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«Nous devrions pouvoir rattraper n’importe qui sur ce fleuve! dit-il.

– C’est peut-être beaucoup dire. Mais il n’y a pas beaucoup de chaloupes qui puissent nous distancer.

– Il nous faudra intercepter l’Aurore qui a la réputation de filer comme une mouette. Je vais vous expliquer comment j’ai retrouvé le bateau, Watson. Vous souvenez-vous comme j’étais ennuyé d’être arrêté par une si petite difficulté?

– Oui.

– Eh bien, je me suis complètement délassé l’esprit en me plongeant dans une analyse chimique. Un de nos plus grands hommes d’État a dit que le meilleur repos était un changement de travail. Et c’est exact! Lorsque je suis parvenu à dissoudre l’hydrocarbone sur lequel je travaillais, je revins au problème Sholto, et passai à nouveau en revue toute la question. Mes garçons avaient fouillé sans résultat la rivière tant en amont qu’en aval. La chaloupe ne se trouvait à aucun embarcadère et n’était point retournée à son port d’attache. Il était improbable qu’elle eût été sabordée pour effacer toute trace. Je gardais cependant cette hypothèse à l’esprit en cas de besoin. Je savais que ce Small était un homme assez rusé, mais je ne le croyais pas capable de finesse. Je réfléchissais ensuite au fait qu’il devait se trouver à Londres depuis quelque temps; nous en avions la preuve dans l’étroite surveillance qu’il exerçait sur Pondichery Lodge. Il lui était, en ce cas, très difficile de partir sur-le-champ; il avait besoin d’un peu de temps, ne serait-ce que d’une journée, pour régler ses affaires. C’était tout du moins dans le domaine des probabilités.

– Cela me semble assez arbitraire! dis-je. N’était-il pas plus probable qu’il eût tout arrangé avant d’entreprendre son coup?

– Non, ce n’est pas mon avis. Sa tanière constituait une retraite trop précieuse pour qu’il eût songé à l’abandonner avant d’être sûr de pouvoir s’en passer. Et puis il y a un autre aspect de la question: Jonathan a dû penser que le singulier aspect de son complice, difficilement dissimulable de quelque manière qu’on l’habille, pourrait exciter la curiosité et peut-être même provoquer dans quelques esprits un rapprochement avec la tragédie de Norwood. Il est bien assez intelligent pour y avoir pensé. Ils étaient sortis nuitamment de chez eux, et Small devait tenir à être de retour avant le jour. Or, il était trois heures passées lorsqu’ils parvinrent au bateau; une heure plus tard, il ferait jour, les gens commenceraient à circuler… J’en ai conclu, par voie de conséquence, qu’ils n’étaient pas allés très loin. Ils ont grassement payé Smith pour qu’il tienne sa langue et garde la chaloupe prête pour l’évasion finale; et ils se sont hâtés avec le trésor vers leur logis. Deux ou trois jours plus tard, après avoir étudié de quelle manière les journaux présentaient l’affaire, et ayant ainsi vérifié si les soupçons s’orientaient de leur côté, ils s’en iraient en chaloupe, sous couvert de la nuit, vers quelque navire mouillé à Gravesend ou Downs; ils avaient déjà certainement pris leur billet pour l’Amérique ou les Colonies.

– Mais la chaloupe? Ils ne pouvaient la prendre chez eux!

– D’accord! Je décidai donc que la chaloupe ne devait pas être loin, bien qu’elle fût invisible. Je me suis mis alors à la place de Small et j’ai considéré le problème sous son angle, à lui. Il se rendait probablement compte du danger qu’il y aurait à renvoyer la chaloupe à son port d’attache où à la garder dans un embarcadère si la police venait à découvrir ses traces. Comment, alors, dissimuler le bateau et en même temps le maintenir à sa portée, prêt à être utilisé? Comment ferais-je moi-même à sa place et dans des circonstances analogues? Je cherchai et je ne trouvai qu’un seul moyen: Confier la chaloupe à un chantier de construction ou de réparations, avec ordre d’effectuer une légère modification. L’embarcation se trouverait ainsi sous quelque hangar, et donc parfaitement cachée. Et pourtant, elle pourrait être en quelques heures de nouveau à ma disposition.

– Voilà qui semble assez simple.

– Ce sont précisément les choses très simples qui ont le plus de chances de passer inaperçues. Je décidai donc de mettre cette idée à l’épreuve. Vêtu de ces inoffensifs vêtements de marin, je m’en fus aussitôt enquêter dans tous les chantiers en aval du fleuve. Résultat nul dans quinze d’entre eux. Mais au seizième, celui de Jacobson, j’appris que l’Aurore leur avait été confiée deux jours auparavant par un homme à la jambe de bois qui se plaignait du gouvernail. «Il n’avait absolument rien, ce gouvernail! me dit le contremaître. Tiens, la voilà, c’te chaloupe; celle avec les filets rouges.»

«À ce moment, qui apparut? Mordecai Smith, le patron disparu. Il était complètement soûl. Je ne l’aurais évidemment pas reconnu, s’il n’avait crié à tue-tête son nom et celui de son bateau. «Il me la faut pour huit heures précises, entendez-vous? J’ai deux messieurs qui n’attendront pas.»

«Ils avaient dû le payer généreusement. Il débordait d’argent et distribua libéralement des shillings aux ouvriers. Je le pris en filature pendant quelque temps, mais il disparut dans un bistrot. Je revins alors au chantier et, rencontrant sur ma route un de mes éclaireurs, je le postai en sentinelle près de la chaloupe. Je lui dis de se tenir tout au bord de l’eau et d’agiter son mouchoir lorsqu’il les verrait partir. Placés comme nous le serons, il serait bien étrange que nous ne capturions pas tout notre monde et le trésor.

– Que ces hommes soient, ou non, les bons, vous avez tout préparé très soigneusement, dit Jones. Mais si j’avais pris l’affaire en main, j’aurais établi un cordon de police autour du chantier de Jacobson et arrêté mes types dès leur venue.

– C’est-à-dire jamais. Car Small est assez astucieux. Il enverra un éclaireur et à la moindre alerte, il se tapira pendant une semaine.

– Mais vous auriez pu continuer à filer Mordecai Smith et découvrir leur retraite, objectai-je.

– Dans ce cas, j’aurais perdu ma journée. Je crois qu’il n’y a pas plus d’une chance sur cent pour que Smith connaisse leur retraite. Pourquoi irait-il poser des questions, aussi longtemps qu’il est bien payé et qu’il peut boire? Ils lui font parvenir leurs instructions. Non, j’ai réfléchi à toutes les manières d’agir et celle-ci est la meilleure.»

Pendant cette conversation, nous avions franchi la longue série de ponts qui traversent la Tamise. Comme nous passions au cœur de la ville, les derniers rayons du soleil doraient la croix située au sommet de l’église Saint-Paul. Le crépuscule s’étendit avant notre arrivée à la Tour.

«Voici le chantier Jacobson, dit Holmes, en désignant un enchevêtrement de mâts et de cordages du côté de Surrey. Remontons et redescendons le fleuve à vitesse réduite. Croisons sous couvert de ce train de péniches.»

Il sortit une paire de jumelles de sa poche et examina quelques temps la rive opposée.

«J’aperçois ma sentinelle à son poste, continua-t-il. Mais elle ne tient pas de mouchoir.

– Et si nous descendions un peu le fleuve et les attendions là?» proposa Jones avec empressement.

Nous étions tous impatients, maintenant; même les policiers et les mécaniciens qui n’avaient pourtant qu’une très vague idée de ce qui nous attendait.

«Nous n’avons pas le droit de prendre le moindre risque, répondit Holmes. Il y a dix chances contre une pour qu’ils descendent le fleuve, évidemment, mais nous n’avons aucune certitude. D’où nous sommes, nous pouvons surveiller l’entrée des chantiers, alors qu’eux peuvent à peine nous distinguer. La nuit sera claire et nous aurons toute la lumière désirable. Il nous faut rester ici. Voyez-vous les gens, là-bas, grouiller sous les lampadaires?