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— Ton enfant…

— Melissa, coupa Serpent.

— Elle ne s’appelle pas Melissa, dit Ras d’un ton sec. Ça n’a jamais été son nom.

— Alors dites au maire comment vous l’appelez.

— Il est plus à propos de l’appeler comme je fais que de se donner de grands airs comme fait cette gamine. C’est elle qui s’est donnée le nom que vous employez.

— Alors il lui appartient d’autant plus.

— S’il vous plaît, dit le maire. Il ne s’agit pas de savoir comment s’appelle cette enfant, mais qui doit assumer sa tutelle.

— Sa tutelle ? Nous y voilà enfin ! Vous voulez que je m’en sépare ?

— Tu énonces la chose brutalement… mais correctement.

Ras jeta un regard sur Melissa, qui n’avait pas bougé, puis sur Serpent. Celle-ci vit clairement briller dans ses yeux un éclair de triomphe insolent, mais il fit taire ce sentiment avant de se tourner vers le maire.

— La confier à une étrangère ? Alors qu’elle est sous ma tutelle depuis l’âge de trois ans ? Ses parents étaient des amis à moi. Où pourrait-elle être heureuse hors d’ici ? Partout ailleurs on la dévisagerait…

— Elle n’est pas heureuse ici, dit Serpent.

— On la dévisagerait ? Et pourquoi ? dit le maire.

— Lève la tête, dit Ras à Melissa.

Comme elle n’en faisait rien, il la força à obéir d’un doigt énergique.

Le maire sut réprimer sa réaction mieux que n’avait fait Gabriel, mais sans la dominer entièrement. Melissa évita son regard, baissa la tête en laissant tomber ses cheveux sur son visage, et de nouveau resta les yeux rivés au plancher.

— Elle a été brûlée dans l’incendie de l’écurie, monsieur. Elle a failli en mourir. Je l’ai soignée.

Le maire se tourna vers Serpent.

— Guérisseuse, laissez-vous fléchir.

— Et si elle veut aller avec moi, ça ne compte pas ?

— Veux-tu aller avec la guérisseuse, mon enfant ? Ras a été bon pour toi, n’est-il pas vrai ? Pourquoi veux-tu nous quitter ?

Les mains serrées derrière le dos, Melissa ne répondait pas. Serpent savait qu’elle serait impuissante à la faire parler ; elle avait trop peur, et avec raison.

— Ce n’est qu’une enfant, dit le maire. Elle ne peut prendre une telle décision. C’est à moi qu’en incombe la responsabilité de même que pour tous les enfants de La Montagne dont j’assure la tutelle depuis vingt-cinq ans.

— Alors sachez que je peux faire plus pour elle que vous deux. Si elle reste ici, ce sera pour passer le restant de ses jours dans une écurie. Confiez-la moi et elle n’aura plus à se cacher.

— Elle se cachera toujours, dit Ras. Pauvre petite gueule brûlée.

— Vous avez fait en sorte qu’elle ne l’oublie jamais.

— Ce n’est pas là nécessairement un mauvais service à lui rendre, dit le maire avec douceur.

— Vous ne voyez que la beauté, vous autres ! cria Serpent tout en sachant très bien qu’elle ne serait pas comprise.

— Elle a besoin de moi, dit Ras. Pas vrai, fifille ? Qui prendrait soin de toi comme je le fais ? Et maintenant tu veux me quitter… ? Je ne comprends pas. Pourquoi voudrait-elle partir et pourquoi la voulez-vous ?

— C’est une excellente question, guérisseuse, dit le maire. Pourquoi voulez-vous cette fille ? Les gens seront peut-être trop heureux de dire que si nous avons cessé de vendre nos beaux enfants, c’est pour nous débarrasser de ceux qui sont défigurés.

— Elle ne peut passer toute sa vie à se cacher, dit Serpent. C’est une enfant douée, elle est vive et elle est courageuse. Je peux faire plus pour elle que n’importe qui dans cette ville. Je peux l’aider à trouver un métier. À être une personne qui ne sera pas jugée sur ses cicatrices.

— Une guérisseuse ?

— C’est possible, si tel est son désir.

— En somme vous l’adopteriez ; c’est bien ça ?

— Oui, bien sûr. C’est évident.

Le maire se tourna vers Ras.

— Ce serait un coup magistral pour La Montagne si une de ses filles devenait guérisseuse.

— Elle ne peut être heureuse ailleurs, dit Ras.

— Ne veux-tu pas faire passer avant tout l’intérêt de l’enfant ?

La voix du maire s’était faite plus douce, presque cajoleuse.

— Est-ce son intérêt de lui faire quitter son foyer ? Vous même, feriez-vous cela pour votre…

Ras se tut, blêmissant.

Le maire se coucha sur ses oreillers.

— Non, je ne chasserais pas mon propre enfant. Mais s’il décidait de partir, je l’y autoriserais. Toi et moi, nous avons des problèmes similaires, mon ami, ajouta-t-il en adressant à Ras un sourire triste. Merci de me le rappeler.

Il croisa les mains sous sa tête et fixa longuement le plafond.

— Vous ne pouvez pas la laisser partir, dit Ras. Autant la vendre comme esclave.

— Ras, mon ami, dit le maire avec douceur.

— Je n’en démordrai pas. Je sais ce que je dis et tout le monde me donnera raison.

— Mais songe au profit…

— Pouvez-vous croire qu’il se trouvera quelqu’un pour envisager de faire de cette pauvre gosse une guérisseuse ? Ça ne tient pas debout !

Melissa jeta sur sa protectrice un regard rapide, furtif, masquant comme toujours ses émotions, puis baissa les yeux.

— Je n’aime pas être traitée de menteuse dit Serpent.

— Guérisseuse, les paroles de Ras dépassaient sa pensée. Gardons tous notre calme. Il ne s’agit pas tant de la réalité que des apparences. Les apparences sont une chose très importante car les gens jugent d’après elles. Je dois en tenir compte. Ne croyez pas que ma charge soit facile à assumer. Je connais plus d’un jeune brandon de discorde – jeune ou pas tellement jeune – qui me chasserait de chez moi si je ne veillais au grain. Peu leur importent mes vingt années de service. Si l’on m’accusait d’enfreindre les lois contre l’esclavage…

Serpent voyait le maire s’acheminer de nouveau vers un refus sans qu’elle pût rien faire pour renverser le courant. Ras avait su choisir les arguments auxquels il devait être le plus sensible. Et Serpent avait eu tort de croire qu’on lui ferait confiance, ou à tout le moins qu’on lui donnerait satisfaction. Pourtant la possibilité d’un interdit prononcé par les guérisseurs contre La Montagne constituait un problème à long terme, problème rendu plus grave encore par la rareté de leurs visites depuis quelques années.

Si le maire pouvait cependant risquer d’accepter l’ultimatum de Serpent elle ne pouvait prendre le risque de le mettre à exécution. Elle ne pouvait laisser Melissa à son tuteur un jour de plus, une heure de plus, elle l’avait trop dangereusement compromise. Qui plus est, elle n’avait pas caché son antipathie pour le maître d’écurie, le maire pourrait donc ne pas ajouter foi à ses révélations. Même si Melissa l’accusait, il n’y aurait pas de preuves contre lui. Serpent cherchait désespérément un autre moyen d’obtenir la liberté de Melissa ; elle espérait n’avoir pas déjà détruit toutes ses chances d’y parvenir.

Elle dit, avec tout le calme dont elle était capable :

— Je retire ma requête.

Melissa eut un sursaut mais s’abstint de lever les yeux. Le visage du maire prit une expression de soulagement, et Ras se cala dans son fauteuil.

— À une condition, dit Serpent. Lorsque Gabriel partira, il ira vers le nord. Que Melissa l’accompagne jusqu’à Middlepath.

Serpent ne dit rien des projets de Gabriel ; c’était son affaire et cela ne regardait personne.

— Dans cette ville exerce une excellente éducatrice de filles, et sa porte est ouverte à quiconque peut avoir besoin de ses conseils.

Une tache humide s’élargit sur le devant de la chemise de Melissa tandis que coulaient ses larmes sur le tissu grossier. Serpent enchaîna rapidement :