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Lorsqu’il la mordit, elle sentit une douleur fulgurante irradier de son cou dans tout son corps. Elle reprit son souffle lorsque s’apaisa la douleur, la laissant toute tremblante.

— Ah, dit North, la guérisseuse commence à nous comprendre.

Il hésita un moment, observant sa victime.

— Encore un, peut-être. Oui.

Lorsqu’il se courba de nouveau sur Serpent, son visage était dans l’ombre, et la lumière faisait un halo sur ses fins cheveux pâles. La jeune femme voulut reculer mais les deux acolytes de North lui serraient les bras toujours aussi fort, comme hypnotisés par le regard noir du serpent. La guérisseuse plongea, la tête en avant, se libérant un instant ; mais elle sentit aussitôt des doigts s’enfoncer dans sa chair comme des serres, l’homme qu’elle avait mordu poussant un grognement furieux. Il la rejeta en arrière, lui tordant le bras droit d’une main et enfonçant les ongles de l’autre main dans son épaule blessée.

North, qui s’était éloigné de cette bousculade, revint vers Serpent.

— Pourquoi résister, guérisseuse ? Ne te refuse pas les plaisirs que dispensent mes créatures.

Il porta à sa gorge le troisième serpent du rêve. Le reptile frappa.

Cette fois la douleur irradia dans tout son corps comme précédemment, mais à peine s’était-elle apaisée qu’un nouveau battement du pouls l’inonda d’une deuxième vague d’atroce souffrance. Serpent cria.

— Ah, dit North. Je crois qu’elle a compris.

— Non, murmura-t-elle.

Elle s’imposa le silence. Elle ne voulait pas donner à North la satisfaction de l’entendre gémir.

Les deux hommes la relâchèrent et elle tomba en avant, essayant d’amortir le choc de sa main gauche. Cette fois la douleur, loin de s’apaiser, ne fit que s’intensifier, répercutée comme un écho dans les gorges profondes de son corps, s’amplifiant comme par un phénomène de résonance. Chaque battement de son cœur faisait frémir Serpent. Alors qu’elle essayait de reprendre son souffle entre les spasmes de sa torture, elle s’affaissa sur le roc froid et dur.

L’aube filtrait dans la crevasse. Serpent gisait dans la position qu’elle avait prise lors de sa chute, un bras allongé devant elle. La gelée saupoudrait d’argent sa manche élimée. Les fragments de roche jonchant le sol étaient recouverts d’une épaisse couche de cristaux de glace, qui grimpaient aussi sur la paroi de la fosse. Fascinée par les motifs qu’ils formaient, délicate dentelle, Serpent s’absorba dans leur contemplation. Ils devinrent alors tridimensionnels. Elle était dans une forêt préhistorique où mousses et fougères se dessinaient en blanc sur fond noir. Ça et là des pistes humides traversaient les motifs décoratifs, ce qui avait pour effet de les réduire brutalement à deux dimensions en leur donnant un aspect nouveau, plus tranché. Les lignes sombres semblaient être des pistes de serpents du rêve ; pure illusion car Serpent savait bien qu’aucun de ces reptiles ne pouvait être assez actif pour ramper sur un sol glacé. Peut-être North, pour les préserver, les avait-il placés dans un lieu plus chaud.

Au moment même où elle formulait cet espoir, elle entendit le bruissement feutré d’écailles glissant sur la pierre. Un serpent, au moins un, avait été oublié. Elle en fut réconfortée : elle n’était pas entièrement seule.

Il fallait que ce fût une bête résistante, pensa-t-elle.

Peut-être était-ce le gros serpent qui l’avait mordue, un animal assez grand pour faire provision de chaleur. Ouvrant les yeux, elle voulut étendre le bras vers l’endroit d’où venait le bruit. Sa main allait-elle lui obéir ? C’est alors qu’elle vit les serpents.

Car il en restait plus d’un. Deux d’entre eux, non, trois, s’entortillaient les uns sur les autres à portée de sa main. Aucun d’eux n’était le gros serpent ; ils ne dépassaient guère la taille de Sève. Ils se tortillaient et se lovaient les uns sur les autres, dessinant sur la gelée blanche de sombres hiéroglyphes que Serpent ne pouvait déchiffrer. Ils avaient une signification, elle en était certaine, mais la clé lui faisait défaut. Elle ne découvrait qu’une partie du message dans son champ de vision, aussi, lentement et avec raideur, elle tourna la tête pour voir comment s’enchaînaient les pistes mystérieuses. Elle n’avait qu’une vue liminale des serpents du rêve ; ils se frottaient les uns sur les autres, leurs corps formant comme des hélices à triple spirale.

Ils devaient être en train de mourir de froid, c’était là sans doute la clé de l’énigme ; il était urgent d’appeler North à leur secours. Elle s’accouda sur le sol, mais ne put se lever. Elle s’épuisa vainement et tenta de crier mais elle fut submergée par une vague de nausée. North et ses créatures… Serpent voulut vomir mais elle avait l’estomac vide, rien ne pouvait en être expulsé pour la soulager de son écœurement. Elle était encore sous l’effet du venin.

La douleur lancinante s’était atténuée en une souffrance sourde, pulsative. Elle la refoula, se força à la sentir de moins en moins, mais elle ne put mobiliser longtemps l’énergie nécessaire. Vaincue, elle s’évanouit de nouveau.

Serpent sortit du sommeil, et non d’un évanouissement. Son mal était toujours là mais elle sut qu’elle l’avait vaincu lorsqu’elle eut fait taire ses blessures une à une, et la souffrance ne revint pas. Elle était toujours libre, et North ne pouvait l’asservir au moyen de ses serpents. Le fou lui avait décrit l’extase qu’ils procuraient, et Serpent constatait que leur venin n’avait pas eu sur elle le même effet que sur les fidèles de North. Le devait-elle à son immunité de guérisseuse ou à la force de sa volonté ? Peu lui importait d’ailleurs.

Elle comprenait pourquoi North avait été si certain que Melissa n’allait pas mourir de froid. Il faisait toujours aussi glacial, Serpent s’en rendait compte, et pourtant elle avait chaud, elle se sentait même fiévreuse. Elle ignorait combien de temps son organisme pourrait supporter un métabolisme accéléré, mais elle sentait son sang circuler dans son corps et elle savait qu’elle n’avait à craindre aucune gelure.

Elle se rappela les serpents du rêve incroyablement actifs sur le sol paré des joyaux du gel.

Tout cela n’était qu’un rêve, pensa-t-elle.

Mais, promenant les yeux autour d’elle, elle vit, parmi les obscurs hiéroglyphes des pistes reptiliennes, un trio de petits serpents lovés les uns sur les autres. Puis un second trio, puis un troisième. Et soudain, en une illumination enchantée, elle comprit le message que cherchaient à lui communiquer ce lieu et les créatures qui le hantaient. Elle était comme la représentante de toutes les générations de guérisseurs, envoyée là à dessein pour y recueillir un don précieux.

Tout en s’étonnant du temps qu’il avait fallu pour percer le secret des serpents du rêve, elle en comprenait maintenant la raison. À présent qu’elle avait jugulé l’effet du venin, elle pouvait déchiffrer les hiéroglyphes. Et cela dépassait de loin le simple spectacle de multiples triades de serpents du rêve copulant sur les pierres glaciales.

Les guérisseurs, comme tout le monde sur cette terre, étaient trop égocentrés, trop introspectifs. C’était peut-être inévitable en raison de l’isolement auxquels ils étaient condamnés. Mais ce défaut avait nui à leur perspicacité ; à force de protéger les serpents du rêve, ils les avaient empêchés de venir à maturité. Cela aussi, c’était inévitable : on ne pouvait risquer d’expérimenter sur des animaux aussi précieux. Il était plus sûr de s’en remettre à des opérations de clonage par transplantation de noyaux pour en obtenir quelques-uns, plutôt que de mettre en péril la vie de ceux qui étaient utilisés par les guérisseurs.