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Une lumière miroita au loin. Serpent, qui somnolait, se réveilla en sursaut. Elle rêvait que le fou la suivait et qu’elle voyait sa lanterne se rapprocher toujours davantage. Sans qu’elle s’en fût encore rendu compte, elle avait la certitude d’être suivie, et d’assez près, par ce possédé aux mobiles incompréhensibles.

Mais la lumière ne pouvait provenir de la lanterne d’une personne en marche car elle était immobile, droit devant Serpent. Un bruit de feuilles sèches lui parvint sur une faible brise. Les cavalières approchaient de la première oasis sur la route du Centre.

Ce n’était pas encore l’aube. Serpent se pencha pour flatter Vive sur le cou.

— Nous sommes bientôt arrivées, dit-elle.

— Quoi ? Où ?…

Melissa s’était éveillée à son tour.

— Tout va bien. Nous pourrons bientôt nous arrêter.

— Oh ! dit Melissa, clignant des yeux. J’avais oublié où j’étais.

Elles atteignirent les arbres d’été entourant l’oasis. La lanterne de Serpent illuminait des feuilles déjà déchirées et effrangées sous l’effet du sable chassé par le vent. On ne voyait aucune tente, on n’entendait aucun bruit. Bêtes et gens étaient partis en caravanes pour se réfugier dans les montagnes.

— Où est cette lumière ?

— Je ne sais pas, dit Serpent.

Elle jeta un regard sur Melissa car elle lui trouvait une voix étrange : c’est qu’elle était étouffée par son foulard de tête rabattu sur son visage. Personne n’apparaissant, elle le rejeta en arrière ; c’est ainsi qu’elle cachait ses brûlures par un réflexe machinal.

Serpent fit pivoter Vive, inquiétée par la lumière.

— Regarde, dit Melissa.

Le corps de Vive faisait écran à la lumière de la lanterne dans une certaine direction, et là sur un fond obscur s’élevait un jet de luminescence. De plus près, Serpent vit qu’il provenait d’un arbre mort, assez proche de l’eau pour qu’il eût pourri au lieu de sécher. Son tronc fragile, envahi par les cellules lumineuses, était devenu phosphorescent, tel un signal étincelant. Soulagée, la jeune femme respira.

Les voyageuses, poursuivant leur route, contournèrent le lac noir et calme de l’oasis, et elles trouvèrent enfin un rideau d’arbres assez épais pour leur fournir un abri. Serpent n’eut pas plus tôt arrêté sa monture que Melissa sauta à terre et commença à desseller Ecureuil. La guérisseuse descendit de cheval plus doucement car, malgré la constance du climat désertique, son genou était redevenu raide pendant leur longue chevauchée. Melissa bouchonna Ecureuil avec un tortillon de feuilles tout en lui parlant d’une voix à peine audible. Bientôt, la petite troupe fut couchée pour attendre la fin du jour.

Serpent se dirigea pieds nus vers le lac en s’étirant et en bâillant. Elle avait dormi toute la journée, et elle éprouvait l’envie de nager avant de se remettre en route. Il était encore trop tôt pour quitter l’ombre épaisse des arbres d’été. Elle examinait leurs branches dans l’espoir d’y trouver quelques fruits mûrs, mais la cueillette avait été consciencieuse : les gens du désert n’avaient rien laissé.

Quelques jours seulement la séparaient du temps où le feuillage des oasis, de l’autre côté des montagnes, lui était apparu tendre et luxuriant, alors qu’elle ne voyait plus maintenant que des feuilles sèches, presque mortes, qui bruissaient sur son passage, et s’émiettaient dans sa main.

Elle s’arrêta au bord de la plage, une bande semi-circulaire de sable noir large de quelques mètres enserrant une minuscule nappe d’eau où se reflétait le lacis des branches en surplomb. Melissa, demi-nue, était agenouillée sur le sable ; penchée sur l’eau, elle fixait son image en silence. Elle ne portait plus trace des coups frappés par Ras, et son dos n’avait pas été brûlé. Sa peau était plus blanche que Serpent l’aurait cru, à voir le hâle de ses mains et de son visage. Elle risqua une main timide sur la surface de l’eau sombre, qui se rida sous les gouttes tombées de ses doigts.

Fascinée, Melissa vit Serpent libérer Brume et Sable de leurs logements. Brume rampa autour des pieds de la guérisseuse, dégustant les odeurs de l’oasis. Avec douceur elle prit l’animal dans ses mains, goûtant le frais contact de ses écailles blanches et lisses.

— Je voudrais qu’elle te sente, dit Serpent. Sa réaction instinctive est de frapper tout ce qui lui paraît alarmant. Si elle reconnaît ton odeur, ce sera plus sûr. D’accord ?

Melissa acquiesça d’un geste lent, manifestement effrayée.

— Elle est très venimeuse, n’est-ce pas ? dit-elle. Plus que l’autre.

— Oui. Dès que nous serons au pays, je pourrai t’immuniser ; je ne peux pas me lancer ici dans cette opération car il faudrait d’abord te tester et je n’ai pas ce qu’il faut.

— Tu veux dire que tu peux t’arranger pour qu’elle me morde sans me faire de mal ?

— Pas tout à fait. Mais elle m’a mordue plusieurs fois par erreur et je suis toujours là.

— Alors je pense qu’il vaut mieux qu’elle me sente.

Serpent s’assit auprès de l’enfant.

— Je sais que c’est dur de ne pas être effrayée par cet animal. Mais respire profondément et essaie de te détendre. Ferme les yeux et écoute ma voix, c’est tout.

— Les chevaux aussi le savent, quand on a peur, dit Melissa, et elle suivit la recommandation de Serpent.

La langue fourchue du cobra vacilla au-dessus des mains de l’enfant, qui restait immobile et silencieuse. Serpent revoyait le jour où des cobras albinos lui étaient apparus pour la première fois, ce moment terrifiant et merveilleux où, en une masse enchevêtrée aux multiples nœuds, ils avaient flairé ses traces de pas et levé leurs têtes à l’unisson, telle une monstrueuse chevelure de gorgone, ou quelque plante vorace d’un autre monde brutalement épanouie.

Serpent ne lâchait pas Brume tandis qu’elle glissait sur les bras de Melissa.

— C’est agréable, dit l’enfant.

Sa voix tremblante trahissait une certaine peur, mais le ton était sincère.

Melissa avait déjà vu des serpents à sonnette ; on les savait dangereux, mais ils n’étaient pas aussi terrifiants. Sable rampa sur les mains de la fillette et elle le caressa avec douceur. Serpent était heureuse de constater que sa fille n’était pas seulement bonne cavalière ; elle avait d’autres capacités.

— J’espérais que tu t’entendrais avec Brume et Sable, dit-elle. C’est important pour une guérisseuse.

Melissa parut toute saisie.

— Mais tu n’étais pas sérieuse quand tu as dit…

Elle s’interrompit.

— Continue.

Melissa fit une profonde inspiration.

— Ce que tu as dit au maire… À propos de ce que je pourrais faire. Ce n’était pas sérieux. Tu lui as dit ça pour qu’il me laisse partir.

— Je parlais le plus sérieusement du monde.

— Mais je ne pourrais pas être guérisseuse.

— Pourquoi pas ? Je t’ai dit que nous adoptons nos enfants faute de pouvoir en mettre au monde. J’ajouterai que beaucoup de guérisseuses ont des partenaires, ou des enfants adoptifs, qui exercent une autre profession. Nous ne formons pas une communauté fermée sur elle-même. Pourtant lorsque nous adoptons un enfant c’est généralement avec l’espoir de l’y faire admettre plus tard.

— Moi aussi ?

— Oui. Si tu le veux. C’est là l’essentiel. Faire ce que tu veux faire. Non pas ce que d’autres désirent ou envisagent pour toi.