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Les gardiens du troupeau lui firent signe de la main, se dirigeant vers lui au petit galop et immobilisèrent leurs montures dans un style flamboyant. Ils étaient jeunes, bronzés, les cheveux blond cendré coupés court ; ils avaient un air de famille. À La Montagne Arevin s’était senti dépaysé ; sa robe de désert détonnait mais cela, pensait-il, parce qu’on l’avait pris pour le fou. Une fois les choses tirées au clair, il n’avait pas jugé nécessaire de changer de tenue. Mais à présent, après l’avoir dévisagé, les deux jeunes se regardèrent avec un large sourire. Il se demanda s’il n’aurait pas dû s’acheter d’autres vêtements. Mais il avait peu d’argent, et il voulait le réserver aux seuls achats indispensables.

— Tu es loin des routes commerciales, dit le plus âgé des gardiens. (Son ton n’était pas agressif, il formulait un simple constat.) As-tu besoin d’aide ? ajouta-t-il.

— Non, dit Arevin. Mais je te remercie.

Les caribous domestiques tournaient autour de lui ; ils semblaient, par leurs petits bruits, converser entre eux, à la manière des oiseaux plutôt que comme des mammifères à sabots. La jeune gardienne du troupeau cria « houp ! » en agitant les bras et ses bêtes se dispersèrent dans toutes les directions. Les bœufs musqués, pensa Arevin, auraient eu une autre réaction : en voyant un homme agiter ainsi les bras ils se seraient dirigés tranquillement vers lui pour voir à quoi il jouait.

— Tudieu, Jean, tu vas faire fuir toutes les bêtes d’ici jusqu’à La Montagne.

Mais il ne semblait pas s’inquiéter pour les caribous. De fait ils se rassemblèrent en un groupe compact un peu plus bas sur la piste. Une fois de plus Arevin fut frappé par la facilité avec laquelle on révélait son nom personnel en ce pays ; une habitude à prendre, pensa-t-il.

— Pas moyen de parler avec ces bestioles autour de soi, dit la jeune fille, souriant à Arevin. C’est bien agréable de voir un visage humain, ça me change de mon horizon habituel : des caribous, des arbres… et un frère.

— Alors vous n’avez vu passer personne d’autre ?

— Pourquoi ? Tu cherches quelqu’un ?

Le jeune homme paraissait soupçonneux. Ou circonspect ? Avait-il rencontré Serpent ? Arevin, lui aussi, n’hésiterait pas à poser des questions indiscrètes à un étranger lorsqu’il s’agissait de protéger une guérisseuse. D’ailleurs que ne ferait-il pas pour Serpent ?

— Oui, dit-il. Une guérisseuse. Une amie. Elle a un cheval gris ; elle est accompagnée d’une enfant qui monte un poney tigré. Revenant du désert, elle se dirigerait vers le nord.

— Eh bien, non.

— Jean !

Jean regarda son frère d’un air réprobateur.

— Kev, il n’a pas l’air d’un gars qui lui voudrait du mal. Peut-être qu’il la cherche pour qu’elle aille soigner quelqu’un.

— Et s’il était ami avec le fou ? dit le frère. Pourquoi la cherches-tu ? demanda-t-il à Arevin.

— Je suis un ami de la guérisseuse, répéta Arevin, rempli d’inquiétude. Avez-vous vu le fou ? Il n’a pas fait de mal à Serpent ?

— C’est un bon gars, dit Jean à Kev.

— Il n’a pas répondu à ma question.

— Il a dit qu’il était son ami. Est-ce que ça te regarde, après tout ?

— Non, votre frère fait bien de me questionner, dit Arevin. Il en a peut-être l’obligation. Je cherche Serpent parce que je lui ai révélé mon nom.

— Comment t’appelles-tu ?

— Kev ! dit Jean choquée.

Arevin sourit pour la première fois. Il commençait à s’habituer aux manières brusques.

— Ce n’est pas une chose que j’irais vous révéler, ni à l’un ni à l’autre, dit-il d’un ton affable.

Kev, gêné, prit un air sombre.

— Nous savons nous conduire, dit Jean. Mais à force de vivre ainsi isolé, on oublie les bonnes manières.

— Ainsi donc vous avez vu Serpent, dit Arevin, la voix un peu tendue par la surexcitation et la joie. Récemment ?

— Hier, dit Kev. Mais elle n’allait pas dans cette direction.

— Elle allait vers le sud, dit Jean.

— Le sud !

— Oui. Nous étions en train de rassembler le bétail avant la neige. Nous l’avons rencontrée en redescendant des alpages. Elle nous a acheté un des chevaux de trait pour le fou.

— Mais que fait-elle avec lui ? Il l’a attaquée ! Vous êtes sûrs qu’il ne la forçait pas à le suivre ?

Jean éclata de rire.

— Oh, que non, Serpent tenait les commandes ! Sans l’ombre d’un doute.

Arevin ne mettait pas sa parole en doute, il était donc en grande partie rassuré. Mais une chose l’inquiétait.

— Le sud, dit-il. Qu’y a-t-il vers le sud ? Je croyais qu’il n’y avait pas de villes dans cette direction.

— C’est exact. D’ailleurs nous avons été surpris de la voir. Presque personne n’emprunte ce col. Et elle ne nous a pas dit où elle allait.

— Personne ne va jamais plus loin au sud que nous, dit Kev. C’est dangereux.

— En quoi est-ce dangereux ?

Kev haussa les épaules.

— Vous voulez la rejoindre ? demanda Jean.

— Oui.

— Bien. Mais il est temps de camper pour la nuit. Voulez-vous rester avec nous ?

Arevin jeta un regard vers le sud. De fait les ombres des montagnes envahissaient la clairière, le crépuscule était proche.

— Tu ne peux pas aller bien loin ce soir, c’est vrai, dit Kev.

— Et tu ne trouverais pas de meilleur campement à moins d’une demi-journée de marche.

Arevin soupira.

— Entendu, dit-il. Merci. Je vais camper ici cette nuit.

Arevin appréciait la chaleur du feu qui pétillait au milieu du camp, la bonne odeur de bois brûlé, le crépitement des étincelles. Les caribous formaient une troupe indistincte, parfaitement silencieuse, au centre de la prairie. Les chevaux tapaient du pied de temps à autre ; ils paissaient bruyamment, arrachant de leurs dents les tendres brins d’herbe. Enveloppé dans ses couvertures Kev dormait déjà, près de la lumière du feu, ronflant légèrement. Jean était assise, les genoux repliés sur la poitrine, le visage empourpré par le feu de camp, qui la séparait d’Arevin.

— Je vais dormir, dit-elle. Et toi ?

— Oui. Dans un moment.

— Puis-je faire quelque chose pour loi ?

Arevin leva les yeux.

— Vous avez déjà fait beaucoup, dit-il.

Elle le regarda avec curiosité.

— Ce n’est pas exactement ce que je voulais dire.

Le ton de sa voix n’exprimait pas tout à fait la contrariété ; il était plus doux mais suffisamment transformé pour qu’Arevin sût que quelque chose n’allait pas.

— Je ne comprends pas, dit-il.

— Alors comment dit-on chez vous ? Tu me plais. Je te demande si tu aimerais partager un lit avec moi cette nuit.

Impassible, Arevin soutint le regard de Jean, mais il était gêné. Il ne rougissait pas, du moins l’espérait-il. Cette même question, Thad et Larril la lui avaient déjà posée, et il ne l’avait pas comprise. Il leur avait opposé un refus cavalier et ils avaient dû le juger pour le moins discourtois. Arevin avait un espoir, c’est qu’ils se soient rendu compte qu’il ne les avait pas compris faute de partager leurs coutumes.

— Je suis saine, si c’est là ce qui t’inquiète, dit Jean non sans rudesse. Et mon biocontrôle est excellent.

— Je vous demande pardon, dit Arevin. Je ne vous avais pas du tout comprise. Je suis honoré par votre invitation et je n’ai douté ni de votre santé, ni de votre contrôle. En ce qui me concerne vous n’auriez nulle inquiétude à avoir à cet égard. Je ne voudrais pas vous offenser mais je dois répondre non.