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* * *

On le fit entrer dans une salle basse et voûtée qu’éclairaient plus ou moins des bougies fichées dans des goulots de bouteilles. Lorsqu’une bougie avait presque complètement fondu, on en plantait une nouvelle sur sa flamme vacillante et les flacons-bougeoirs, crépis de coulées de cire, évoquaient ceux de certains petits restaurants de l’île Saint-Louis, aménagés dans des caves, où des chandelles et de la musique de Vivaldi créent à peu de frais une ambiance « raffinée ».

Une grande table barrait la salle. Des chaises de bistrot étaient réservées à un auditoire, absent pour le moment.

Derrière la table se tenait un homme masqué d’un loup de velours noir et coiffé d’un chapeau de feutre de rapin à large bord. Il portait des gants de pécari.

Il écrivait lorsque deux types vêtus chacun d’un jean et d’un blouson firent entrer le visiteur.

L’homme masqué acheva la phrase qu’il rédigeait avec un soin extrême pour s’intéresser à l’arrivant. Son examen le laissa indécis.

— Ainsi, vous souhaitez être des nôtres ? demanda-t-il soudain.

— Affirmatif ! répondit son vis-à-vis.

— Quelles sont vos motivations ?

— Une France propre.

— Par quels moyens l’obtenir ?

— En virant les crouilles et les Noirs et en butant ceux qui s’en prennent à nos femmes.

— Etes-vous prêt à l’action !

— Absolument !

— A toutes les actions ? Réfléchissez avant de répondre.

— Pas besoin de réfléchir : à toutes !

— Très bien, nous allons examiner votre candidature et vous serez très rapidement informé de notre décision.

Il parut hésiter, puis tendit sa main gantée à son interlocuteur qui la lui serra avec énergie.

* * *

Or donc, orphelin !

Je suis, nous sommes, orphelins. Car, pour moi, le décès de Chilou ne fait aucun doute.

De retour dans son bureau, son absence m’est plus cuisante encore. Je m’affale dans le grand fauteuil et promène mes doigts sur ces accoudoirs garnis de cuir où, tant de fois ses paumes ont glissé.

Mathias, toujours top-niveau, s’est « occupé » de la July assassinée. Il a procédé aux investigations d’usage, relevé des indices, emporté le ya meurtrier dans une enveloppe de plastique. Je lui ai également confié les différentes bricoles que j’ai prises dans la chambre 42 du Roi Jules. Je me sens en totale délabrante, tel un vieux camion à bandages abandonné rouillé au fond d’un terrain vague.

J’allonge mes pieds sur le divin burlingue, ce qui ne s’est jamais produit ici, croise mes paluches sur mon estomac bardé d’une ceinture de muscles et je m’envoie dehors, c’est-à-dire dans mon cosmos à moi, où les planètes sont peuplées de belles filles nues. Je suis au point mort, en roue libre. Je guette l’inspiration. Il faut qu’elle se produise. J’ai besoin d’un déclic (ou de claques) pour performer de nouveau.

Je récapitule ma nuit insensée en compagnie (alternative) des deux femelles copie conforme. Les cristaux de Bocuse, son armada de serveurs, son portrait iconographique, ses mets délectablo-savoureux… L’hélico du retour avec le bruit de crécelle. Le petit club-house où le café avait un goût de bottes de sept lieues venant d’en arpenter cinq mille ! La July 2, si sûre de soi… Notre début de grand amour… J’en ai conservé un souvenir olfactif à l’extrémité de mes doigts. Je me suis toujours demandé pourquoi les chattes avaient toutes la même odeur, ou presque ! Et les zoos idem ! Ma visite à l’hôtel du Roi Jules, la fouille « injustifiée » de la chambre 42. Ensuite, ma fin de nuit au Royal Chambord, près d’une fille ayant une lame de douze centimètres entre les omoplates ! Si on apprenait ça, quelle risée dans le Landerneau ! L’Antonio qui pionce contre un cadavre sans s’en rendre compte ! J’en pleurerais de honte !

Me faut ma maman. Y a que ma Féloche pour me remonter la pendule. A elle, je peux tout raconter. Elle trouvera les mots qui cicatrisent l’orgueil.

Je m’en revais à travers le monde ; du moins jusqu’à Saint-Cloud. Je conduis sans m’en rendre compte, machinalement. Trop peut-être puisque je frôle une religieuse engagée dans les clous. La voilà qui se met à me traiter de « Tête de nœud ! » Y a un laisser-aller dans la Sainte Eglise, je te jure ! Le moment est imminent où en confession, le prêtre te dira pour conclure :

« — Casse-toi, mec, et récite dix Pater et un navet Maria. »

Il fait soleil sur Saint-Cloud. Oh ! c’est pas les sunlights de la Paramount, mais enfin c’est plaisant et les zoiseaux y vont de leur ritournelle matinale.

Comme je me dirige vers notre pavillon, mon sang ne fait qu’un tour, mais à toute pompe. Figure-toi que nos fenêtres du rez-de-chaussée sont disloquées, brisées, et que certains de nos meubles gisent, démantelés, dans les massifs de fleurs. Je reconnais notre horloge bressane, complètement éventrée, avec le beau nombril d’or de son balancier sur la pelouse, pareil à une fleur de tournesol.

— Seigneur ! geins-je, est-ce possible ?

Pas d’erreur : ça l’est !

CHAT CLOWN 8

Ce qui m’attend à l’intérieur est bien pire !

Depuis l’entrée, je les aperçois, saucissonnées, garrottées, bâillonnées, suspendues de dos, par les poignets, à un balustre de l’escalier. M’man et Maria ! Ensanglantées, couvertes d’ecchymoses. Maria gémit, un filet de sang lui dégouline du pif. On a saccagé le chignon de ma Félicie et ses cheveux en déroute, ses longs cheveux gris d’ancienne petite fille pendent devant son visage. Ce que j’éprouve alors, en l’apercevant ainsi, elle toujours tirée à quatre épingles (à cheveux) dépasse en intensité, en violence rentrée, toutes les poussées d’adrénaline que j’ai pu essuyer jusqu’à ce jour ! Un incoercible besoin de vengeance ! Une faim de meurtre qui me fait sucrer comme une attaque de Parkinson.

Je me précipite. J’agis avec automatisme, sans proférer un mot. Mon couteau de poche me jaillit entre les doigts ; d’une pesée j’en fais gicler la lame et je tranche les cordes comme un perdu. Je soutiens ces deux pauvres chéries afin qu’elles ne s’écroulent point sur le carrelage. Bientôt c’est leurs bâillons que j’arrache. Et puis je les saisis aux épaules et je sanglote comme une fillette à qui un noir ramoneur montre combien il a la queue blanche.

C’est m’man qui me console — ô ironie ! (comme on écrivait dans les livres de jadis). O ironie. Toujours.

— Ne pleure pas, mon grand, c’est fini. Nous n’avons rien de bien grave, n’est-ce pas, Maria ?

Notre Ibérique, vaincue par mes pleurs (dont elle s’attribue la cause), se jette sur ma gueule et me plante une galoche en pleine poire, devant ma vieille !

Hé ! calmos, la mère ! Je me dégage vivement.

Félicie me raconte qu’elles ont été réveillées en pleine nuit par le bruit de la porte qui a claqué. Elle a cru que je rentrais et s’est levée pour s’enquérir si elle devait me préparer une jaffe nocturne. Elle est tombée sur trois gus munis de cagoules noires qui se sont jetés sur elle et lui ont entravé bras et jambes. Le raffut a attiré Maria que les mecs ont ligotée à son tour.

— Et Toinet ? m’enquiers-je.

— Il est parti hier à la Grande Chartreuse avec l’école.

Elle reprend le cours de son récit. Les cagoulards lui ont montré deux photos polaroïd représentant l’une Jérémie et l’autre Violette. Dans un triste état, assure maman.

— Je me suis demandé si, quand on les a photographiés, ils étaient morts ou vivants. M. Blanc, en tout cas, était au moins inconscient, mais je crains le pire car il avait les yeux entrouverts, mais sans regard, si tu vois ce que je veux dire.