Calmos, tu as tout ton temps. Cause ! Dis-lui des folies. N’importe lesquelles, elle est preneuse, et à déclarations faites dans de telles circonstances, tu ne regardes pas la syntaxe. Dis-lui que c’est elle que t’attendais depuis toujours, sans le savoir ; qu’elle est la plus belle que t’as jamais rencontrée ; que son odeur de femme te rend fou ; que la tiédeur de sa peau te mettra toujours en érection ; que tu la désires au point qu’avant cet instant tu ignorais ce qu’était le désir ; que sa chatte est une coupe emplie des plus rares délices (et si t’emploies un autre adjectif que « rare », n’oublie pas de le mettre au féminin puisque délices est au pluriel) ; que tu vas la pénétrer suavement, avec une lenteur extrême, bien qu’elle ait le loisir de constater la présence de ta tête de nœud dans son tiroir-caisse ; que tu l’aimeras jusqu’à la fin du monde (c’est pas vrai, mais elles raffolent de cette formule) ; que tu voudrais passer le reste de tes jours assis en tailleur devant ses jambes écartées.
Et si tu es en verve, ajoute des trucs à toi, à condition qu’ils soient pas trop cons, mais ça me laisse perplexe, alors tiens-t’en aux miens, pas risquer de tout foutre par terre.
La Juju, au bout de pas longtemps, elle me râle contre. J’ai pas le temps d’ouvrir le pageot en plein, on s’abat sur la courtepointe (la mienne ne l’est pas). Je lui vote d’autor l’incontournable tyrolienne de crinière, prémice sacré auquel nul amant digne de ce nom n’échappe. Ça, ça les met en joie, espère ! Pas du temps perdu. Après une bonne séance de vocalises, tu peux remiser ton pot de vaseline. L’impétrant empétarde. Le happé des profondeurs, comme je dis puis volontiers. Voluptas, voluptas.
Hein ? Comment ? Tu me parles ? Non ? C’est quoi alors, ce bruit ? Qu’est-ce que tu dis ? Le téléphone ! Mais c’est pas possible une couillerie pareille ! Mais je l’encule, Graham Bell, moi ! Mais je lui ai jamais rien demandé à ce nœud ! Et puis d’abord, il est où, l’appareil qui vient me casser la bite en plein orgasme ? Regarde mon pauvre bijou : déjà la larme à l’œil ! Au moment qu’il allait éclater en sanglots libérateurs. Quelle pitié ! Et la dame, dis ? Tu la vois se tordre sur le grand plumard en cent quatre-vingts de large ? La façon qu’elle gémit en se trifouillant la moulasse ! Ces inarticulances qu’elle pousse, la pauvrette !
La sonnerie me guide, je trouve le biniou sur une table de chevet, naturellement. Oh ! comme je hais ce bloc d’ébonite et le salaud qui l’utilise. Je décroche cependant.
— Quoi oi oi ? hurlé-je.
Alors là, le fin du fin, le comble du comble : la voix de Pinaud :
— C’est toi, Antoine ?
Vieille breloque ! Vieille merde moisie ! Détritus ! Me demander si je suis moi ! A moi ! A moi qui brandis une queue tellement gonflée que si on l’accrochait dans une charcuterie lyonnaise on la prendrait pour un « jésus ». Demander s’il est lui au mec qui est en train de conduire une superbe créature à l’orgasme par les chemins lubrifiés de l’amour le plus ardent ! Baderne ! Fripes raidies de crasse ! Ongulé dévoyé ! Mammifère en partance ! Bougre de trop-vieux !
— C’est moi comme tu ne peux pas savoir ! riposté-je.
Il se gaffe soudain de la situation, car il demande paisiblement :
— Tu étais en train de bien faire, me semble-t-il ?
— Gagné ! Tu t’en vas avec tes trois mille francs ou tu viens les remettre en jeu demain ?
— Je suis navré de t’importuner dans un moment de félicité, mon grand, mais c’est très grave.
— Je t’écoute ?
— Jérémie et Violette ont été enlevés !
La douche froide !
Je fais comme la glace de la coiffeuse[3]. Bon, ils ont été enlevés, n’est-ce pas ce que nous espérions ?
— Que dit son bip ?
— On l’a retrouvé dans une boîte aux lettres.
— Où es-tu ?
— A la maison mère. On t’attend pour prendre une décision.
— J’arrive.
Supplice de Tantale.
Ce magnifique corps de femme offert, que dis-je : ouvert ! et dont je jouais en virtuose, il me faut l’abandonner. « France, hors le devoir, hélas, j’oublierai tout ! »
Je donne un baiser à chacun de ses seins, passe une langue gobeuse sur son mutin clito.
— Je reviendrai dans le courant de la nuit, ma July d’amour, mon enchanteresse, et nous reprendrons cette suave conversation à l’endroit précis où nous la laissons.
Comme pour signer un pacte secret, je coule un médius droit pétant de santé, ainsi que le plus agile des index, dans son nid à bonheur. Et puis je me tire ailleurs, comme un Sénégalais[4].
Veillée funeste ! Voire funèbre. Mathias, Pinaud, Mizinsky sont assis dans le burlingue sacramental d’Achille. Ils se trouvent en arc de cercle, section visiteur, respectant l’illustre place inoccupée. Quelque chose d’impressionnant, de quasi formidable se dégage du siège vide dont le cuir couleur bronze luit doucement à la lumière des lampes. Certaines absences sont magistrales et plus fortes que beaucoup de présences.
Lorsque De Gaulle quittait son fauteuil, son aura y restait assise en majesté. Quand le président Coty se levait du sien, y avait plus qu’un fauteuil vide. Il m’est arrivé de traverser une salle de conférences déserte : je la trouvais beaucoup plus intimidante que quand elle était peuplée. Marquer son territoire, c’est ne pas avoir besoin d’être physiquement là pour être présent. J’ai, dans mon univers privé, quelques présences indélébiles d’êtres qui sont morts ou lointains. Pas beaucoup : disons une demi-douzaine. Et ceux-là m’accompagnent silencieusement, me sourient ou hochent la tête selon que j’agis positivement ou négativement. C’est ma bande de fantômes. On peut être fantôme de son vivant. Lorsque je joins les vifs de mon étrange « équipe », ils perdent automatiquement leur statut de fantôme pour se remettre à exister « normalement ».
Mais je te bonnis des choses dont t’as rien à cirer, comme disait la cressonnière. Tu te dis : « le grand s’écoute penser ; il fait une surdose de phosphore et devrait consulter ». T’as raison : c’est pour me sentir moins seul. Je me fais penser au mec qui se frappe le buste de ses bras pour se réchauffer.
Ils sont penauds, les trois. Mutismeurs farouches. Mon arrivée les ébroue. Je les salue façon toréador offrant la mort de son taureau au public et vais me déposer dans l’illustre fauteuil dont il a été allusionné ci-dessus.
— Décidément, attaqué-je, le paf encore animé de belles intentions, ça cacate mochement dans votre secteur, les gars ! Le nazi Meximieux qui s’échappe et se fait rétamer, maintenant Blanc et Violette qu’on kidnappe ; beau tableautin de chasse ! Qui était de « quart » lorsque nos copains ont été alpagués ?
— Moi, avoue César avec courage.
— Raconte.
— Ils venaient de se faire une séance de pelotage dans un café et se sont rendus à l’Hôtel du Roi Jules pour y assumer leurs pseudo-amours. Je me trouvais à l’arrière de ma Rolls avec l’appareil récepteur. L’ancien brigadier Vairdepeurs, à la retraite, me servant de chauffeur. Lui faisait son tiercé quinté plus. Mon récepteur me rendait compte des agissements du couple. Au passage, j’ai le devoir de t’informer, Antoine, que leurs tribulations amoureuses paraissaient bien réelles, Violette criant à tue-tête qu’il n’y avait rien de meilleur que cette grosse bite noire.
— Passe-nous les détails, César, on bandera plus tard.
— Alors que le sommier grinçait à fendre l’âme, on a frappé à la porte.
« — Qu’est-ce que c’est ? » a crié Jérémie.
« On n’a pas répondu, mais la porte s’est ouverte. Blanc a dit alors :
4
Celle-là, elle figure dans l’