Выбрать главу

Serpent se rendit à l’appartement du maire et frappa à sa porte. Le bruit se répercuta en échos dans les couloirs aux murs de pierre, et elle se rendit compte qu’il devait être très tôt. Elle ne s’en souciait guère ; elle n’était pas d’humeur à respecter l’étiquette. Brian ouvrit la porte.

— Madame ?

— Je viens parler au maire de ma rétribution.

Brian s’inclina et fit entrer la guérisseuse.

— Il est réveillé. Je suis sûre qu’il vous recevra.

Ces mots firent sourciller Serpent car c’était là insinuer que le maire pourrait s’y refuser. Mais Brian avait parlé en serviteur qui vouait à son maître une telle adoration qu’il en oubliait toute autre règle de courtoisie. De toute façon il n’était pas plus digne que Gabriel de la colère de Serpent.

— Il a eu une mauvaise nuit, dit Brian en l’accompagnant à la chambre du maire. Sa croûte le démange terriblement… vous pourriez peut-être… ?

— Si ce n’est pas infecté, c’est l’affaire de la pharmacienne et non la mienne, dit froidement la guérisseuse.

— Mais, madame…

— Je lui parlerai seule, Brian. Veuillez envoyer chercher le maître d’écurie et Melissa.

— Melissa ? (À son tour le vieux serviteur joua du sourcil.) La fillette rousse ?

— Oui.

— Madame, désirez-vous réellement la faire venir ici ?

— Veuillez faire ce que je vous ai demandé.

Il s’inclina légèrement, son visage revêtant de nouveau le masque du parfait serviteur. Serpent, d’un pas ferme, entra dans la chambre du maire.

Il était tout contorsionné sur son lit ; autour de lui et sur le sol, la literie gisait en chiffon. Ses bandages et son pansement avaient glissé de sa jambe, où s’était formée une croûte brune bien nette. Avec une expression de plaisir et de soulagement, il grattait lentement la plaie en voie de guérison.

À la vue de Serpent, il essaya de remonter le bandage à sa place. Il souriait d’un air coupable.

— Ça me démange vraiment, dit-il. Je suppose que c’est bon signe ?

— Grattez tant que vous voudrez, dit Serpent. Je serai à deux jours d’ici quand vous aurez réussi à réinfecter la plaie.

Il retira vivement sa main et replaça la tête sur ses oreillers. Tout en s’évertuant maladroitement à remettre sa literie en ordre, il regardait autour de lui, redevenu irritable.

— Où est Brian ?

— Je l’ai chargé de me rendre un service.

— Je vois, dit le maire d’un ton qui trahissait une certaine irritation. Vous vouliez me voir ?

— Oui, pour me faire payer.

— Mais oui, bien sûr… j’aurais dû vous en parler le premier. Je ne me doutais pas que vous alliez nous quitter si tôt, ma chère.

Serpent détestait être traitée affectueusement par des gens n’ayant pour elle aucune affection. Les mots tendres de Grum, répétés cinquante ou cent fois par jour, ne lui avaient pas blessé l’oreille de pareille manière.

— Il n’est aucune ville, à ma connaissance, où l’on refuse d’être payée en argent de La Montagne. On sait que jamais nous ne falsifions le métal de nos pièces de monnaie, ni ne trichons sur leur poids. Cependant nous pouvons vous payer en pierres précieuses si vous préférez.

— Je ne veux ni l’un ni l’autre. Je veux Melissa.

— Melissa ? Une citoyenne ? Allons donc, il m’a fallu vingt ans pour détruire la réputation de La Montagne comme ville esclavagiste. Nous libérons les esclaves, nous autres.

— Les guérisseurs n’ont pas d’esclaves. J’aurais dû préciser que je veux sa liberté. Elle désire partir avec moi, mais Ras, votre maître d’écurie est – comment dites-vous ? – son tuteur.

Le maire regarda Serpent avec de grands yeux.

— Mais voyons, je ne puis demander à un homme de détruire sa famille.

La guérisseuse réprima toute réaction. Elle ne voulait pas avoir à expliquer les raisons de son dégoût. Ne recevant pas de réponse, le maire s’agita, se frotta la jambe, puis retira la main de son bandage.

— C’est très compliqué. Tâchez de trouver autre chose, voulez-vous ?

— Vous rejetez ma demande ? dit Serpent.

Le ton de sa voix exprimait une menace voilée, et il ne s’y trompa pas. Il sonna et Brian apparut.

— Fais porter un message à Ras. Demande-lui de monter le plus tôt possible. Qu’il vienne avec la petite.

— La guérisseuse l’a déjà envoyé chercher.

— Ah, bon ?

Brian s’étant retiré, le maire fixa la guérisseuse.

— Supposez qu’il refuse ?

— Toute personne est libre de refuser de payer une guérisseuse. Nous ne sommes armés que pour nous défendre et nous ne proférons jamais de menaces. Mais nous évitons les lieux où nous sommes mal reçus.

— En somme vous boycottez tout endroit qui n’a pas l’heur de vous plaire.

Serpent haussa les épaules.

— Ras est là, monsieur, dit Brian à la porte.

— Fais-le entrer.

Serpent se crispa. Elle se forçait à réprimer son mépris et le dégoût qui l’avait envahie. Le grand gaillard entra, mal à l’aise. Il avait les cheveux mouillés, coiffés en arrière à la va-vite. Il s’inclina légèrement devant le maire.

Melissa se tenait derrière lui, craintive, à côté de Brian. Le vieux serviteur la fit entrer, mais elle garda les yeux baissés.

— N’aie pas peur, mon enfant, dit le maire. Tu n’es pas ici pour être punie.

— Drôle de manière de rassurer les gens ! lança Serpent.

— Asseyez-vous, s’il vous plaît, dit le maire avec douceur. Ras… ajouta-t-il, désignant deux fauteuils.

Ras s’assit, jetant à la guérisseuse un regard haineux. Brian, non sans mal, fit avancer Melissa, et elle se tint debout, les yeux toujours fixés au sol, entre Serpent et Ras.

— Ras est ton tuteur, dit le maire. Est-ce exact ?

— Oui, murmura-t-elle.

Ras, étendant le bras, mit un doigt sur l’épaule de l’enfant et lui donna une poussée légère mais ferme.

— Et le respect que tu dois à M. le Maire ?

— Monsieur, dit Melissa d’une voix faible et tremblante.

— Melissa, dit Serpent, le maire t’a fait venir pour savoir ce que tu veux faire.

Ras pivota sur son siège.

— Ce qu’elle veut faire ? Que voulez-vous dire ?

Le maire apaisa Serpent, mais sur un ton plus net, cette fois, de mise en garde.

— Je vous en prie, guérisseuse. Ras, je suis dans une situation extrêmement difficile. Et tu es le seul qui puisse m’aider, mon ami.

— Je ne comprends pas.

— La guérisseuse m’a sauvé la vie et le moment est venu de lui payer ma dette. Elle et ton enfant, semble-t-il, se sont liées d’amitié.

— Alors que voulez-vous que je fasse ?

— Je ne te demanderais pas de faire ce sacrifice si ce n’était pour le bien de notre ville. Et à en croire la guérisseuse, c’est conforme au désir de ton enfant.

— Et que désire-t-elle donc ?