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«- C’est lui qui a conçu ce plan. Allons à la porte partager le guet avec Mahomet Singh.»

«La pluie tombait toujours sans interruption; la mousson commençait; des nuages lourds et sombres dérivaient à travers le ciel. Il était difficile de voir à plus d’un jet de pierre. Un fossé s’étendait devant la porte que nous gardions, mais il était presque asséché par endroits et on pouvait le franchir facilement. Je trouvai bizarre d’être là, à côté de ces deux sauvages Punjaubees, attendant un homme qui courait à la mort.

«J’aperçus soudain, de l’autre côté du fossé, la lueur d’une lanterne voilée. Elle disparut parmi les monticules, puis redevint visible; elle se rapprocha de nous.

«Les voici! m’exclamai-je.

«- Tu lanceras le qui-vive, sahib, comme à l’ordinaire, chuchota Abdullah. Ne lui donnons aucune cause d’inquiétude! Envoie-nous à leur rencontre; nous nous occuperons de lui pendant que tu resteras ici à monter la garde. Tiens-toi prêt à dévoiler la lanterne, afin que nous soyons sûrs que c’est bien l’homme.»

«La lumière s’avançait en vacillant, s’arrêtant parfois puis revenant à nouveau. Je pus enfin distinguer deux silhouettes de l’autre côté du fossé. Je les laissai dégringoler la rive abrupte, patauger à travers la mare, et remonter à demi l’autre versant, avant de lancer le qui-vive.

«Qui va là? dis-je d’une voix étouffée.

«- Des amis!» répondit quelqu’un.

«Je découvris la lanterne, jetant sur eux un filet de lumière. Le premier était un sikh gigantesque dont la barbe noire descendait presque jusqu’à la taille. Ailleurs que dans les cirques, je n’ai jamais vu d’hommes aussi grand. Son compagnon était petit, rond et gras, porteur d’un grand turban jaune sur la tête, et à la main il portait un paquet enveloppé d’un châle. Il tremblait de peur; ses mains frémissaient comme s’il avait la fièvre et sa tête n’arrêtait pas de tourner de tous côtés ses petits yeux vifs aux aguets, à la manière d’une souris s’aventurant hors de son trou. J’eus froid dans le dos à la pensée de tuer cet innocent, mais la pensée du trésor me redonna un cœur de marbre. Lorsqu’il s’aperçut que j’étais européen, il poussa une petite exclamation de joie et se mit à courir vers moi.

«Ta protection, sahib! haleta-t-il. Ta protection pour le malheureux marchand Achmet. J’ai voyagé à travers Rajpootana afin de me mettre sous la protection du fort d’Agra. J’ai été volé et battu et trompé parce que j’étais l’ami des Anglais. Bénie soit cette nuit qui amène à nouveau la sécurité pour moi et mes pauvres biens.

«- Qu’y a-t-il dans ce paquet? demandai-je.

«- Une boîte en fer, répondit-il. Elle ne contient qu’une ou deux affaires de famille; des choses insignifiantes qui n’ont de valeur pour personne, mais que je serais désolé de perdre. Cependant, je ne suis pas un mendiant et je te récompenserai, jeune sahib et ton gouverneur aussi, s’il me donne l’abri que je demande.»

«Je n’étais plus assez sûr de moi pour lui parler encore. Plus je regardais ce visage bouffi et apeuré, plus il me semblait difficile de le tuer ainsi de sang-froid. Il fallait en finir au plus vite.

«Amenez-le à la garde principale, dis-je»

«Les deux sikhs l’encadrèrent, tandis que le géant suivait derrière. Ils s’engagèrent ainsi dans le sombre passage. Jamais homme ne fut plus étroitement enserré par la mort. Je demeurai sur les remparts avec la lanterne.

«Je pouvais entendre la cadence des pas résonner le long du corridor désert. Soudain, ce fut le silence; puis, des voix, le bruit confus d’une bagarre, des coups assourdis. Un instant plus tard, j’entendis à ma grande horreur des pas précipités se dirigeant dans ma direction et la respiration bruyante d’un homme en train de courir. Je dirigeai ma lanterne en bas vers le long passage rectiligne; et je vis le gros homme, courant comme le vent, le visage ensanglanté; le grand sikh à la barbe noire le talonnait, bondissant comme un tigre et la lame d’un couteau brillait dans sa main. Je n’ai jamais vu un homme courir aussi vite que ce petit marchand: il distançait le sikh! Je me rendis compte que s’il passait et parvenait à l’air libre, il pourrait encore se sauver. Mon cœur compatit pour lui mais, à nouveau, la pensée du trésor m’endurcit de cynisme. Je lançai mon fusil entre ses jambes quand il fila devant moi et il boula sur lui-même comme un lapin atteint d’une décharge. Avant qu’il ait pu se relever, le sikh était sur lui et lui plongeait par deux fois le couteau dans le dos. L’homme ne bougea pas, ne poussa pas un seul gémissement; il demeura là où il était tombé. J’ai pensé depuis qu’il s’était peut-être rompu le cou dans sa chute. Vous voyez, messieurs, que je tiens ma promesse. Je vous raconte l’affaire exactement comme elle s’est passée, que ce soit ou non en ma faveur.»

Il se tut et tendit ses mains attachées vers le verre de whisky que Holmes lui avait préparé. J’avoue que personnellement, cet homme m’inspirait la plus grande horreur; non seulement à cause de ce meurtre accompli de sang-froid auquel il avait été mêlé, mais plus encore par la manière nonchalante et dégagée avec laquelle il nous en avait fait la narration. Quel que fût le châtiment qui l’attendait, je ne pourrais jamais ressentir pour lui la moindre sympathie! Assis, les coudes sur les genoux, Sherlock Holmes et Jones paraissaient profondément intéressés par l’histoire; mais la même répulsion était peinte sur leurs visages. Small le remarqua peut-être, car c’est avec un certain défi dans la voix qu’il reprit:

«Bien sûr, bien sûr, tout cela est fort blâmable! Mais je voudrais tout de même savoir combien de gens, à ma place, auraient refusé une part du butin en sachant que pour toute récompense de leur vertu, ils seraient égorgés! D’ailleurs depuis qu’il avait pénétré dans la forteresse, c’était ma vie ou la sienne. S’il s’en était sorti, toute l’affaire aurait été mise en lumière. Je serais passé devant le tribunal militaire et probablement fusillé, car en ces temps troublés, les gens n’étaient pas très indulgents.

– Continuez votre histoire, coupa Holmes.

– Eh bien, nous transportâmes le corps, Abdullah, Akbar et moi. Et bon poids qu’il faisait, malgré sa petite taille! Mahomet Singh fut laissé en garde de la porte. Les sikhs avaient déjà préparé un endroit. C’était à quelque distance, à travers un tortueux passage donnant sur un grand hall vide dont les murs de brique s’effondraient par endroits. Le sol de terre battue s’était affaissé là pour former une tombe naturelle. Nous y laissâmes Achmet le marchand; nous le recouvrîmes des briques descellées. Puis nous retournâmes au trésor.

«Il était resté à l’endroit où l’homme avait été attaqué en premier lieu. Le coffre, c’est celui qui se trouve sur votre table. Une clef pendait, attachée par une corde en soie à cette poignée forgée sur le dessus. Nous l’ouvrîmes et la lumière de la lanterne se refléta sur une collection de joyaux comme j’en avais rêvé ou lu l’histoire quand j’étais un petit garçon à Pershore. Leur éclat nous aveuglait. Après nous être rassasié les yeux de ce spectacle, nous sortîmes tout du coffre pour établir la liste de son contenu. Il y avait là cent quarante-trois diamants de la plus belle eau; l’un d’eux, appelé, je crois, «Le Grand Mongol» est considéré comme la seconde plus grosse pierre du monde. Il y avait également quatre-vingt-dix-sept émeraudes et cent soixante-dix rubis, mais dont certains étaient de petite taille. Nous dénombrâmes en outre deux cent dis saphirs, soixante et une agates, et une grande quantité de béryls, onyx, turquoises et autres pierres. Je me suis documenté sur les gemmes, mais à cette époque j’ignorais la plupart de ces noms. Enfin il y avait près de trois cents perles, toutes très belles; douze d’entre elles étaient serties sur une petite couronne d’or. Je ne sais comment ces douze-là furent retirées du coffre; mais je ne les ai pas retrouvées.