Larril eut un regard ironique. Serpent savait qu’elle était tentée de lui demander ce qu’une guérisseuse éprouverait dans la même situation, mais qu’elle s’en abstenait pour ne pas paraître insolente.
— Oui, guérisseuse, c’est promis.
Elles se levèrent.
— Eh bien, bonne nuit, dit Serpent.
— Bonne nuit, guérisseuse.
Serpent repartit vers sa chambre.
— Guérisseuse ?
— Oui ?
Larril sauta au cou de Serpent et l’étreignit.
— Merci !
Embarrassée, elle se retira. Les deux femmes s’éloignèrent l’une de l’autre, mais la guérisseuse se retourna.
— Larril, où trouvent-ils leurs anneaux, les gardiens d’esclaves ? Personne, à ma connaissance, ne sait travailler la matière dont les dômes sont faits.
— Ce sont les gens de la grande cité qui leur en donnent un peu. Juste de quoi faire les anneaux.
Serpent se recoucha en méditant sur les gens du Centre. Comment pouvaient-ils donner de quoi enchaîner les esclaves et refuser de parler aux guérisseurs ?
7
Serpent s’éveilla à l’aube, avant Gabriel. Une faible lumière grise éclairait la chambre. Appuyée sur un coude elle regarda dormir le jeune homme. Il semblait, si la chose était concevable, encore plus beau dans le sommeil.
Elle allongea le bras vers lui, mais se ravisa. En général elle aimait faire l’amour le matin. Mais elle ne voulait pas réveiller Gabriel.
Soucieuse, elle se laissa retomber à sa place et essaya d’analyser ses réactions. L’expérience sexuelle qu’elle venait de vivre n’était pas la plus mémorable qu’elle eût connue. Gabriel n’était pas à proprement parler maladroit, mais inexpérimenté. Elle n’était pas entièrement satisfaite mais ce n’avait été nullement déplaisant de coucher avec ce garçon.
En s’analysant plus profondément. Serpent eut conscience d’une certaine gêne. Elle découvrait en elle un sentiment trop proche de la peur. Bien sûr, elle ne craignait pas Gabriel, c’eût été ridicule. Mais elle n’avait jamais fait l’amour avec un homme incapable de maîtriser sa fécondité. Il la mettait mal à l’aise, c’était indéniable. Sa propre maîtrise était parfaite ; elle se sentait parfaitement sûre d’elle-même à cet égard. Même si par extraordinaire elle était enceinte, elle pourrait avorter sans risquer la réaction excessive qui avait failli tuer l’amie de Gabriel. Non, son malaise n’avait guère de rapport avec ce qui était susceptible de se produire. Ce qui l’éloignait de Gabriel, c’était de connaître son infirmité. Car elle avait grandi avec la certitude que ses amants lui offriraient, et trouveraient en elle, réciproquement, une parfaite sécurité. Elle ne pouvait accorder cette confiance à Gabriel, même s’il n’était pas responsable de ses difficultés.
Elle comprit alors pour la première fois combien il avait dû se sentir seul pendant les trois dernières années, quelles réactions il avait dû provoquer dans son entourage et ce qu’il avait dû penser de lui-même. Soupirant de pitié pour lui, elle étendit la main vers son corps, le caressa du bout des doigts ; c’est ainsi qu’elle le réveilla en douceur, oubliant toute hésitation et tout malaise.
Munie de la sacoche aux serpents, Serpent descendit l’escarpement menant à l’écurie, pour se rendre en ville avec Vive. Elle pensait visiter quelques malades le matin, et vacciner tout l’après-midi. Gabriel, pendant ce temps, ferait ses bagages.
Ecureuil et Vive, bien étrillés, étaient tout luisants. Le maître d’écurie, Ras, était absent. Serpent entra dans la stalle d’Ecureuil pour inspecter son sabot nouvellement ferré. Elle le gratta aux oreilles et lui dit tout haut qu’il avait besoin d’exercice, faute de quoi il risquerait de boiter. Elle perçut un léger bruissement dans le grenier à foin, elle écouta un moment mais n’entendit plus rien.
— Je vais demander qu’on te fasse courir autour du champ, dit-elle au poney.
Et de nouveau, elle écouta.
— Je le monterai pour vous, madame, murmura l’enfant.
— Qui me dit que tu sais monter à cheval ?
— Si, je sais monter à cheval !
— Descends, s’il te plaît.
L’enfant se laissa glisser lentement par la trappe ; un moment suspendue par les mains, elle tomba aux pieds de Serpent. Elle se tenait tête basse.
— Comment t’appelles-tu ?
La petite fille murmura un nom de deux syllabes. Serpent mit un genou à terre, et avec douceur, la prit par les épaules.
— Je regrette mais je n’ai pas entendu.
L’enfant leva les yeux en louchant. À côté de l’horrible cicatrice, la marque du coup s’effaçait.
— M… Melissa.
Après avoir marqué une hésitation, elle avait prononcé son nom comme si, prête à la riposte, elle mettait Serpent au défi de lui refuser ce nom. Mais qu’avait-elle dit la première fois ?
— Melissa, répéta l’enfant comme en savourant la sonorité de ces trois syllabes.
— Je m’appelle Serpent.
La guérisseuse tendit la main, et l’enfant la serra, sur ses gardes.
— Veux-tu monter Ecureuil pour moi ?
— Oui.
— Il va peut-être faire quelques cabrioles.
Melissa fit une traction sur la barre supérieure de la porte du box.
— Vous voyez celui-là ?
De l’autre côté du passage central se dressait un formidable cheval pie, une bête dépassant dix-sept mains. Serpent l’avait remarqué ; il rabattait les oreilles et montrait les dents chaque fois que quelqu’un passait.
— Je le monte, dit Melissa.
— Grand Dieu !
L’admiration de Serpent était sincère.
— Je suis seule à pouvoir le monter. Excepté l’autre.
— Qui donc ? Ras ?
— Non, répliqua Melissa d’un air méprisant. Pas lui. L’homme du château. Celui qui a les cheveux jaunes.
— Gabriel ?
— Oui, je crois. Mais il ne descend pas souvent, alors je monte son cheval.
Melissa retomba à terre.
— Ça m’amuse, ajouta-t-elle. Mais votre poney est gentil.
Serpent était pleinement rassurée sur la compétence de l’enfant.
— Merci, dit-elle. Je serai heureuse qu’il soit monté par quelqu’un qui connaisse son affaire.
Melissa grimpa sur le bord de la mangeoire, prête à disparaître une fois de plus dans le grenier à foin, et sans laisser à Serpent le temps de trouver le moyen d’éveiller son intérêt pour prolonger leur entretien. Melissa se retourna à moitié.
— Madame, dites-lui que vous m’avez donné la permission.
Elle avait perdu toute son assurance.
— Mais naturellement.
Melissa disparut.
Serpent sella Vive et la fit sortir. Alors elle rencontra le maître d’écurie.
— Melissa va faire courir Ecureuil pour moi. Je lui en ai donné la permission.
— Qui donc ?
— Melissa.
— Quelqu’un de la ville ?
— Votre fille d’écurie. La petite rousse.
— Ah, le laideron ? dit l’homme en ricanant.
Serpent, sous l’effet du choc, puis de la colère, sentit le rouge lui monter au visage.
— Comment osez-vous injurier ainsi une enfant ?
— L’injurier, moi ? Comment ? En disant la vérité ? Personne ne veut la voir et il vaut mieux qu’elle ne l’oublie pas. Vous a-t-elle embêtée ?
Serpent se mit en selle et le défia du regard.
— À l’avenir vous emploierez vos poings contre des gens de votre force.