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Elle eut un hoquet de surprise en voyant Gabriel. Pétrifiée, elle en oublia le sang qui lui souillait les mains.

— Monsieur le maire…

— J’y vais tout de suite.

Serpent sauta du lit, enfila son pantalon et sa chemise neuve trop raide, et suivit la jeune femme.

La plaie s’était rouverte, et la literie était imprégnée de sang, mais Brian avait paré au plus pressé : l’hémorragie était presque arrêtée. Le maire était d’une pâleur mortelle, et ses mains tremblaient.

— Si vous n’aviez pas l’air si malade, dit Serpent, en examinant la plaie, je vous passerais le savon que vous méritez. Vous avez la chance d’avoir un infirmier hors pair. J’espère que vous le rétribuez à sa juste valeur.

Brian rentrait avec une paire de draps propres, et il put entendre ces paroles.

— Je pensais…

— Pensez tant que vous voudrez. C’est une occupation admirable. Mais ne vous avisez pas de vous relever.

— D’accord, murmura le maire, et ce mot eut pour la guérisseuse valeur de promesse.

Elle estima qu’on pouvait se passer de son aide pour changer les draps. Et pourtant elle n’hésitait pas à rendre de menus services domestiques en cas de besoin ou par sympathie. Mais parfois son orgueil blessé ne connaissait aucune mesure. Elle savait qu’elle avait été d’une brusquerie impardonnable envers le maire, mais c’était plus fort qu’elle.

Plus grande que Serpent, certainement plus forte que Brian, la jeune servante pouvait aisément fournir le plus gros de l’effort à faire pour soulever le maire. Pourtant elle parut angoissée de voir la guérisseuse sortir pour regagner sa chambre, et bientôt elle accourut nu-pieds pour la rejoindre dans le couloir.

— Madame ?

Serpent se retourna. La servante jeta un regard autour d’elle comme si elle craignait d’être vue avec la guérisseuse.

— Comment t’appelles-tu ?

— Larril.

— Je m’appelle Serpent et je déteste qu’on m’appelle « madame ». Compris ?

Larril acquiesça mais sans prononcer le nom de Serpent.

— Qu’y a-t-il ?

— Guérisseuse… Dans votre chambre j’ai vu… une domestique ne devrait pas voir certaines choses. Je ne veux discréditer aucun membre de cette famille, mais…

La voix de la jeune fille était stridente et tendue, et elle parut sombrer dans la confusion, la honte.

— … Mais Gabriel… il est… Si je demandais à Brian ce qu’il faut faire il se croirait obligé d’en parler à son maître. Ce serait… déplaisant. Mais je ne veux pas vous blesser. Jamais je n’aurais cru que le fils du maire irait…

— Larril, tout est dans l’ordre. Il m’a tout dit. Je suis seule responsable.

— Vous êtes au courant… du danger.

— Il m’a tout dit. Je ne cours aucun danger.

— Vous avez fait une bonne action, dit Larril brusquement.

— Pas du tout. Je le désirais. Et je suis beaucoup plus entraînée au biocontrôle qu’une fille de douze ans, ou même de dix-huit ans.

Larril détournait les yeux.

— Moi aussi, dit-elle. Et je le plaignais tellement. Mais je… j’avais peur. Il est si beau… on pourrait… on pourrait s’oublier, sans le faire exprès. Je ne pouvais pas en prendre le risque. Il me reste six mois avant d’être maîtresse de mon sort.

— Tu es une ancienne esclave ?

Larril acquiesça.

— Je suis née à La Montagne. Mes parents m’ont vendue. C’était autorisé avant les nouvelles lois de monsieur le maire.

La tension de la voix contrastait avec l’indifférence apparente de ces paroles.

— Les nouvelles lois qui interdisent l’esclavage dans cette ville, je n’en ai été informée que beaucoup plus tard. Alors je me suis échappée pour regagner La Montagne. Je n’ai pas manqué à ma parole…

Elle leva les yeux, au bord des larmes, puis se redressa et continua avec plus d’assurance :

— J’étais une enfant lorsqu’on m’a vendue ; je n’avais pas le choix. Donc je ne devais pas fidélité à mes maîtres. Mais la ville a acheté mes papiers, et, en revanche, je dois fidélité au maire.

Quel courage il avait fallu à Larril, pensa Serpent, pour parler ainsi !

— Merci, dit-elle. Merci de m’avoir parlé de Gabriel. Personne ne le saura. Je suis ton obligée.

— Oh non ! guérisseuse, je ne voulais pas dire…

Serpent fut troublée par le son de la voix de Larril : elle y détectait une honte subite. Elle se demanda si Larril pensait que ses raisons de parler à Serpent étaient douteuses.

— Je parle sérieusement. Pourrais-je te venir en aide de quelque façon ?

Larril fit un rapide signe de tête comme pour se dire non à elle-même plutôt qu’à Serpent.

— Personne ne peut rien faire pour moi, je crois.

— Explique-toi.

Larril hésita puis s’assit par terre et, d’un geste de colère, releva brusquement le bas de son pantalon.

Serpent s’assit sur les talons à côté d’elle.

— Oh, mon Dieu ! fit la guérisseuse.

Le talon de Larril avait été percé entre l’os et le tendon d’Achille. Au moyen d’un fer rouge, semblait-il. Dans la cicatrice était logé un petit anneau de matière cristalline grisâtre. Serpent prit le pied de Larril dans une main et examina l’anneau. Il ne portait pas trace de soudure.

La jeune femme fronça les sourcils.

— C’était de la cruauté pure et simple.

— Ils ont le droit de marquer les esclaves désobéissants, dit Larril. J’ai essayé de m’enfuir et ils ont voulu, disaient-ils, me rappeler qui j’étais.

La colère eut raison du calme de sa voix. Serpent frissonna.

— Je serai toujours asservie par ces marques. Mais ce ne sont pas les cicatrices qui me révoltent le plus. Vous avez vu les dômes dans les montagnes ? Les anneaux sont faits du même métal.

Serpent jeta un coup d’œil sur l’autre talon. Même cicatrice, même anneau. Elle reconnaissait maintenant la substance grise translucide. Mais elle ne l’avait jamais vue servir à la fabrication d’autre chose que ces dômes qui se dressaient, mystérieux, dans des endroits inattendus.

— Le forgeron a essayé de couper celui-là, dit Larril. Voyant qu’il ne réussissait même pas à l’entamer, il a été tellement vexé qu’il a brisé une tige de fer d’un seul coup pour prouver qu’il en était capable.

Elle palpa la fine et dure fibre de son tendon, prisonnier de l’anneau délicat.

— Une fois le cristal durci, c’est pour toujours ; comme les dômes. À moins de couper le tendon et de rester estropiée. Il m’arrive de penser que j’en serais capable, dit-elle en recouvrant brusquement l’anneau avec son pantalon. Comme vous voyez, personne ne peut rien pour moi. C’est de la vanité, je sais bien. Je serai bientôt libre en dépit de tout cela.

— Ici, je ne peux rien tenter pour toi, dit Serpent. Ce serait dangereux.

— Vous voulez dire que ce serait possible ?

— On pourrait peut-être faire quelque chose au centre des guérisseurs.

— Oh, ce serait merveilleux !

— Larril, il y aurait un risque.

Serpent montra sur sa propre cheville l’opération à réaliser.

— Le tendon ne serait pas coupé, mais détaché. Alors l’anneau pourrait sortir. Mais tu serais dans le plâtre un bon moment. De plus, il n’est pas certain que le tendon se recollerait convenablement ; il est possible que tes jambes ne retrouvent jamais toute leur force. Les tendons pourraient même ne pas se recoller du tout.

— Je vois, dit Larril d’une voix pleine d’espoir et de joie.

Mais peut-être avait-elle cessé d’écouter Serpent.

— Veux-tu me promettre une chose ?

— Oui, guérisseuse, naturellement.

— Ne prends aucune décision pour le moment. Attends pour cela la fin de ton temps de service à La Montagne. Attends quelques mois. Pas de précipitation. Une fois libre, tu pourrais décider que cela n’a plus d’importance.