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– Alors, il vous faut l’attendre!

– Non, je ne vais pas perdre une journée pour faire plaisir à quelqu’un. Si monsieur Holmes n’est pas ici, alors il devra trouver ça tout seul. Et puis, je n’aime pas votre air à tous les deux, et je ne veux pas dire un mot.

Et, traînant les pieds, il se dirigea vers la porte, mais Jones se plaça en face de lui.

– Attendez un peu, mon ami. Vous avez des renseignements importants, et vous ne vous en irez pas. Nous vous garderons, bon gré mal gré, jusqu’à ce que notre ami revienne.

Le vieillard s’avança rapidement vers la porte, mais quand Jones y appuya son large dos, il reconnut l’inutilité de toute résistance.

– Jolie façon de traiter les gens! cria-t-il en tapant son bâton sur le plancher. Je viens ici pour voir un gentleman et vous deux que je n’ai jamais vus de ma vie, vous m’saisissez et vous m’traitez comme ça!

– Vous ne vous en porterez pas plus mal, dis-je. Nous vous paierons votre journée perdue. Asseyez-vous là, sur le canapé. Vous n’aurez pas à attendre longtemps.

L’air grognon, il revint et s’assit, la tête reposant sur ses mains. Jones et moi nous reprîmes nos cigares et notre conversation. Soudain, la voix d’Holmes éclata:

– Tout de même, vous pourriez bien m’offrir un cigare! Nous sursautâmes sur nos chaises. Holmes était assis près de nous, avec un air de doux amusement.

– Holmes! m’écriai-je. Vous ici! Mais où est le vieillard?

– Le voici, dit-il, tenant en main un tas de cheveux blancs. Tout y est: perruque, favoris, sourcils… Je pensais que mon déguisement n’était pas mauvais, mais je doutais qu’il supporte brillamment cette épreuve.

– Ah! Coquin! s’écria Jones, enchanté. Vous auriez fait un acteur, et un rare!… Vous avez bien la toux rauque des vieux de l’asile et ces jambes flageolantes qui vous portaient valent bien dix livres par semaine. Tout de même, je croyais bien reconnaître l’éclat de vos yeux. Vous ne nous avez pas lâchés si facilement que ça, hein?

– J’ai travaillé toute la journée sous ce déguisement. Il y a, vous le savez, beaucoup de gens dans le milieu des criminels qui commencent à me connaître, surtout depuis que notre ami, ici présent, s’est mis à publier quelques-unes de mes affaires. Aussi, je ne peux partir sur le sentier de la guerre que sous quelque simple accoutrement comme celui- ci. Vous avez eu mon télégramme?

– Oui, c’est ce qui m’a amené ici.

– Et comment votre affaire a-t-elle marché?

– Il n’en est rien sorti. J’ai dû relâcher deux de mes prisonniers. Il n’y a aucune preuve contre les deux autres.

– Ne vous en faites pas. Nous vous en donnerons deux autres à leur place, mais vous devrez suivre mes instructions. Je vous cède volontiers tout l’honneur officiel du succès, mais vous devrez agir suivant mes directives. Est-ce convenu?

– Absolument, si vous voulez m’aider à prendre les coupables.

– Eh bien, il faudra donc tout d’abord qu’un bateau de la police, rapide, une chaloupe à vapeur, se trouve aux escaliers de Westminster, à sept heures, ce soir.

– C’est facile à arranger. Il y en a toujours une par là, mais je pourrais traverser la rue et téléphoner, pour en être sûr.

– Puis, il me faudra deux hommes vigoureux, en cas de résistance.

– Il y en aura deux ou trois dans le bateau. Quoi d’autre?

– Quand nous capturerons les hommes, j’aurai le trésor. Je crois que ce serait un plaisir pour mon ami ici présent d’apporter cette boîte à la jeune dame à qui revient légalement la moitié du contenu; afin qu’elle soit la première à l’ouvrir. Hein, Watson?

– Ce serait pour moi un grand plaisir.

– C’est une façon de procéder assez irrégulière, dit Jones en branlant la tête. Toutefois, comme rien n’est régulier dans cette affaire, je suppose que nous devrons fermer les yeux. Le trésor, plus tard, sera remis aux autorités jus qu’à la conclusion de l’enquête officielle.

– Certainement. Un autre point: j’aimerais fort avoir quelques détails sur cette affaire de la bouche même de Jonathan Small. Vous savez que je tiens à connaître à fond les détails de mes enquêtes. Y aurait-il une objection à ce que j’aie avec lui une entrevue non officielle, soit ici, dans mon appartement, soit n’importe où, pourvu qu’il soit sur veillé de façon efficace?

– Vous êtes maître de la situation. Je n’ai pas eu de preuves encore de l’existence de ce Jonathan Small. Toutefois, si vous le prenez, je ne vois pas comment je pourrais vous refuser une entrevue avec lui.

– C ‘est donc entendu?

– Parfaitement. Quelque chose d’autre encore?

– Seulement ceci: j’insiste pour que vous dîniez avec nous. Ce sera prêt dans une demi-heure. J’ai des huîtres et une paire de grouses, avec un bon petit choix de vins blancs. Watson, vous n’avez encore jamais reconnu mes mérites de maître de maison.

Chapitre X La fin de l’insulaire

Ce fut un joyeux dîner. Holmes, quand il le voulait, était un très brillant causeur; ce soir-là, il le voulut. Il semblait être dans un état d’exaltation nerveuse et il se montra étincelant. Passant rapidement d’un sujet à l’autre, «Mystères» du Moyen Age, violons de Stradivarius, bouddhisme à Ceylan, navires de guerre de l’avenir, poterie médiévale, il traitait chacun d’eux comme s’il en eût fait une étude approfondie. Sa belle humeur contrastait avec la sombre dépression des deux derniers jours. Athelney Jones s’avéra d’un commerce agréable pendant ces heures de détente, et c’est en bon vivant qu’il prit part au repas. Quant à moi, j’étais soulagé à la pensée que nous approchions de la fin de l’affaire, et je me laissai aller à la joie communicative de Holmes. Nul d’entre nous ne parla durant le repas du drame qui nous avait réunis.

Lorsque la table fut desservie, Holmes jeta un coup d’œil sur sa montre et remplit trois verres de porto.

«Une tournée pour le succès de notre petite expédition! ordonna-t-il… Et maintenant, il est grand temps de partir. Avez-vous un pistolet, Watson?

– J’ai mon vieux revolver d’ordonnance dans mon bureau.

– Vous feriez mieux de le prendre. Il faut tout prévoir. J’aperçois la voiture à notre porte. Je l’avais demandée pour six heures et demie.

C’est un peu après sept heures que nous atteignîmes l’embarcadère de Westminster. Holmes examina d’un œil critique la chaloupe qui nous attendait.

«Y a-t-il quelque chose qui révèle son appartenance à la police?

– Oui, cette lumière verte sur le côté.

– Alors, il faudrait l’enlever.»

Ce petit changement effectué, nous prîmes place dans le bateau et on lâcha les amarres. Jones, Holmes et moi, étions installés à la poupe. Il y avait un homme à la barre, un autre aux machines, et deux solides inspecteurs à l’avant.

«Où allons-nous? demanda Jones.

– Vers la Tour. Dites-leur de s’arrêter en face des chantiers Jacobson.»

Notre bateau était de toute évidence très rapide. Nous dépassâmes de longs trains de péniches chargées, aussi vite que si celles-ci étaient amarrées. Holmes eut un sourire de satisfaction en nous voyant rattraper une autre chaloupe et la laisser loin derrière nous.