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Serpent redescendit à la source et plongea l’outre juste sous la surface du liquide argenté. L’eau y pénétra avec des glouglous et des bulles et, fraîche et vive, inonda ses mains, traversa ses doigts. L’eau, en montagne, était douée d’une vie différente. L’outre se gonfla. Après en avoir fermé le goulot par deux demi-clés, Serpent la chargea sur son épaule.

Melissa n’avait pas regagné le camp. Pendant quelques minutes sa mère s’occupa à préparer un repas. Il s’agissait de faire tremper des aliments secs, opération qui ne modifiait ni leur aspect ni leur goût, mais les rendait dans une faible mesure, plus faciles à mastiquer. Elle déplia les couvertures. Elle ouvrit le sac à serpents, mais Brume ne daigna pas sortir. Le cobra restait souvent dans son logement obscur après une longue étape, et devenait irritable lorsqu’on le dérangeait.

Serpent était inquiète de ne pas voir Melissa, et pourtant, elle savait bien que sa fille n’était pas une mauviette et qu’elle savait faire preuve d’indépendance. Plutôt que de libérer Sable ou d’examiner la vipère, tâche qu’elle n’appréciait guère, elle referma la sacoche et se leva pour appeler sa fille. Soudain, les chevaux firent un violent écart et renâclèrent de peur, et Melissa cria : « Serpent ! Attention ! » d’une voix terrifiée, tandis que des roches mêlées de boue dévalaient avec fracas le versant de la colline.

Serpent se précipita vers sa fille, son couteau à moitié dégainé, car un bruit de lutte lui parvenait. Après avoir contourné un rocher, elle s’arrêta net.

Melissa se débattait violemment sous l’étreinte d’un grand individu en robe de désert, d’une pâleur cadavérique. D’une main il lui fermait la bouche, de l’autre il lui immobilisait les bras. Elle se débattait et donnait à son agresseur des coups de pied auxquels il semblait parfaitement indifférent.

— Dites-lui d’arrêter, dit-il. Je ne lui ferai pas de mal.

Il parlait d’une voix pâteuse et en avalant les mots comme un ivrogne. Sa robe était déchirée et maculée, ses cheveux hérissés. L’iris de ses yeux semblait plus pâle que leur blanc injecté de sang, ce qui lui donnait un air éteint et comme inhumain. Serpent reconnut immédiatement le fou, avant même d’avoir vu la bague qui lui avait entaillé le front lorsqu’il l’avait attaquée dans les rues de La Montagne.

— Lâchez-la.

— Je vous propose un marché. Un marché honnête.

— Nous n’avons pas grand-chose, mais nous vous l’offrons. Que voulez-vous ?

— Votre serpent du rêve. C’est tout.

Melissa recommença à se débattre et son agresseur accentua la rigueur de son étreinte.

— D’accord, dit Serpent. Je n’ai pas le choix. Il est dans ma sacoche.

Sans lâcher Melissa, il suivit Serpent. Le mystère était percé, mais au prix d’un nouveau mystère.

Serpent désigna la sacoche.

— Compartiment supérieur, dit-elle.

Le fou s’avança. Il marchait de côté en entraînant Melissa avec lui. Il porta la main au fermoir, puis la retira brusquement.

— Ouvre, dit-il à Melissa. Toi, tu ne risques rien.

Sans regarder Serpent, l’enfant avança la main vers le fermoir. Elle était très pâle.

— Arrêtez, dit Serpent. Il n’y a rien dans ce compartiment.

Melissa laissa retomber la main et se tourna vers Serpent. Son visage exprimait un mélange de soulagement et de peur.

— Lâchez-la, répéta Serpent. Si c’est le serpent du rêve que vous voulez, je ne puis rien pour vous. Il a été tué avant même que vous ayez découvert ma tente.

Les yeux en vrille, il fixa la guérisseuse, puis se tourna vers le sac aux serpents. Il en fit sauter la fermeture puis le renversa d’un coup de pied.

La grotesque vipère des sables sortit en mouvements saccadés, se tortillant et sifflant. Elle leva la tête un instant comme si elle méditait de se venger de sa captivité. Melissa et le fou étaient figés. Finalement le reptile les contourna pour filer vers les rochers. Serpent fit un bond pour arracher sa fille aux mains du fou, qui ne s’en aperçut même pas.

— Je suis roulé ! cria-t-il, et levant les mains au ciel, il partit d’un rire convulsif. « C’est pourtant ce qu’il me fallait ! continua-t-il. » Riant et pleurant, le visage inondé de larmes, il s’effondra sur le sol.

Serpent se précipita vers les rochers, mais la vipère avait disparu. Menaçante, étreignant la poignée de son couteau, elle se dressa au-dessus du fou. Déjà rares dans le désert, les vipères étaient inexistantes sur les collines. Il n’était plus question d’élaborer un vaccin pour le clan d’Arevin, et elle devrait se présenter à ses maîtres les mains vides.

— Debout ! dit-elle d’une voix rude.

Elle jeta un coup d’œil à Melissa.

— Ça va ?

— Oui, dit Melissa. Mais il a laissé échapper cette vipère.

Le fou, gisant toujours comme un paquet de linge, pleurait tout son saoul.

— Qu’est-ce qu’il a ? dit la fillette, se tenant aux côtés de sa mère et scrutant l’homme en sanglots.

— Je ne sais pas, dit Serpent, et elle lui donna un petit coup de pied dans les côtes. Eh là ! fit-elle, arrêtez ça. Debout !

L’homme s’agitait faiblement, toujours à terre. Ses poignets sortaient de manches effrangées ; ses bras et ses mains étaient comme des branches dénudées.

— Un pareil minable, j’aurais dû pouvoir lui échapper, dit Melissa, écœurée.

— Il est plus fort qu’il n’y paraît. Pour l’amour de Dieu, arrêtez votre musique, dit Serpent. Nous n’allons rien vous faire.

— Je suis déjà mort, murmura-t-il. Vous étiez ma dernière chance, alors je suis mort.

— Dernière chance de quoi ?

— De bonheur.

— Il est beau votre bonheur, si ça consiste à tout casser et à vous jeter sur les gens, dit Melissa.

Le fou leur lança un regard furieux ; son visage squelettique, buriné de rides profondes, ruisselait de larmes.

— Pourquoi êtes-vous revenue ? Je ne pouvais plus vous suivre. Je voulais rentrer au pays pour y mourir, si cela m’était permis. Mais vous êtes revenue. Droit sur moi.

Il enfouit son visage dans les manches en lambeaux de sa robe. Il avait perdu son foulard de tête. Ses cheveux étaient bruns et secs. Il avait cessé de sangloter mais ses épaules tremblaient.

Serpent s’agenouilla pour l’aider à se lever. Elle eut à supporter le plus gros de son poids. Melissa se tint d’abord prudemment à l’écart, puis haussant les épaules, vint à la rescousse. Tandis qu’elle continuait à soutenir le misérable, Serpent sentit sous ses vêtements quelque chose de dur et d’anguleux. Le tournant face à elle, elle ouvrit sa robe crasseuse pour le fouiller.

— Que faites-vous ? Arrêtez !

Il se débattit comme un beau diable, faisant des moulinets de ses bras osseux, essayant de ramener ses vêtements sur son corps décharné.

Serpent trouva sa poche intérieure, tâta l’objet qu’elle contenait et identifia aussitôt son journal. Elle s’en saisit et lâcha le voleur. Il recula d’un ou deux pas, tout tremblant, et remit fébrilement en place les plis de son vêtement. Etreignant son bien, Serpent semblait avoir oublié l’existence du fou.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda Melissa.

— Le journal de mon année probatoire. Il l’a volé dans ma tente.

— Je voulais le jeter, dit le maniaque. J’avais oublié que je l’avais sur moi.

Serpent le foudroya des yeux.

— J’avais pensé que ça pourrait m’être utile, mais non ! Je n’ai rien pu en tirer.

Serpent soupira.