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Ayant soulevé Melissa de l’épaule de sa mère, il la porta d’un bras, et soutint Serpent de l’autre.

— Oui, je suis réel. C’est bien moi !

Il aida son amie à traverser la prairie. Lorsqu’ils furent parvenus à l’endroit où était entassé le matériel de la guérisseuse, Arevin coucha Melissa sur le sol. Serpent s’agenouilla devant la sacoche à serpents et l’ouvrit d’une main tâtonnante, tremblante, pour accéder à la trousse à pharmacie.

Arevin posa une main douce sur son épaule intacte.

— Laisse-moi soigner ta blessure, dit-il.

— Ne t’inquiète pas pour moi, ça ira. C’est Melissa…

Elle leva les yeux sur lui, et fut glacée par son expression.

— Guérisseuse, dit-il, Serpent, mon amie…

Elle voulut se lever, il tenta de l’en empêcher.

— Il n’y a rien à faire.

— Rien à faire… ?

Elle parvint à se relever.

— Tu es blessée, dit Arevin en désespoir de cause. Si tu vois cette enfant maintenant, cela ne fera qu’aggraver ton mal.

— Oh, dieux ! dit Serpent, toujours retenue par Arevin. Lâche-moi !

Arevin s’écarta, surpris. Serpent ne daigna même pas s’excuser. Elle ne pouvait permettre à personne, pas même à lui, de la prendre sous sa protection : c’était trop facile, trop tentant.

Melissa était couchée à l’ombre d’un pin. Serpent s’agenouilla sur l’épais matelas d’aiguilles brunes. Arevin était debout derrière elle. La jeune femme prit la main pâle et froide de sa fille, qui resta inerte. En rampant sur le sol, elle s’était arraché les ongles, mettant la chair vive à nu. Elle avait voulu, désespérément, tenir sa promesse… Mieux que Serpent, elle avait honoré sa part du pacte qui les liait. Penchée sur sa fille, la jeune femme caressait ses cheveux roux et les écartait de ses affreuses cicatrices. Des larmes tombèrent de ses yeux sur la joue de Melissa.

— Rien à faire, répéta Arevin. Son pouls a cessé de battre.

— Chut, murmura Serpent, s’acharnant, tâtant le poignet de Melissa, puis sa gorge, croyant sentir un battement, puis certaine de s’être abusée.

— Serpent, cesse de te torturer. Elle est morte. Son corps est froid.

— Elle vit !

La jeune femme savait ce qu’Arevin pensait d’elle : le chagrin l’égare. Immobile il la fixait d’un regard triste. Elle se tourna vers lui.

— Aide-moi, Arevin. Fais-moi confiance. J’ai rêvé de toi. Je t’aime, oui, je le crois. Mais Melissa est ma fille, mon amie. Je dois tenter de la sauver.

Ses doigts sentirent le pouls fantôme. Melissa avait subi tant de morsures… Mais à l’intensité métabolique produite par le venin avait succédé, non pas un retour à la normale, mais une chute brutale des échanges organiques à un niveau à peine suffisant pour maintenir la vie. Et les facultés mentales ? Faute de soins, Melissa mourrait d’épuisement, d’hypothermie, un peu comme on meurt de froid.

— Que dois-je faire ?

Le ton déprimé d’Arevin exprimait la résignation.

— Aide-moi à la porter.

Serpent étala des couvertures sur un large rocher plat qui avait absorbé toute une journée de soleil. Tous ses gestes étaient maladroits. Arevin prit Melissa dans ses bras et la posa sur la couverture. Ayant vidé le contenu de ses sacoches de selle. Serpent poussa vers son compagnon la gourde d’eau, le réchaud à pétrole et le fait-tout. Arevin l’observait d’un air inquiet. C’est à peine si elle avait pris le temps de le regarder.

— Fais-moi chauffer de l’eau, s’il te plaît. Pas trop.

Elle joignit ses paumes en creux pour indiquer la quantité voulue. Elle attrapa le paquet de sucre dans la pharmacie.

Puis elle essaya de réveiller Melissa ; son pouls apparaissait, disparaissait, réapparaissait.

« Je le sens, se dit-elle. Ce n’est pas une illusion. »

Elle répandit une pincée de sucre sur la langue de l’enfant avec l’espoir qu’elle serait assez humide pour la dissoudre. Serpent n’osait pas la faire boire ; elle pouvait étouffer si l’eau lui entrait dans les poumons. Le temps pressait, mais une précipitation malavisée serait aussi meurtrière que les sévices de North. Toutes les minutes environ, en attendant Arevin, elle donnait à Melissa quelques grains de sucre.

Sans mot dire, le jeune homme apporta l’eau fumante. Après en avoir remis une pincée sur la langue de Melissa, Serpent passa le sac de sucre au jeune homme.

— Dissous tout ce que tu peux dans cette eau.

Elle frotta les mains de Melissa et lui tapota la joue.

— Melissa, ma chérie, réveille-toi. Un petit effort. Il faut m’aider, ma fille.

L’enfant ne réagit pas. Mais Serpent sentit battre son pouls, assez fort cette fois pour vaincre toute incertitude.

— C’est prêt.

Arevin fit tournoyer l’eau dans son récipient avec un peu trop d’ardeur : ses mains en furent éclaboussées. Alarmé, il regarda la guérisseuse.

— Ne t’inquiète pas, c’est du sucre, dit-elle lui prenant la casserole des mains.

— Du sucre !

Il s’essuya les doigts sur l’herbe.

— Melissa ! Réveille-toi, ma chérie.

Les paupières de l’enfant frémirent. Soulagée, sa mère inspira profondément.

— Melissa, il faut boire.

Les lèvres de l’enfant remuèrent faiblement.

— Ne parle pas encore.

Portant le petit récipient de métal à sa bouche, Serpent y fit couler lentement, à petits coups, l’épais liquide sirupeux ; elle s’assurait qu’elle avait bien avalé chaque dose de ce stimulant, avant de lui en offrir une nouvelle.

— Seigneur…, dit Arevin, ébahi.

— Serpent, murmura Melissa.

— Je suis là. Nous sommes sauvées. Tu es hors de danger.

Elle avait envie de rire et de pleurer tout à la fois.

— Comme j’ai froid !

— Je sais.

Elle emmitoufla Melissa dans la couverture. Rien à craindre, Melissa avait une boisson chaude dans l’estomac, un puissant tonique circulant dans ses veines.

— Je ne voulais pas te laisser là-haut, mais j’avais promis… J’avais peur que ce cinglé ne prenne Ecureuil et que Brume et Sable ne meurent…

Ses dernières craintes étant dissipées. Serpent installa sa fille confortablement sur le roc réchauffé. Rien dans les paroles de Melissa ne laissait présager une lésion cérébrale ; elle avait survécu, et n’était pas diminuée.

— Ecureuil est ici avec nous, Brume et Sable aussi. Tu peux te rendormir, et quand tu te réveilleras tout ira pour le mieux.

Melissa allait peut-être avoir mal à la tête un jour ou deux selon sa réaction au stimulant. Mais elle était vivante, en bon état.

— J’ai voulu partir, dit Melissa, les yeux fermés. J’avançais, j’avançais, toujours, mais…

— Je suis fière de toi. Il fallait être brave et forte pour faire ce que tu as fait.

La bouche de Melissa se tordit en un demi-sourire du côté épargné par les cicatrices, puis elle se rendormit. Serpent lui fit de l’ombre sur le visage avec un coin de la couverture.

— J’aurais juré sur ma vie qu’elle était morte, dit Arevin.

— Elle s’en sortira, dit Serpent, se parlant à elle-même plutôt qu’à son compagnon. Le ciel en soit loué.

La force éphémère qu’un afflux d’adrénaline lui avait procurée sous la pression des circonstances avait reflué lentement sans qu’elle s’en rendît compte. Elle était comme paralysée, ne pouvant même plus s’asseoir. Ses genoux étaient bloqués. La seule chose qu’elle pût encore faire était de s’affaisser. Mais elle n’aurait su dire si son corps oscillait en tous sens ou si ses yeux lui jouaient des tours, car elle voyait les objets se rapprocher et s’éloigner en une valse incohérente.