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Serpent s’assit sur les talons.

— J’ai dit tout cela, c’est vrai. Et je le pensais.

Après avoir regardé ses mains balafrées, elle soupira et de nouveau leva les yeux sur Melissa.

— Mieux vaut te dire la vraie raison pour laquelle je désire que tu ailles au centre des guérisseurs. J’ai trop tardé à te le dire.

— Pourquoi donc ?

La voix de Melissa était tendue par son effort pour se dominer ; elle s’attendait à recevoir un nouveau coup. Serpent lui prit la main.

— La plupart des guérisseuses ont trois serpents. Je n’en ai que deux. J’ai fait une bêtise, et le troisième a été tué.

Elle raconta à Melissa les circonstances de la mort de Sève.

— Les serpents du rêve sont peu nombreux, continua-t-elle. Ils se reproduisent difficilement. En fait nous ne pouvons rien faire pour les y aider, nous ne comptons pour cela que sur d’heureux hasards. Pour en avoir davantage, il faut faire à peu près ce que j’ai fait pour Ecureuil.

— Avec le médicament spécial ?

— Si tu veux.

La physiologie étrangère des serpents du rêve ne se prêtait ni à la transduction virale ni à la microchirurgie. Les virus terrestres ne pouvaient interréagir avec les éléments biochimiques tenant lieu d’A.D.N. à ces reptiles ; rien de comparable à un virus n’avait pu en être isolé. Les guérisseurs ne pouvaient donc transférer à un autre serpent les gènes produisant le venin du serpent du rêve ; et personne n’avait réussi à synthétiser les centaines de composants du venin.

— Sève était mon œuvre, dit Serpent, ainsi que quatre autres serpents du rêve. Mais je ne pourrais pas recommencer. Je n’ai plus la main assez ferme, et cela pour la même raison qui me faisait souffrir hier du genou.

Serpent s’interrogeait souvent sur son arthrite. Etait-ce la réaction, psychologique autant que physique, aux heures passées au laboratoire à manipuler délicatement, sans relâche, une micro-pipette, et à se fatiguer les yeux pour isoler chacun des innombrables noyaux contenus dans une seule cellule de serpent du rêve ? La première depuis quelques années, elle avait réussi à transplanter du matériel génétique dans un ovule non fertilisé. Elle avait dû renouveler l’expérience plusieurs centaines de fois avant de produire, pour finir, Sève et ses quatre congénères ; pourcentage d’ailleurs plus qu’honorable par rapport à tous ceux qui avaient jusque-là réussi l’opération. Personne n’avait jamais pu découvrir comment ces reptiles venaient à maturité. Les guérisseurs avaient donc un petit stock d’ovules immatures congelés, prélevés sur les corps de serpents du rêve qui étaient morts, mais personne n’était capable de reproduire ces animaux par clonage à partir de ces œufs ; ils avaient aussi un stock congelé de ce qui semblait être du sperme de serpent d’outreciel, cellules trop immatures pour fertiliser les ovules en éprouvette.

Serpent attribuait sa réussite à la chance autant qu’à la technique. Si les laboratoires de son centre jouissaient d’une technologie assez avancée pour qu’on y construisît les microscopes électroniques décrits dans les livres, elle était persuadée qu’on découvrirait des gènes indépendants des noyaux, des molécules infimes au point d’être invisibles, trop petites pour être transplantées à moins d’être aspirées par une chance heureuse, dans la micro-pipette.

— Je vais à la grande cité pour y délivrer un message et demander à ses habitants de nous aider à renouveler notre stock de serpents du rêve. Mais je crains qu’ils ne refusent. Et si je rentre à mon centre sans avoir pu remplacer celui que j’ai perdu, je ne sais ce qui arrivera. Il en est peut-être né quelques-uns depuis mon départ, mais dans le cas contraire, il se peut qu’on m’interdise d’exercer mon métier, car il faut un serpent du rêve pour faire une bonne guérisseuse.

— S’il n’y en a pas d’autres, on devrait vous donner un de ceux que vous avez fabriqués. Ce serait la seule chose juste.

— Pas pour les jeunes guérisseurs à qui je les ai donnés. Me vois-tu leur annoncer qu’ils devraient renoncer à exercer leur métier hors le cas où les serpents du rêve dont nous disposons consentiraient à se reproduire ? C’est pourquoi, poursuivit Serpent après avoir poussé un long soupir, je veux que tu me précèdes là-bas pour te faire connaître de tout le monde. Je t’ai arrachée à ton tuteur, mais si nous arrivions ensemble chez les guérisseurs, je ne suis pas certaine que ta situation s’en trouverait beaucoup plus brillante.

— Serpent ! cria Melissa, furieuse. De toute façon je préfère être avec toi qu’avec… qu’à La Montagne. Et quoi qu’il arrive. Même si tu me frappes…

— Melissa ! dit la jeune femme.

C’était à son tour d’être choquée.

La fillette fit un sourire qui lui releva légèrement le côté droit de la bouche.

— Tu vois ? dit-elle.

— Très bien.

— Ça ira, dit Melissa. Je ne me soucie pas de ce qui peut arriver au centre des guérisseurs. Et je sais que les tempêtes sont dangereuses. J’ai vu dans quel état tu étais après t’être bagarrée avec le fou, alors, je sais qu’il est dangereux, lui aussi. Mais je veux tout de même t’accompagner. Je t’en prie, ne m’oblige pas à aller avec quelqu’un d’autre.

— Tu es sûre ?

Melissa acquiesça.

— J’accepte, dit Serpent, et elle sourit de toutes ses dents. C’est la première fois que j’adopte un enfant. La théorie, c’est très joli, mais s’il s’agit de l’appliquer c’est une autre affaire. Nous irons ensemble.

À vrai dire on ne pouvait reprocher à Melissa de manquer de confiance en soi, et c’était une chose que sa mère adoptive appréciait.

Elles suivirent le couloir la main dans la main, en balançant les bras ; on eût dit deux enfants plutôt qu’une enfant et sa mère. Au détour du dernier angle du passage, Melissa eut un brusque mouvement de recul.

Gabriel était assis devant la porte de Serpent, sa sacoche de selle à ses côtés, le menton sur ses genoux repliés.

— Gabriel, dit Serpent.

Il leva les yeux, sans réagir cette fois à la vue de Melissa.

— Bonjour, dit-il. Je regrette.

Melissa s’était tournée vers Serpent de manière à cacher le plus gros de sa brûlure.

— N’en parlons plus. Je suis habituée.

— La nuit dernière je n’étais pas vraiment réveillé lorsque…

Mais voyant l’expression du visage de son amie, le jeune homme se tut.

Melissa jeta un regard sur Serpent qui pressa sa main, puis sur Gabriel, et de nouveau sur la jeune femme.

— Je ferais mieux… Je vais préparer les chevaux.

— Melissa !

Serpent voulut la retenir, mais elle s’enfuit. Sa mère adoptive la regarda s’éloigner, soupira, puis elle ouvrit la porte de sa chambre. Gabriel se leva.

— Je regrette, répéta-t-il.

— Tu as le chic, vraiment.

Elle entra, ramassa ses sacoches de selle et les jeta sur le lit.

Gabriel la suivit.

— Je t’en prie, ne sois pas fâchée.

— Je ne suis pas fâchée, dit la jeune femme, ouvrant les poches de la sacoche. Hier soir oui, mais plus maintenant.

— Je suis content, dit Gabriel, s’asseyant sur le lit et regardant son amie faire ses préparatifs. Je suis prêt à partir. Je voulais te dire au revoir. Et merci. Et je regrette.

— N’en parlons plus.

— Très bien.

Serpent plia sa robe de désert propre et la rangea dans la sacoche de selle.

— Pourquoi n’irais-je pas avec toi ? dit Gabriel qui, les coudes sur les genoux, se pencha d’un air anxieux vers son amie. Plutôt que de voyager seule, tu aurais quelqu’un avec qui parler ?