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La vendeuse de targettes, pour dire la vérité, on a été soulagés de se quitter. Moi, découiller dans ces conditions, j’aime mieux aller au cinéma ou au restaurant chinois. Faut dire que je suis un enfant gâté. Je tire de la pouliche de race, de l’experte aux initiatives poussées. Ou alors, il me faut de la frémissante maladroite mais qui en veut. Une qui a l’instinct du radada, comprends-tu ? Qui fait miches de tout bois. De la sensorielle, quoi, avec laquelle tu crains pas de rester en rideau et qu’aime se faire émoudre l’escalope.

Je liquide mon grand godet de Campari. J’adore le doux-amer : les deux pôles du goût. Illico, c’est le coup de fouet magique. Me voilà reparti au volant de ma blanche 500 SL.

Je trouve de quoi la remiser à cinquante mètres de l’hôtel. M’y pointe dans un silence nocturne de quartier bourgeois. Au moment de carillonner, je me ravise et utilise mon sésame pour ouvrir la lourde. Serrure sans complication, style vieille France. Quand elle est née, y avait presque pas de cambriolages. Bien qu’étant venu céans une seule fois, pour y tirer une guêtre expresse, je reconnais fort bien les lieux : la double entrée (la seconde est vitrée), puis le minuscule hall (un hall qualifie une vaste entrée, mais cet espace mesuré donne une impression de grandeur, grâce à un jeu de glaces astucieux). La banque classique devant le tableau des clés.

Une lumière pauvre en watts éclaire chichement les lieux. Suffisamment toutefois pour que je puisse trouver le livre de bord du Roi Jules et le compulser. Sache, pour ton gouvernement, comme dit ce salaud de Bérurier, que les hôtels de passes des beaux quartiers sont souvent à double vocation. Tu as un étage ou deux réservé(s) aux couples de passage, et le reste qui fonctionne comme un établissement normal. Cette partie est donc assujettie aux lois régissant l’hôtellerie et les clients sont normalement inscrits sur le registre.

Voilà donc Messire Mézigue occupé à étudier les récentes arrivées, c’est-à-dire celles qui ne sont pas antérieures à une trentaine d’heures. Elles figurent au nombre de trois. Un couple : M. Jérôme Pithivier, de Caen, et un homme seul : M. Alain Provist, de Fontainebleau. On leur a attribué respectivement le 38 et le 42. La clé du 42, c’est-à-dire celle du monsieur seul est au tableau, ce qui indiquerait qu’il n’est pas rentré. Je la décroche sans barguigner et, négligeant un ascenseur hydraulique dont je prévois qu’il est lent, bruyant et poussif, m’élance cinq à cinq dans l’escalier revêtu d’une honnête moquette.

Je suis quelque peu essoufflé en atteignant le quatrième étage. Une douillette odeur d’encaustique et de linge propre m’y accueille. On sent le petit hôtel bien tenu, familial malgré les rapides et passagères étreintes qui se perpètrent aux étages du bas.

La chambre 42 se trouve au début du couloir. J’y pénètre, actionne l’électrac et m’adosse à la porte refermée. Je suis très sensible aux premiers contacts. Une pièce, c’est un peu comme un visage : tu le trouves sympa ou non et, d’un regard, tu en perçois les anomalies. Je fais donc sa connaissance d’une œillée lente mais rigoureuse. Décor banal correspondant à ce qu’on attend : un lit de bois « ouvragé », une table de chevet supportant une lampe de cuivre fabriquée avec un vieux bougeoir. Une table, une chaise, un fauteuil, une armoire et un renfoncement équipé d’un lavabo et d’un bidet mobile. Papier à motifs : pampres de vigne avec raisins noirs. Un tapis « éliminé » (Béru dixit). L’ensemble est fonctionnel, propre et d’une désespérance à en pisser dans son froc pour se tenir compagnie.

Cela pue le tabac fumé. Effectivement, il y a un tas de mégots haut comme ça dans le cendrier. Des journaux et magazines jonchent le sol autour du lit ; ce dernier n’a pas été défait, simplement on a arraché l’oreiller de sous la courtepointe pour en faire un dosseret contre la tête du plumard. On lit sur le pucier la trace d’un homme ayant séjourné là. Un pack de six Coca est ouvert sur le pieu, dont quatre boîtes ont été bues avant qu’on les lance à travers la chambre.

Ayant enregistré toutes ces choses, je vais jusqu’à l’armoire. Elle est vide. Au coin lavabo, nulle trace d’un séjour ; visiblement, le client du 42 n’est pas descendu au Roi Jules pour se laver. La savonnette mise à la disposition de l’usager est encore dans son emballage. Je vais ouvrir le tiroir de la table de chevet et j’y déniche des emballages de chewing-gum Hollywood. Si le client compte sur la gum pour s’empêcher de fumer, c’est loupé.

Sur la table, l’est quelques feuilles de papier à lettres au nom de l’établissement. Je cramponne une enveloppe dans laquelle je dépose quelques-uns des mégots et des emballages d’Hollywood. Au lavabo, fixés à un crochet, pendent plusieurs sacs de plastique à l’usage des dames en panne des sens. J’en arrache un et je le retourne ; l’utilisant comme un gant, je récupère deux boîtes vides de Coca. Après quoi, sans lâcher les boîtes, je le remets dans le bon sens. Tout cela est peut-être superflu, mais j’ai appris à obéir à mes instincts professionnels.

Par acquit de conscience, je me fous à quatre pattes pour regarder sous le lit ; bien m’en prend car j’aperçois une petite boule d’étoffe grise. J’allonge la main sous le sommier et ramène le trophée.

C’en est un !

Une exquise petite culotte de femme bordée de dentelle.

Je la roule serrée et la glisse dans ma poche. Délicat mouchoir, qui, pour une fois, n’est pas parfumé à l’Eau de Cédrat.

CHAT CLOWN 7

De retour au volant de mon bolide blanc, j’éprouve un sérieux coup de pompe. Faut dire qu’il est tard et que j’ai vécu à cent à l’heure les événements livrés à ta sage réflexion. Ajoute à cela le superbe repas pris chez Bocuse et la bouillave interrompue (dur à supporter pour le système nerveux), plus l’angoisse où me plonge la disparition de mes deux inspecteurs, et tu mesureras l’étendue de mon épuisement.

Je m’offre un moment de flou, la nuque posée sur l’appui-tête de mon siège, le regard perdu dans la toile bleue de la capote.

Que fais-je ? Je porte ma provende au labo ? A quoi bon ? Mathias est rentré se zoner et les locaux sont aussi vides que les caisses de la Sécu. Regagner la maison et me filer d’urgence dans les torchons ? C’est pour ma pomme la solution la plus attrayante ; mais je songe à July 2 qui m’attend au Royal Chambord, les jambes ouvertes au risque d’attraper un orgelet à la chatte, et qui doit se faire vieille. C’est là-bas que m’appellent mon devoir de mâle et mon devoir de flic, le Vieux m’ayant assigné comme mission de passer la nuit avec elle dans la suite de ce luxueux palace.

Pas de tergiversations : je retourne finir la jolie dame. Le signor Bandalez joue les limaçons dans mon joli calcif à fleurettes roses, mais je ne me fais pas de souci pour lui : je sais qu’il redeviendra opérationnel à la première caresse de la merveilleuse. C’est un ténor qui retrouve sa voix en entendant jouer le prélude de la Traviata.

Alors je me rends au palace. Dans la nuit épaissie de brume, ses loupiotes semblent pâlottes. Il fait château des mystères. Tu ne le croirais plus en plein Pantruche, mais à l’extrémité d’une lande. Je plombe ma tire dans la contre-allée et fais un clin d’œil au préposé arabe que son uniforme raide garde debout, mais qui, sans lui, s’allongerait sur l’immense paillasson. Je file un léger coup de sonnette à la porte de notre suite, juste au moment où j’avise la pancarte « Do not disturb » que la belle July a laissée accrochée. Je me dis que je suis inhumain de l’obliger à se lever dans son premier sommeil, aussi employé-je mon sésame pour entrer. Afin de ne pas l’éveiller en me dessapant, je procède à mon décarpillage au salon. Nu comme un ver, je me faufile dans le temple des voluptés.