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Un caillou rond se détacha sous son pied. Elle glissa et tomba de travers. Elle tenta d’agripper le mur pour se remettre en bonne position. Le roc lui écorcha les coudes et le dos. Elle tomba brutalement à terre. Le souffle coupé, elle essaya de se lever, puis resta couchée, immobile. Chute et remontée se succédaient en images rétiniennes miroitantes. Lorsqu’elles se furent enfin calmées, elle inspira profondément et se releva. Son genou malade tremblait légèrement sous le choc.

Heureusement, elle n’était pas tombée sur les serpents. Mettant la main à la poitrine elle sentit le nouveau-né se mouvoir librement. Serrant les dents, Serpent se plaqua le dos au mur une seconde fois. Elle recommença à se hisser contre la paroi, avec plus de précautions cette fois, tâtant le terrain avant d’exercer une pression sur un nouvel endroit. Le roc lui éraflait le dos et ses mains étaient glissantes de sueur. Elle s’imposait un effort continu nourri par des images de succès : elle allait sortir la tête hors de sa prison, fouler un sol dur, voir de larges horizons. Elle entendit un bruit et se figea. Ce n’est rien, pensa-t-elle. Le choc de deux pierres. Les roches volcaniques ont le don de paraître vivantes lorsqu’elles s’entrechoquent.

Les muscles de ses cuisses tremblaient. Les yeux lui piquaient et une sueur miroitante obscurcissait sa vue.

Le bruit revint, plus net. C’était en réalité un bruit de voix, et l’une d’entre elles était celle de North.

Prête à sangloter de déception, Serpent redescendit. C’était aussi dur que de monter. Et il lui parut s’écouler un temps interminable avant qu’elle fût assez bas pour sauter à terre. Son dos, ses mains, ses pieds frottèrent sur la pierre. Le bruit, dans cet espace clos, était à ce point amplifié que North allait très certainement l’entendre. Une pierre dégringola avec fracas sur la paroi de la crevasse. Serpent se jeta à terre et se mit en boule autour du sac de serpents. Elle s’immobilisa et, par un effort de volonté héroïque, s’imposa de réprimer les tremblements et les halètements dus à l’intensité de son effort, et de respirer calmement comme si elle dormait encore.

Les yeux mi-clos, elle voyait une ombre la couvrir.

— Guérisseuse !

Serpent resta immobile.

— Guérisseuse, réveille-toi !

Elle entendit le frottement d’une botte sur des pierres. Une pluie de rocaille s’abattit sur elle.

— Elle dort encore, North, dit le fou. Comme tout le monde sauf vous et moi. Dormons, North. S’il vous plaît, laissez-moi dormir.

— Tais-toi. Il ne reste plus de venin. Les serpents sont épuisés.

— Ils pourraient bien me mordre une dernière fois. Ou bien permettez-moi de descendre en attraper un autre. Un bon gros serpent. Et alors je pourrais m’assurer que la guérisseuse dort réellement.

— Que m’importe qu’elle dorme ou non !

— Méfiez-vous d’elle, North. Elle est sournoise. C’est par la ruse qu’elle a obtenu de moi que je l’amène ici.

La voix du fou s’éloigna ainsi que les pas des deux hommes. Pour autant que Serpent pût en juger, North ne daigna pas répondre à son compagnon.

Elle fit le minimum de mouvements nécessaires pour tâter sa poche de chemise. Le serpent nouveau-né était, par bonheur, indemne ; elle le sentait remuer lentement et calmement. Elle se prit à croire que si jamais elle sortait vivante de la crevasse, le serpenteau aurait la même chance. Ou peut-être fallait-il inverser les termes de cette hypothèse. Sa main tremblait ; elle la retira pour ne pas effrayer l’animal. Se mettant lentement sur le dos, elle regarda le ciel. La sortie de la crevasse lui paraissait à une distance énorme, comme si chacune de ses tentatives pour en escalader les murs avait eu pour effet d’en accroître la hauteur. Une larme chaude coula du coin de son œil sur sa chevelure.

Elle s’assit d’un seul coup. Il lui fut plus malaisé de se lever. Lorsqu’elle fut enfin debout entre les parois rapprochées de la crevasse, elle fixa la surface rocheuse qui lui faisait face. Son dos écorché frottait contre la pierre et sa plaie à l’épaule pouvait à tout instant se rouvrir. Sans lever les yeux, elle mit un pied sur le mur, se cala solidement, s’arc-bouta au moyen de l’autre pied et reprit son escalade.

Au cours de sa lente ascension, elle sentait sa chemise se déchirer sous ses épaules. Son sac à serpents s’éleva de terre et frotta contre le mur au-dessous d’elle. Il se mit à osciller ; il était juste assez lourd pour compromettre son équilibre. Elle s’arrêta, formant comme un pont suspendu entre nulle part et nulle part, pour laisser aux oscillations du pendule le temps de s’amortir. Les muscles de ses jambes se tendirent au point qu’elle sentait à peine le contact du roc contre son pied. Elle ne savait pas à quelle distance elle se trouvait de la sortie. Elle ne voulait pas le savoir.

Elle avait dépassé la hauteur atteinte précédemment ; là les parois de la crevasse s’écartaient, ce qui rendait plus malaisé son mode de progression. Car si peu qu’elle montât, il lui fallait allonger les jambes davantage pour s’assurer une nouvelle prise. Elle n’était plus maintenue que par ses épaules, ses mains pressant le roc, et la pointe de ses pieds. Elle était presque à la limite de ses forces. Sous sa main droite le roc était humide de sang. Elle fit un dernier effort pour se hisser plus haut. Et brusquement sa nuque glissa sur le bord de la crevasse, et elle découvrit le sol du dôme, ses collines, le ciel. Ce changement subit lui fit perdre l’équilibre. Battant l’air de son bras gauche elle mit le coude, puis la main sur le bord de la fosse. Son corps pivota et elle chercha à prendre appui sur le sol avec sa main droite. Sa blessure à l’épaule lui causait une douleur lancinante depuis l’épine dorsale jusqu’au bout des doigts. Ses ongles creusèrent le sol, glissèrent, tinrent bon. Elle se démena pour trouver un point d’appui où poser le pied, et finit par y parvenir. Elle resta accrochée un moment à la paroi, haletante, les hanches meurtries. Dans sa poche le petit serpent nouveau-né, qui avait été comprimé mais pas au point d’être écrasé, se tortillait misérablement.

Avec le peu de force qui lui restait dans les bras. Serpent se hissa sur le bord de la fosse et reposa, pantelante, sur le sol horizontal, les jambes ballantes. Enfin, en une lente reptation, elle sortit entièrement du trou. Son sac à serpents déchiré frottait sur la pierre, le tissu s’étirait et s’effilochait. Avec douceur Serpent acheva de le faire monter jusqu’à elle. C’est alors seulement, une main sur son précieux butin et l’autre caressant le sol ferme, que Serpent put examiner les lieux pour s’assurer que nul n’avait été témoin de son évasion. Pour l’instant du moins, elle était libre.

Elle déboutonna sa poche pour jeter un coup d’œil sur le bébé serpent. Chose incroyable, il était indemne. Ayant reboutonné sa poche, elle prit un des paniers à sangles empilés au bord de la crevasse et elle y mit les serpents adultes. Elle le jeta sur son épaule, se leva en chancelant, et se mit en marche vers les tunnels encerclant le cratère.

Mais ces tunnels l’entouraient comme autant d’images d’un même souterrain, et elle ne pouvait se rappeler lequel d’entre eux l’avait amenée en ce lieu. Il se trouvait en face du grand conduit à air froid par rapport au cratère. Mais celui-ci était si vaste que trois sorties, au choix, pouvaient être la bonne.

C’est peut-être mieux ainsi, pensa la fugitive. Il est possible qu’ils utilisent toujours le même tunnel pour entrer et que j’en choisisse un autre qui soit abandonné.