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— C’est tout ? Elle ne va pas revenir ?

— C’est impossible. Elle est morte.

Un étrange mélange de soulagement et de chagrin se peignit sur le visage si semblable à celui de Jesse.

— Morte ? dit-il d’une voix douce.

— Je n’ai pu la sauver. Fracture de la colonne.

— Je n’ai jamais désiré sa mort.

Il fit une longue inspiration, puis expira lentement.

— Fracture de la colonne… donc une mort rapide. C’est préférable.

— Elle n’est pas morte sur le coup. Nous pensions vous l’amener, ses partenaires et moi-même, parce que vous auriez pu la guérir.

— C’est possible. Comment est-elle morte ?

— Elle prospectait parmi les cratères de la guerre. Elle ne pouvait croire qu’ils sont dangereux, ce qui est pourtant la vérité, parce que vous ne cessiez de lui mentir. Elle est morte contaminée par la radioactivité… J’étais avec elle. J’ai fait ce que j’ai pu, mais je n’ai pas de serpent du rêve. Je n’ai pu l’aider à mourir.

L’homme de la cité semblait fixer Serpent sans la voir.

— Nous vous sommes redevables, guérisseuse, de ce service rendu à un membre de notre famille, et de la peine que vous avez prise de nous apporter la nouvelle de sa mort.

Il parlait en homme affligé, plongé dans la perplexité, puis soudain il regarda Serpent d’un air furieux.

— Ma famille ne veut rien devoir à personne. Vous verrez au bas de l’écran une fente de distributeur. L’argent…

— Je ne veux pas d’argent.

— Je ne peux pas vous laisser entrer.

— Je ne demande pas à entrer.

— Alors que voulez-vous ?… Ah, j’y suis, des serpents du rêve ! Pourquoi vous refusez-vous à croire que nous n’en avons pas ? Je ne puis acquitter notre dette en serpents du rêve… Je ne suis pas disposé à contracter, pour l’acquitter, une dette envers les gens d’outreciel. Ces gens-là…

Il s’interrompit, apparemment troublé.

— Si les gens d’outreciel peuvent m’aider, laissez-moi leur parler.

— Même si je le pouvais, ils vous opposeraient un refus.

— S’ils sont humains, ils m’écouteront.

— Justement on… s’interroge sur leur humanité. Il faudrait pouvoir les soumettre à des tests. Vous ne comprenez pas, guérisseuse. Vous ne les avez jamais vus. Ils sont dangereux et imprévisibles.

— Laissez-moi au moins essayer, dit Serpent, tendant les mains, paumes en l’air, en un geste rapide de supplication, un effort désespéré pour se faire comprendre. Il meurt d’autres gens comme Jesse, dans des souffrances atroces, faute de guérisseurs. Nous sommes trop peu nombreux, nous avons trop peu de serpents du rêve. Je veux parler à ceux d’outreciel.

— N’insistez pas, guérisseuse, laissez-moi vous payer, dit le frère de Jesse tristement, et Serpent aurait pu se croire revenue à La Montagne. Le pouvoir, au Centre, expliqua-t-il, est en équilibre précaire. Jamais le conseil ne permettrait à une étrangère de traiter avec les gens d’outreciel. Nous ne voulons pas risquer de rompre ce difficile équilibre. Je regrette que ma sœur soit morte et qu’elle ait souffert, mais ce serait risquer trop de vies humaines en plus de la sienne que de vous donner satisfaction.

— Comment est-ce possible ? Une simple rencontre, une seule question…

— Vous ne pouvez comprendre, je vous l’ai déjà dit. Il faut avoir été élevé ici pour savoir comment agir vis-à-vis des forces qui nous gouvernent. J’ai passé ma vie à l’apprendre.

— D’après moi, vous avez passé votre vie à apprendre comment justifier le refus de faire honneur à vos obligations, dit Serpent avec colère.

— C’est un mensonge ! répliqua le frère de Jesse, exaspéré. Je vous donnerais tout ce qu’il serait en mon pouvoir de vous donner, mais vous demandez l’impossible. Je ne puis vous aider à trouver des serpents du rêve.

— Une minute. Peut-être pouvez-vous faire autre chose pour moi.

Le frère de Jesse soupira et détourna les yeux.

— Je n’ai pas de temps à perdre en intrigues et en manigances. Et vous non plus. L’orage approche, guérisseuse.

Serpent jeta un coup d’œil derrière elle. Melissa n’était toujours pas en vue. Au loin les nuages s’entassaient sur l’horizon, et des bourrasques chargées de sable dansaient un ballet entre terre et ciel. L’air se refroidissait, mais elle frissonnait pour une autre raison. L’enjeu était trop élevé pour qu’elle s’avoue vaincue. Elle était persuadée que si seulement elle pouvait s’introduire dans la cité, elle trouverait le moyen de dénicher toute seule les gens d’outreciel. Elle se tourna vers le frère de Jesse.

— Je reviendrai au printemps. Vous avez des techniques que nous ne sommes pas assez avancés pour découvrir.

Serpent sourit soudain. Elle ne pouvait plus rien pour Jesse, mais ne pourrait-elle œuvrer pour d’autres, pour Melissa ?

— Si vous pouviez m’apprendre comment réaliser la régénération…

Elle s’étonnait de ne pas encore en avoir envisagé la possibilité. Dans son égoïsme elle avait été complètement obsédée par les serpents du rêve, par son prestige et son honneur. Mais quel bienfait ce serait pour tant de gens si les guérisseurs savaient régénérer les muscles et les nerfs… Le plus urgent serait d’apprendre à régénérer la peau afin de débarrasser sa fille de ses cicatrices. Observant le visage de son interlocuteur, Serpent fut tout heureuse de constater qu’il paraissait soulagé.

— Ce serait possible, dit-il. Oui, nous en discuterons au Conseil. Je vous soutiendrai.

— Merci, dit Serpent.

Elle avait peine à croire qu’à la fin des fins les gens de la cité allaient accéder à la requête d’une guérisseuse.

— Vous pourriez nous aider plus que vous ne croyez, dit-elle. Si nous arrivons à améliorer nos techniques nous n’aurons pas à nous soucier d’acquérir de nouveaux serpents du rêve. Nous pourrons plus facilement les obtenir par clonage.

Le frère de Jesse s’était rembruni. Serpent se tut, déconcertée par ce brusque changement.

— Vous auriez la reconnaissance des guérisseurs, enchaîna Serpent, ne sachant quel impair elle avait pu commettre et comment le réparer. Et, ajouta-t-elle, la reconnaissance de tous ceux qui profitent de nos services.

— Par clonage ! Qu’est-ce qui vous fait croire que nous vous aiderions à produire des clones ?

— Je croyais que vous et Jesse…

Craignant d’accroître l’irritation de son interlocuteur, Serpent se reprit :

— Je supposais simplement qu’avec votre technologie avancée…

— Vous parlez de manipulation génétique, dit le frère de Jesse, livide. Utiliser nos connaissances à fabriquer des monstres !

— Quoi ? dit la guérisseuse, étonnée.

— Les manipulations génétiques… Non, merci. Nous avons eu assez d’ennuis avec les mutations pour ne pas les provoquer artificiellement ! Vous devriez vous estimer heureuse de n’avoir pas pu entrer. Il aurait fallu que je vous dénonce. Vous auriez passé votre vie en exil avec toute la clique des autres anormaux.

Serpent fixait sur l’écran l’image de cet homme qui d’interlocuteur rationnel, devenait accusateur. S’il ne formait pas un clone avec Jesse, il fallait alors qu’il y eût dans cette famille un degré de consanguinité tel qu’il dût en résulter d’inévitables difformités faute de manipulations génétiques. Pourtant il prétendait que les gens de la cité se refusaient cette facilité.

— Ma famille ne veut rien devoir à une anormale, dit-il sans regarder la jeune femme, les mains occupées à quelque chose.

Des pièces de monnaie cliquetèrent dans la fente du distributeur placée sous l’écran.

— Prenez votre argent et filez !