presque désintéressée. Gabriel était foncièrement affectueux, et Serpent réussit à provoquer en lui un état d’abandon. Son propre orgasme fut satisfaisant, c’était un relâchement bienvenu après les mois de tensions émotionnelles qui s’étaient accumulées dans la solitude, mais elle pensait surtout à Gabriel. Au demeurant, si ardemment qu’elle répondît à sa passion, elle ne pouvait s’empêcher d’imaginer ce que ce pourrait être que de faire l’amour avec Arevin.

Serpent et Gabriel étaient enlacés, respirant fortement, le corps en sueur. Ce qui comptait autant que l’acte sexuel pour la jeune femme, c’était d’avoir un compagnon. Et même cela passait avant puisque les tensions sexuelles étaient remédiables. La solitude physique et morale, c’était tout autre chose. Elle embrassa Gabriel sur le cou et le côté de la mâchoire.

— Merci, murmura-t-il, et Serpent sentit vibrer ces mots sur ses propres lèvres.

— Il n’y a pas de quoi. Ce n’était nullement désintéressé de ma part.

Il resta un moment silencieux, les doigts étalés au creux de la taille de Serpent. Elle lui tapota la main. C’était un gentil garçon. Pensée condescendante, sans doute, mais qui s’imposait à la jeune femme ; avec la partie détachée de son esprit, celle qui observait les événements, elle ne pouvait se défendre de regretter que Gabriel ne fût pas Arevin. Elle voulait un être avec qui partager, plutôt qu’un partenaire reconnaissant.

Gabriel étreignit soudain Serpent en se cachant le visage contre son épaule. Elle caressa les boucles courtes de sa nuque.

— Que vais-je faire ? dit-il d’une voix étouffée. Où irai-je ?

Serpent le berça dans ses bras. Elle se demanda soudain s’il n’aurait pas été plus charitable de le laisser partir lorsqu’il lui avait offert de lui envoyer quelqu’un d’autre ; il aurait pu continuer à mener une vie d’abstinence ininterrompue. Pourtant elle ne pouvait croire que c’était un des êtres pitoyables qui, incapables de se concentrer, ne peuvent jamais maîtriser la technique du biocontrôle.

— Gabriel, parle-moi de ton éducation sexuelle. Lorsque tu as été testé, combien de temps as-tu pu maintenir l’écart thermique ? Ne t’a-t-on pas donné un témoin ?

— Quelle sorte de témoin ?

— Un petit disque contenant un produit chimique qui change de couleur suivant la température. La plupart de ceux que j’ai vus tournent au rouge lorsque la température génitale est suffisamment élevée.

Elle sourit au souvenir d’un homme de sa connaissance qui n’était pas peu fier de l’intensité de ce rouge dans son propre cas ; elle avait dû le persuader de se séparer de son témoin lorsqu’il se mettait au lit.

Gabriel paraissait perplexe.

— Suffisamment élevée ? dit-il.

— Oui, bien sûr, suffisamment élevée. Ce n’est pas ce qu’on t’a appris, à toi ?

Ses sourcils blonds se rapprochèrent en une expression mêlée de détresse et de surprise.

— Notre maître nous apprend à maintenir la température plus basse que la normale.

Serpent, au souvenir de son ami faraud et de vieilles plaisanteries obscènes sur ce sujet, avait envie d’éclater de rire. Pourtant elle réussit à conserver tout son sérieux.

— Gabriel, mon cher ami, quel était l’âge de ton éducateur ? La centaine ?

— Oui, au minimum. Un vieillard d’une grande sagesse.

— Sage, je n’en doute pas. Mais il n’était guère à la page. Il retardait de quatre-vingts ans. Une baisse de température du scrotum rend stérile, c’est vrai, mais une élévation thermique est bien plus efficace. Et on s’accorde à dire que c’est beaucoup plus facile à maîtriser.

— Mais il a affirmé que je n’arriverais jamais à me contrôler convenablement…

Serpent fronça les sourcils mais s’abstint de tout commentaire. Pourtant elle pensait qu’aucun éducateur ne devait jamais dire pareille chose à un étudiant.

— Eh bien, il existe parfois des incompatibilités de caractère, et il suffit alors de changer de maître.

— Tu crois que je pourrais apprendre ?

— Oui.

La jeune femme s’interdit de faire une nouvelle remarque acerbe sur la sagesse et la compétence du premier maître de Gabriel. Il était préférable qu’il prît conscience de ces défauts par lui-même. Il était clair qu’il avait encore pour cet homme trop d’admiration et de respect ; Serpent ne voulait pas le pousser à prendre la défense du vieillard, et pourtant c’était la personne qui lui avait fait le plus de mal.

Gabriel étreignit la main de Serpent.

— Que faire ? Où aller ?

Il y avait maintenant dans sa voix une note d’espoir et d’excitation.

— N’importe où pourvu que l’éducateur des hommes n’y soit pas un fossile. Quelle direction vas-tu prendre en partant d’ici ?

— Je… je n’ai pas décidé.

Il détourna les yeux.

— Il est dur de partir. Je le sais. Mais c’est la meilleure solution. Passer un certain temps à explorer. Prendre en main ton destin.

— Choisir un lieu d’exil, dit Gabriel tristement.

— Tu pourrais aller à Middlepath. Tu y trouveras les meilleurs éducateurs dont j’aie connaissance. Ton éducation terminée, rien ne t’empêchera de revenir ici.

— Si. Je crois que je ne pourrai jamais revenir parce que, même si j’apprends vraiment ce qui est nécessaire, les gens ne cesseront de se poser des questions sur moi. La rumeur me poursuivra. En tout cas je dois partir. Je l’ai promis. J’irai à Middlepath.

— Très bien.

Serpent réduisit à une étincelle la flamme de la lampe.

— La technique moderne a, paraît-il, d’autres avantages.

— C’est-à-dire ?

Elle le caressa.

— Cette technique vous oblige à activer la circulation dans la zone génitale. Ce qui, dit-on, accroît l’endurance. Et la sensibilité.

— Je me demande si j’ai acquis de l’endurance.

Serpent allait lui répondre sérieusement lorsqu’elle s’avisa que Gabriel venait de risquer son premier essai de plaisanterie sur le sexe.

— Nous allons voir, dit-elle.

Serpent fut réveillée avant l’aube par des coups impérieux frappés à sa porte. La grisaille lugubre de sa chambre était égayée d’une lueur rose orangé par la petite flamme de sa lampe. Gabriel dormait d’un sommeil profond, un vague sourire aux lèvres, ses longs cils blonds lui effleurant les joues. Il avait repoussé les couvertures et son beau corps longiforme était dévoilé jusqu’à mi-cuisse. Serpent se tourna de mauvaise grâce vers la porte.

— Entrez.

Une jeune servante d’une beauté saisissante entra d’un pas hésitant, et un flot de lumière venu du couloir se répandit sur le lit.

— Guérisseuse, monsieur le maire…