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De plus en plus suffoqué, je murmure :

— Je ferai comme pour vous, monsieur le directeur.

Après cette étrange converse je regarde l’heure. Puis je me lève sur la pointe des pieds afin de ne pas réveiller Pinuche.

— Où vas-tu ? s’inquiète le digne homme avant que j’aie atteint la porte.

— Me changer : je dois participer à un gala auquel je ne m’attendais pas.

CHAT CLOWN 5

Elle n’était pas tout à fait aussi belle que le prétendait le Vioque, mais elle possédait par contre un charme fou que le gars Chilou n’avait pas mentionné : sa façon de sourire en plissant les yeux, sa lèvre inférieure perpétuellement humide, ces regards incisifs qu’elle vous jetait à la dérobée et qui vous chatouillaient sous les roustons, et sa voix surtout ! Rauque, sensuelle, pleine de vibrations bouleversantes. Son âge ? La quarantaine à peine dépassée (sans avoir mis son clignotant). Elle n’était pas grande, ce qui la rendait « manipulable à souhait ».

A première vue, j’ai senti tout le parti à tirer de sa petite taille et de sa flexibilité. Cette nana, elle devait s’entortiller comme une couleuvre autour de ta cheville et remonter ta jambe jusqu’au braque pour te le décortiquer. C’était le genre de sujet d’élite que tu peux pratiquer une nuit entière sans débander ; qu’à peine tu vas refaire la frimousse de ton joufflu aux toilettes pour te réhabiliter les glandes, les désurmener.

Elle porte un tailleur Chanel bleu à col de velours noir. Ses châsses sont presque de la même couleur : bleu et noir. Y a du bleu dans le milieu, avec un serti à l’encre de Chine ; du tonnerre ! Pour ce qui est des formes, ses nichebars ont le volume (et je te parie la consistance) de deux pommes californiennes ; quant au balancier arrière, il a été modulé par un luthier. Elle s’appelle July Larsen.

C’est à peu près tout ce que j’ai envie de t’en dire pour l’instant, mais je te parie une queue-de-cheval contre une queue d’émigrant albanais que je reviendrai avant longtemps sur la question.

Tu vas me dire qu’une mission aussi capiteuse devrait me botter et que je jouis d’une chance insolente ? D’accord. Seulement, compte tenu des circonstances, je m’en passerais bien, avec les responsabilités que j’assume.

Afin de garder le contact, on décide d’établir une liaison permanente avec l’hélico qui nous emmène chez Bocuse. Comme, pendant la jaffe, il demeurera sur le parking de l’illustre, je serai donc à portée de voix de mon brain-trust en cas d’urgence.

Au moment de notre rencontre, elle est very surprise, July Larsen, de me voir remplacer le Vénérable au pied levé. Mais je lui explique le vilain virus de Chilou. Comme les festivités sont maintenues et que je ne suis pas trop mal de ma personne, la belle Norvégienne accepte sans rechigner mon intérim.

Alors, bon, pas la peine de t’en faire un documentaire… Visite de la Poule, comme s’il était passionnant pour une superbe dame de traverser des bureaux bourdonnant de téléscripteurs, bourrés de flics et de gens douteux (ce sont parfois les mêmes), puant les pinceaux négligés, le papier, le café, la harde, le drap d’uniforme, le chien mouillé, le parfum de vil prix, le sandwich oublié dans un tiroir, la porte des gogues mal fermée, le déodorant à la citronnelle, la gonzesse en perdition, le tabac sous toutes ses honteuses formes de consommation (y compris la chique).

Ensuite, champagne tiède d’honneur à la cafétéria en compagnie de quelques confrères qui crèvent de jalousie en me voyant embarquer ce sujet d’élite ; after why, nous grimpons dans la Rolls du Vieux, solennellement pilotée par Ross, le valet britannique de Monseigneur le Pelé.

L’héliport ! Notre appareil vêtu de blanc, de bleu et cocarde tricolore, nous attend en agitant ses pales comme des bras de plainte (Verhaeren) sur la piste.

Le pilote qui voit s’approcher la Rolls-Ross (ou la Ross-Royce) à travers sa bulle, m’adresse des gestes véhéments pour me demander de faire fissa.

Je gravis la marche et il me désigne un combiné.

— Communication urgente pour vous, commissaire.

J’empoigne la passoire à déconne. C’est mon jeune confrère, le commissaire Mizinsky.

— Pardon de vous courser, commissaire, je viens d’avoir un os de première catégorie.

Il est haletant et sa voix loyale produit des couacs.

— Quel os, mon bon Jean-Paul ? l’encouragé-je, plein de mansuétude ignifugée.

— Le connard à la croix gammée tatouée sur la main…

— Eh bien ?

— On est allés le serrer dans sa boutique de pin’s. Il a renaudé comme un pou sale ; voulait téléphoner avant de nous suivre, parlait de violation des droits de l’homme, d’avocat. J’ai été obligé de lui mettre un coup de coude dans l’estomac pour le calmer. Une petite recette que m’a enseignée un ancien marine ricain. Bref, on l’emballe, menottes aux mains. Je pilotais la tire banalisée tandis qu’un de mes hommes se tenait près de lui à l’arrière : Longiteur, un gros empaqueté de connerie.

« Comme on débouche à l’Hôtel de Ville, le gonzier ouvre sa portière et bondit hors de la voiture. A cet instant, un motocycliste a débouché, espérant passer à l’orange. Il cueille Meximieux, mon client, de plein fouet et le propulse à vingt mètres sous les roues d’un autobus. Le gars buté net : les cervicales. Vous devez me prendre pour une pomme, commissaire. On aurait dû aller le cueillir à trois ou quatre, mais comme tous les effectifs sont sur le pied de guerre… »

Il est éperdument désolé.

Je lui remonte le chapiteau :

— Vous n’allez pas entrer dans les ordres à cause de ça, Mizinsky ! Rabattez-vous sur sa potesse, ses copains. Etudiez son emploi du temps, le jour du premier attentat.

— Merci, commissaire. Je m’y colle.

Après ça, je redescends pour prier la July jolie de monter à bord.

Elle parle français par amour de cette langue incomparable, la petite Larsen ; donc à la perfection. Ce qui transparaît d’accent, comme toujours est mourant. Un accent est irrésistible dans la bouche d’une belle fille.

On discute de sa profession, de sa vie vagabonde d’un continent à l’autre ; du Vieux il n’a presque pas été question. « Il est malade ? Ah ! bon. Meilleurs vœux de prompt rétablissement » et point à la ligne. Elle est tout au plaisir de cette aventure gastronomique. Elle prétend que la France démontre son intelligence à travers sa cuisine et sa mode, la bouffe et l’élégance étant, selon elle, une fête des sens toujours répétée.

Arrivée à Collonges-au-Mont-d’Or. Réception par les chasseurs noirs en livrée rouge du maître. On nous drive jusqu’au saint des saints où un formidable portrait tricolorisant du chef suprême nous accueille. Survient le modèle, dans la tenue du portrait. Je me prosterne devant le premier et serre la main du second. Présentations. July verse quelques larmes d’émotion en apercevant l’illustre. Elle lui voue un culte ; connaît tout de sa vie, de son œuvre, de sa pensée, de sa tortore. Faut dire que dans son bled à la con on ne briffe que du poisson fumé et du renne en ragoût.

En ouvrant le menu grand comme un paravent, elle défaille et on doit la « ramener » à coups d’Arquebuse de Notre-Dame-de-l’Hermitage, vulnéraire de la région Rhône-Alpes au goût effroyable mais qu’aucun ivrogne lyonnais ne saurait ignorer. Elle retrouve suffisamment de son self pour attaquer le champagne. Ensuite ça va tout seul et les agapes commencent au milieu de ce luxe inouï où grouillent les toiles de maître et les maîtres d’hôtel.