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— N’en parlons plus, dit Jean. C’était une idée comme ça.

Arevin la sentait blessée. Désolé d’avoir découragé Thad et Larril avec une telle brusquerie, sans le vouloir, il pensait qu’il devait à Jean, pour le moins, une explication. Mais il n’était pas sûr de pouvoir faire comprendre ses sentiments, ni même de les bien comprendre lui-même.

— Je vous trouve très séduisante, dit Arevin. Je ne voudrais pas que vous vous mépreniez sur mon compte. Je trouverais déloyal de m’unir à vous parce que mes pensées seraient… ailleurs.

Jean le regarda à travers les ondes de chaleur du feu.

— Je peux réveiller Kev si tu veux.

Arevin fit un signe de tête négatif.

— Non, mes pensées seraient ailleurs que dans ce camp.

— Oh ! dit Jean, pour qui, soudain, tout devenait limpide. Je comprends. Rien à dire. J’espère que tu vas bientôt la retrouver.

— J’espère que je ne vous ai pas offensée.

— Mais non, ça va, dit Jean, comme avec un vague regret. Je suppose que ça ne changera rien si je te dis que je ne cherche pas une liaison durable ? Ou même que je n’attendrai rien de toi après cette nuit ?

— Non, dit Arevin, cela ne change rien. Je suis désolé.

— Ça va, répéta-t-elle, et elle s’installa près du feu avec sa couverture. Dors bien.

Plus tard, enroulé dans ses couvertures, qui ne le protégeaient que chichement du froid, Arevin songea au plaisir qu’il aurait à dormir au chaud avec une autre personne. Il avait eu maintes liaisons passagères dans son clan et dans les clans voisins, mais Serpent avait été la première femme dont il pût envisager de faire sa partenaire. Depuis qu’il la connaissait, aucune autre n’avait éveillé en lui le moindre désir ; le plus étrange, c’est qu’il ne l’avait même pas remarqué. Couché sur le sol dur, et remuant toutes ces pensées, il essayait de ne pas perdre de vue que Serpent, à part une brève caresse et quelques mots ambigus, ne lui avait donné aucun indice qu’elle éprouvât pour lui plus qu’une attirance superficielle. Mais l’espoir lui était permis.

Serpent resta longtemps sans bouger ; en fait elle s’en croyait incapable. Elle attendait à chaque instant la venue du jour, mais la nuit s’éternisait. Peut-être North avait-il fait boucher la crevasse pour la maintenir dans les ténèbres ; mais non, c’était une idée absurde : North voudrait certainement voir sa prisonnière pour la narguer.

Elle était plongée dans ces pensées lorsqu’une faible lueur miroita au-dessus d’elle. Elle leva les yeux, mais tout n’était qu’ombres et formes confuses, bruits étranges qui s’intensifiaient. Des cordes et du bois raclèrent le mur de la crevasse et Serpent se demanda quel pauvre infirme, un de plus, était venu se réfugier chez North. Elle vit alors une plateforme descendre vers elle sans heurts au moyen de cordes et de poulies, et sur cette plate-forme North en personne. Elle ne pouvait ni serrer Melissa plus fort dans ses bras, ni la cacher, ni lutter pour la défendre. Les lampes de North illuminaient la fosse, éblouissant la jeune femme.

Il descendit de la plate-forme, flanqué de deux hommes munis de lanternes. Des jeux d’ombres ondulaient sur les murs. Lorsque North fut assez proche, la lumière l’enveloppa avec Serpent, et elle put voir son visage. Il lui sourit.

— Mes serpents du rêve vous aiment, dit-il, indiquant d’un geste de la tête les reptiles lovés autour de ses jambes. Mais il ne faut pas être égoïste et tout garder pour vous.

— Melissa n’en veut pas.

— Je dois dire que je n’attendais guère de vous une telle lucidité.

— Je suis guérisseuse.

North fronça les sourcils, hésitant.

— Ah, je vois. C’est vrai, j’aurais dû y penser. Vous devez être très résistante, je suppose.

Sur un signe, ses acolytes posèrent leurs lanternes et se dirigèrent vers Serpent. La lumière éclairait le visage de North par en dessous, projetant d’étranges ombres noires sur ce masque blanc comme un linge. Serpent, le dos au mur, ne pouvait échapper aux deux hommes ; ils marchaient avec précaution parmi les pierres coupantes et les serpents du rêve. À la différence de Serpent ils étaient lourdement chaussés. L’un d’eux avança le bras pour lui prendre Melissa. Serpent senti les serpents se délover de ses chevilles et les entendit glisser sur le roc.

— N’approchez pas, cria la jeune femme.

Mais une main décharnée s’employait à lui arracher Melissa. Serpent se lança tête baissée sur l’homme et le mordit. C’était la seule parade qui lui vint à l’esprit. Elle sentit ses dents s’enfoncer dans la chair froide jusqu’aux os, puis un goût de sang chaud. Elle eût aimé avoir des dents plus acérées avec des canalicules à venin. Mais en l’occurrence tout ce qu’elle pouvait espérer, c’était que la plaie s’infectât.

Son adversaire se jeta en arrière avec un glapissement, dégageant sa main tandis que Serpent recrachait son sang. Puis, en une agitation confuse tout se brouilla ; la guérisseuse se sentit empoignée par les cheveux, les bras, les vêtements, et immobilisée tandis qu’on lui arrachait Melissa. North, ses longs doigts entortillés dans sa chevelure, lui maintenait la tête contre le mur pour l’empêcher de mordre à nouveau. Elle fut délogée de l’extrémité étroite de la crevasse. Se débattant, se relevant en titubant, elle vit un des fidèles de North emmener Melissa vers la plate-forme. North, la tirant par les cheveux, la fit reculer. Ses genoux cédèrent. Elle tenta de se lever, mais elle n’avait plus aucune arme de combat, plus aucune force pour surmonter épuisement et traumatisme. La main gauche sur l’épaule droite, sentant gicler le sang à travers ses doigts, elle s’affaissa.

North lui lâcha les cheveux et rejoignit Melissa pour l’examiner, regarder ses yeux, tâter son pouls. Il se retourna vers la guérisseuse.

— Je vous avais dit de ne pas l’éloigner de mes créatures.

Serpent leva la tête.

— Pourquoi voulez-vous la tuer ?

— La tuer ! Vous ne savez pas le dixième de ce que vous croyez savoir. C’est vous qui mettez sa vie en péril.

Il lâcha Melissa et revint vers sa mère. S’étant baissé pour capturer plusieurs serpents, il les mit dans un panier, les tenant avec précaution pour ne pas être mordu.

— Il faut que je la sorte d’ici pour lui sauver la vie. Elle ne vous pardonnera pas d’avoir gâché sa première expérience. Quelle arrogance vous affichez, vous autres guérisseurs !

Serpent se demanda s’il ne venait pas de viser juste ; si oui, peut-être disait-il vrai sur toute la ligne, notamment à propos de Melissa. Elle se sentait l’esprit trop affaibli pour discuter avec cet homme.

— Soyez bon pour elle, murmura-t-elle.

— Ne vous inquiétez pas, dit North. Elle sera heureuse avec moi.

Il fit signe à ses deux séides. Ils se dirigèrent vers Serpent qui tenta de se lever pour leur opposer une ultime résistance. Elle avait un genou à terre lorsque l’homme qu’elle avait mordu l’empoigna par le bras droit et la mit debout, non sans lui déchirer l’épaule une fois de plus. L’autre la soutenait du côté gauche.

North se pencha sur elle, un serpent à la main.

— Jusqu’à quel point es-tu certaine d’être immunisée, guérisseuse ? Vas-tu aussi faire preuve d’arrogance à cet égard ?

Un des hommes fléchit la tête de Serpent en arrière pour exposer sa gorge. North était si grand qu’elle le voyait abaisser vers elle le serpent du rêve.

Ses crochets s’enfoncèrent dans son artère carotide. Rien ne se produisit. Elle savait qu’il en serait ainsi. Elle espérait que North, édifié, la laisserait tranquille, la laisserait se coucher sur la rocaille froide et coupante pour s’y endormir, quitte à ne jamais se réveiller. Elle était trop épuisée pour continuer la lutte, trop épuisée pour réagir lorsque le complice de son tortionnaire desserra son étreinte. North ramassa un second serpent et l’approcha de sa gorge.