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Serpent lui prit le linge des mains pour achever de nettoyer la plaie. Il avait eu la main trop douce ; il fallait plus d’énergie pour enlever la saleté et les gravillons.

— Ce n’est pas un Montagnard qui m’a attaquée.

Gabriel épongea le genou de son pantalon pour le détacher de sa peau, car il était collé par le sang séché. Serpent lui parla du fou.

— Dieu merci, ce n’était pas quelqu’un d’ici, dit Gabriel. Et un étranger sera plus facile à dépister.

— Peut-être.

Mais le fou avait échappé aux recherches des gens du désert. Une ville n’offrait-elle pas plus de cachettes ?

Elle se leva. Son genou devenait plus douloureux. Elle se dirigea vers la baignoire en clopinant et fit couler l’eau, très chaude. Gabriel l’aida à ôter le reste de ses vêtements et resta assis près d’elle pendant qu’elle se baignait pour soulager ses douleurs. Il était agité, furieux de ce qui était arrivé.

— Où ce fou t’a-t-il attaquée ? Je vais envoyer la garde municipale à sa recherche.

— Oh, Gabriel, pas cette nuit. Ça fait au moins une heure… Il a eu le temps de filer. Tout ce que tu obtiendras, c’est de faire lever les gens de leurs bons lits chauds pour parcourir la ville et arracher d’autres gens à leurs bons lits chauds.

— Je veux faire quelque chose. Je ne sais pas quoi mais quelque chose.

— Je sais. Mais il n’y a rien à faire pour le moment.

Etendue dans son bain, elle ferma les yeux.

— Gabriel, dit-elle soudain, qu’est-il arrivé à Melissa ?

— Qui ?

— Melissa. La petite fille d’écurie au visage brûlé. Dix ou onze ans ; des cheveux roux.

— Je ne sais pas… je ne crois pas l’avoir jamais vue.

— Elle monte ton cheval.

— Mon cheval ! Une gosse de dix ans ? C’est absurde.

— Elle me l’a dit. Et je ne crois pas qu’elle mente.

— Il est possible que Ras l’asseye sur le dos de l’animal quand il l’emmène au pâturage. Et encore, j’en doute. Ras n’est pas capable de le monter… Une enfant encore moins.

— N’en parlons plus.

Peut-être, après tout, Melissa avait-elle tout simplement voulu l’impressionner ; il ne serait pas surprenant que cette enfant vécût dans un monde de rêves. Pourtant Serpent n’était pas encline à faire, aussi aisément, bon marché des prétentions de Melissa.

— Peu importe. Je me demandais comment elle s’est brûlée.

— Je l’ignore.

Epuisée, sentant qu’elle allait s’endormir si elle s’attardait dans son bain, elle fit l’effort d’en sortir. Gabriel l’enveloppa dans une grande serviette et l’aida à se sécher.

— Il y a eu un incendie à l’écurie, dit brusquement Gabriel. Il y a quatre ou cinq ans. Mais je pensais qu’il n’y avait pas eu de victime. Ras réussit même à faire sortir la plupart des chevaux.

— Melissa a voulu me cacher son visage, dit Serpent. A-t-elle pu te le cacher pendant quatre ans ?

Gabriel garda le silence un moment.

— Si elle a des cicatrices…, dit-il en haussant les épaules d’un air gêné, ce n’est pas réjouissant, mais moi-même voilà trois ans que je cache mon visage à presque tout le monde. Ce n’est pas impossible.

Gabriel aida son amie à regagner sa chambre ; mais à peine en avait-elle franchi le seuil qu’il s’arrêta, subitement embarrassé. Serpent se rendit compte tout à coup qu’elle l’avait autant dire excité sans le vouloir. Elle eût aimé lui offrir une place dans son lit car elle aurait apprécié sa compagnie. Mais ses forces avaient des limites, qu’il s’agît maintenant de faire l’amour avec Gabriel ou même de lui prodiguer sa sympathie, et elle ne voulait pas l’exciter encore davantage en lui imposant toute une nuit de chasteté à ses côtés.

— Bonne nuit, Gabriel. Je regrette que nous ne puissions revivre notre dernière nuit d’amour.

Il sut maîtriser sa déception, à laquelle s’ajoutait l’embarras de se sentir déçu alors qu’il savait pourtant que son amie était blessée et malade. Ils s’embrassèrent pour se dire bonne nuit. Serpent se sentit submergée par une vague de désir. Tout ce qui la dissuada de retenir Gabriel, ce fut d’imaginer dans quel état elle serait le lendemain après les tensions physiques et émotionnelles qu’elle venait de subir ; la fatigue musculaire et mentale d’une nuit d’amour même réussie ne ferait rien pour arranger les choses

— Que ce cinglé soit maudit, dit-elle tandis que Gabriel se retirait. Il ne cesse d’aggraver son cas.

Un bruit réveilla Serpent de son sommeil profond, épuisé. Elle pensa que Larril venait la chercher à cause du maire ; mais personne ne lui parla. La chambre fut un instant éclairée par une lumière venue du couloir, puis, la porte se refermant, retomba dans l’obscurité. La jeune femme resta parfaitement immobile. Elle entendait son cœur battre violemment tandis qu’elle se bandait pour la défense ; elle pensa à son couteau, à l’allusion de Melissa. Elle l’avait toujours à sa portée lorsqu’elle campait, et pourtant elle ne craignait pas plus d’être attaquée en voyage que dans le château du maire. Mais cette nuit-là, sa ceinture et son couteau gisaient à terre là où elle s’en était débarrassée. Peut-être dans la salle de bains ? Elle ne pouvait se le rappeler. Elle avait mal à la tête et souffrait du genou.

Mais je divague, pensa-t-elle. Je n’ai même pas appris à me battre avec un couteau.

— Madame Serpent.

La voix était d’une douceur infinie, à peine audible.

La jeune femme s’assit toute droite, bien réveillée, son poing se relaxant aussi vite qu’il s’était crispé par réflexe.

— C’est Melissa ?

— Oui, madame.

— Dieu soit loué, tu as parlé. J’ai failli te frapper.

— Je suis désolée. Je ne voulais pas vraiment vous réveiller. Je voulais seulement… Je voulais m’assurer…

— Quelque chose ne va pas ?

— Non, mais je ne savais pas si vous étiez tirée d’affaire. Je vois toujours des lumières là-haut et je croyais que tout le monde se couchait très tard. J’ai pensé que je pourrais peut-être demander à quelqu’un. Mais… je n’ai pas pu. Je ferais mieux de m’en aller.

— Non, attends.

Les yeux de Serpent s’étant habitués à l’obscurité, elle distinguait la forme de Melissa et un vague reflet de lumière sur les mèches qui, décolorées par le soleil, tranchaient sur le reste de sa chevelure rousse ; et l’enfant dégageait une agréable odeur de foin et de chevaux bien soignés.

— Tu es un amour d’être venue de si loin pour prendre de mes nouvelles.

Elle attira Melissa, se pencha et la baisa sur le front. Les boucles épaisses de sa coiffure à la chien ne cachaient pas complètement la surface irrégulière de sa cicatrice, qui s’étendait jusqu’au cuir chevelu.

Melissa se raidit et se déroba.

— Comment pouvez-vous supporter de me toucher ?

Serpent alluma sa lampe de chevet. Surprise, l’enfant se détourna. La jeune femme la prit par l’épaule et la tourna vers elle avec douceur. Melissa évitait son regard.

— Je t’aime bien. Et il me plait de toucher les gens que j’aime bien. Tu pourrais être aimée par d’autres que moi si tu t’y prêtais.

— Ce n’est pas l’avis de Ras. Il dit qu’à La Montagne personne ne veut voir les laiderons.

— Moi, je dis que Ras est un homme odieux et qu’il a ses raisons pour te faire craindre tout le monde. Il veut s’attribuer le mérite de ce que tu fais, n’est-ce pas ? Il veut qu’on s’imagine que c’est lui qui pomponne les chevaux, lui qui les monte.

Melissa haussa les épaules, penchant la tête pour rendre sa brûlure moins visible.