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Arevin lui toucha l’épaule gauche. Elle reconnut le contact de sa main, à la fois douce et puissante.

— Guérisseuse, dit-il, l’enfant est hors de danger. Il est temps de penser à toi.

Sa voix était parfaitement neutre.

— Elle a traversé une si dure épreuve, murmura Serpent, s’exprimant avec difficulté. Elle aura peur de toi…

Il ne répondit pas. Elle frissonna. Il l’aida à s’étendre confortablement. Les cheveux du jeune homme s’étant dénoués lui tombaient autour du visage ; il était exactement tel qu’elle en avait conservé le souvenir.

Il porta son outre aux lèvres sèches de la jeune femme pour lui faire boire de l’eau chaude additionnée de vin.

— Qui t’a mise dans cet état ? Es-tu encore en danger ?

Qu’arriverait-il lorsque North et ses fidèles se réveilleraient ? Elle n’y avait même pas songé.

— Pas maintenant mais plus tard, demain…

Brusquement, elle voulut se lever.

— Si je dors, je ne me réveillerai pas à temps…

Il l’apaisa :

— Repose-toi. Je vais monter la garde toute la nuit. Ensuite nous pourrons gagner un endroit plus sûr.

Ainsi rassurée, elle put prendre du repos. Il la laissa seule un moment et elle resta étendue bien à plat, les doigts écartés, faisant pression sur la terre de ses mains, une terre qui, en retour, lui apportait quelque chose. Sa fraîcheur l’aidait à apaiser la douleur que lui infligeait, de nouveau, sa blessure à l’épaule. Elle entendit Arevin s’agenouiller à côté d’elle, et il lui mit sur l’épaule un linge frais et humide pour en décoller sa chemise effilochée, collée sur la plaie par le sang coagulé. Elle l’observait à travers ses cils ; une fois de plus elle admirait ses mains, son corps longiligne. Mais le contact de ces mains était aussi impersonnel que l’avaient été ses paroles.

— Comment nous as-tu trouvées ? demanda-t-elle. J’ai cru d’abord que tu n’étais qu’un rêve.

— Je suis allé à la station des guérisseurs. Il fallait que je leur fasse comprendre que tout le mal était venu de mon clan.

Il jeta un regard sur sa compagne puis, détournant les yeux, ajouta tristement :

— Je crains d’avoir échoué. Ton ancienne maîtresse s’est contentée de dire que tu devais rentrer.

Arevin n’avait pas encore eu le loisir de réagir aux paroles par lesquelles Serpent avait suggéré qu’elle rêvait de lui et qu’elle l’aimait. Et voilà qu’il agissait comme si elle n’avait rien dit de tel, comme si seul le devoir lui avait dicté sa conduite. Serpent se demanda, avec une sensation de vide et d’amertume, si elle ne s’était pas méprise sur ses sentiments. Elle ne voulait plus de sa gratitude et de sa culpabilité.

— Mais tu es là, dit-elle.

Elle s’accouda péniblement pour lui faire face.

— Ce devoir que tu t’imposais se terminait chez les guérisseurs. Pourquoi, ensuite, m’as-tu suivie ?

Il soutint le regard de Serpent.

— J’ai… j’ai rêvé de toi, moi aussi, dit-il, se penchant sur elle, les avant-bras sur les genoux, les mains tendues. Je n’ai jamais eu avec quiconque les rapports que j’ai avec toi : nous avons échangé nos noms.

Heureuse, Serpent, d’un geste lent, enveloppa dans sa main gauche sale et couturée la main droite propre et bronzée de son ami. Il la regarda.

— Mais après ce qui est arrivé…

Serpent qui, dès lors, regrettait encore davantage de ne pas être valide, lâcha la main d’Arevin pour tâter quelque chose dans sa poche : c’était son serpenteau, et il se lova autour de ses doigts. Elle le sortit pour le montrer à Arevin. Désignant de la tête le panier d’osier, elle lui dit :

— J’en ai d’autres, et je sais maintenant comment ils se reproduisent.

Eberlué, il regarda le bébé serpent, puis sa compagne.

— Tu es donc parvenue à la cité ? Ils t’ont laissée entrer ?

— Non, dit-elle, tournant les yeux vers le dôme crevé. C’est là-haut que j’ai trouvé des serpents du rêve, dans un coin de leur monde d’outreciel.

Elle remit le serpenteau dans sa poche. Il s’habituait déjà à elle ; il ferait un bon serpent de guérisseuse.

— Les gens de la cité m’ont éconduite, mais les guérisseurs sauront se rappeler à leur souvenir. Ils ont toujours une dette envers moi.

— Ma famille aussi a une dette envers toi. Une dette que je n’ai pas su acquitter.

— Tu m’as aidée à sauver ma fille ! Ça ne compte pas, peut-être ? Arevin, poursuivit-elle plus calmement, je ne puis cacher que je regrette la mort de Sève. Mais seule ma négligence l’a tué, rien d’autre. C’est ce que j’ai toujours pensé.

— Mon clan… le partenaire de ma cousine…

— Une seconde. Si Sève n’était pas mort, je n’aurais pas songé à retourner si vite au pays. Je ne serais jamais allée au Centre. Je n’aurais jamais rencontré Melissa. Le fou ne m’aurait jamais conduite au dôme crevé. On dirait que ton clan a agi comme catalyseur. Sans vous, nous aurions continué à nous échiner vainement pour obtenir des gens de la cité qu’ils nous procurent des serpents du rêve. Les guérisseurs se seraient entêtés dans leur routine jusqu’à complète disparition de ces serpents… et des guérisseurs eux-mêmes. Tout est changé maintenant. Je te suis peut-être aussi redevable que tu crois m’être redevable.

Arevin fixa son amie un long moment.

— Je pense que tu cherches à excuser ma famille.

Serpent serra les poings.

— Ne peut-il y avoir entre nous autre chose qu’un sentiment de culpabilité ?

— Si ! dit Arevin vivement, et il ajouta plus calmement, comme surpris de sa véhémence : Du moins j’espère qu’il peut y avoir autre chose.

Attendrie, Serpent lui prit la main.

— Moi aussi, dit-elle, l’embrassant sur la paume.

Lentement le visage d’Arevin s’éclaira d’un sourire. Il s’inclina sur Serpent, et bientôt ils se tinrent embrassés.

— Si nous avons payé notre dette l’un envers l’autre, nos familles peuvent être amies, dit Arevin. Et peut-être l’avons-nous gagné, ce temps qu’il nous fallait, tu l’as dit, un jour, pour être l’un à l’autre.

— Oui, dit Serpent.

Arevin écarta de son front ses cheveux emmêlés.

— J’ai appris de nouvelles coutumes dans les montagnes, dit-il. Je veux m’occuper de toi pendant que ton épaule se cicatrisera. Et quand tu seras guérie, je te demanderai : « Puis-je faire quelque chose pour toi ? »

Serpent lui rendit son sourire. Ils se comprenaient.

— C’est une question que j’aimerais te poser, moi aussi, dit-elle, et elle ajouta avec un large sourire : Les guérisseuses se rétablissent rapidement, tu sais.